Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Vous avez présidé une commission d’enquête sur le prix réel de l’électricité. Qu’appelez-vous prix « réel » ? Est-il condamné à augmenter ?
Jean Desessard – Un certain « flou » subsiste aujourd’hui encore quant au prix de l’électricité en France : reflète-il réellement l’ensemble des coûts ? La commission d’enquête a permis de faire la lumière sur le prix « réel », qui comprend le prix de production, celui du transport et toutes les taxes. Il faut savoir que le prix de l’électricité s’est établi selon deux modalités : à partir d’un tarif réglementé, fixé par les services publics (loi NOME, « nouvelle organisation du marché de l’électricité ») et à partir d’un niveau déterminé par le marché à l’échelle européenne.
Au coût de production (32 % de la facture totale) s’ajoute le prix du transport et de la distribution de l’électricité, gérés par ERDF (36 %) et financés par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité. Enfin, quatre taxes constituent la dernière composante (32 %) : la contribution au service public de l’électricité (CSPE), les taxes sur la consommation finale d’électricité, la contribution tarifaire d’acheminement, et la TVA.
Le prix continuera d’augmenter, puisque, dans les trois secteurs de production d’électricité, les coûts sont en hausse. C’est vrai pour les énergies fossiles comme pour le nucléaire, tandis que les filières d’énergies renouvelables (hormis l’éolien terrestre) n’ont pas encore atteint la rentabilité du marché. La hausse concerne aussi le coût du transport, pour tenir compte des nombreux investissements nécessaires dans les réseaux, ainsi que la CSPE, pour financer le développement des filières durables et la lutte contre la précarité énergétique.
Comment faire payer ce « coût réel » sans accroître davantage encore le nombre de foyers en précarité énergétique ?
La facture est le produit du prix du kilowattheure par la quantité d’électricité consommée. Le seul moyen de ne pas voir le montant de la facture monter en flèche est de diminuer la consommation. Plusieurs solutions existent et doivent se concrétiser le plus rapidement possible. Un grand plan d’isolation thermique des logements anciens et de nouvelles normes pour les logements en construction doit être mis en place1, afin de diminuer l’utilisation du chauffage électrique, une spécificité française.
La diminution de la consommation d’électricité « spécifique » doit constituer une autre priorité. L’électricité spécifique correspond aux usages pour lesquels aucune autre source d’énergie n’est possible, comme l’éclairage et le fonctionnement des appareils électroménagers et audiovisuels. Il faut savoir qu’un ménage français consomme beaucoup plus qu’un ménage allemand. Il s’agit d’améliorer l’information des consommateurs (étiquettes énergies avec des notations de E à A +++), et d’adopter une réglementation plus stricte sur la consommation des appareils électroménagers et audiovisuels, avec un système de « bonus-malus » pénalisant les appareils énergivores.
Enfin, il est urgent de sensibiliser les personnes au « consommer mieux », en incitant la consommation aux heures creuses, qui permet de bénéficier de tarifs avantageux et d’éviter de provoquer des pointes de consommation. Dans la même veine, le développement des smart grids ou « réseaux intelligents » doit permettre le rapprochement entre consommation et production. Des compteurs électriques nouvelle génération permettraient aux ménages de devenir des consom’acteurs, capables de gérer leur consommation.
Toutes ces mesures d’urgence pour réduire la consommation d’électricité ont fait consensus au sein de la Commission. La seule divergence a porté sur les différents scénarios de production, à savoir la part du nucléaire dans la production d’électricité.
Quel peut être le rôle des collectivités, des associations qui travaillent auprès de personnes en précarité énergétique ?
Le rôle des collectivités locales et des associations pour lutter contre la précarité énergétique est multiple. Elles octroient une aide financière aux personnes qui disposent de faibles revenus, en allégeant leur facture énergétique. Il peut s’agir de tarifs sociaux de l’énergie (tarif de première nécessité pour l’électricité, tarif spécial de solidarité pour le gaz) ou de remboursements des impayés auprès des fournisseurs d’énergie via le Fonds de solidarité pour le logement.
Les collectivités locales et les associations peuvent participer aussi à la rénovation thermique des logements. Et donc faire de la prévention, au-delà de l’assistance. Les collectivités subventionnent les travaux qui serviront à augmenter la performance énergétique de l’habitat (isolation des combles, remplacement de chaudières…). Des subventions sont aussi attribuées pour de plus petits travaux d’amélioration de la performance énergétique (achat d’ampoules basse consommation, pose de double vitrage, petites réparations, etc.). Des mesures qu’il faut coupler, de plus en plus, à un travail de prévention et d’accompagnement des ménages précaires sur le terrain. Plusieurs initiatives pédagogiques ont été lancées, telles que la sensibilisation à la maîtrise de l’énergie.
Les acteurs jouent enfin un rôle de médiation auprès des fournisseurs d’énergie, afin d’obtenir des négociations d’échéanciers et des facilités de paiement. Cependant, la proportion de ces dispositifs reste encore faible au regard du nombre croissant de foyers en situation de précarité énergétique, d’où l’urgence de les amplifier.
1 La loi Duflot, prévue pour septembre 2013, doit doter les logements anciens d’une isolation thermique de qualité dans le but de juguler la hausse des dépenses d’énergie, et d’encourager la construction de logements neufs performants afin de diminuer la consommation liée au chauffage électrique.