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Le choc est sévère pour l’Union européenne (UE). En voulant verrouiller un peu plus ses frontières extérieures, les promoteurs du Pacte européen sur la migration et l’asile, entériné le 10 mai 2024, espéraient-ils infléchir les résultats des européennes du 9 juin ? Il n’en a rien été. Des 720 sièges de l’hémicycle de Strasbourg, 187 sont désormais répartis entre les trois coalitions de la droite radicale ou extrême.
Une fuite en avant ? Un rendez-vous manqué, certainement. La campagne électorale, dominée par le spectre d’une Europe « passoire » ou « envahie », a plombé tout débat sérieux sur le fait migratoire dans l’UE. L’avenir de cette dernière en dépend pourtant. C’est cette réalité qu’entend rappeler ce numéro de la Revue Projet, élaboré en partenariat avec le Jesuit Refugee Service Europe (JRS).
Décortiquons d’abord les chiffres. Si la saturation des dispositifs de traitement des demandes d’asile est indéniable, la proportion d’entrées irrégulières dans l’Union demeure faible. D’ailleurs, un Sud mobile a bel et bien émergé et la plupart des mouvements migratoires concernent son propre espace. Cette réalité demeure peu prise en compte dans l’approche européenne du phénomène, tout comme celle de l’existence d’une culture transnationale bâtie au fil des migrations d’un continent à l’autre.
Le mythe du migrant errant, dépossédé et hors-la-loi, devrait avoir vécu. Pourtant, les politiques européennes tardent à s’en départir. Elles le renforcent même au prix d’externalisations violentes et coûteuses des frontières, encouragées par une diplomatie informelle, dont les hotspots et autres pushbacks constituent la partie la plus visible. Le sort infligé aux migrants à Calais et aux alentours en offre un exemple à nos portes.
Le pacte de 2024 ne devrait en rien modifier ces tendances. Tout en prétendant encadrer au sein du giron communautaire la politique migratoire des États membres, il assoit les dérogations exigées par ces derniers. Au désavantage des pays les plus exposés au premier accueil. Au mépris des droits fondamentaux, raison d’être de l’UE.
Ce dossier invite à renverser la question : l’Union a-t-elle sacrifié son identité politique sur l’autel de promesses électorales aussi simplificatrices qu’intenables ? Outre l’engagement d’organisations telles que la Cimade, le Secours catholique ou JRS, quelques lueurs scintillent en faveur de plus d’humanité, à l’image de ces villes européennes où se pratiquent de véritables politiques d’insertion des étrangers.
Une politique migratoire ne peut être binaire, tant les situations des migrants et les enjeux nationaux des pays accueillants sont complexes. Il s’agit d’interroger nos besoins, nos politiques d’intégration, nos valeurs fondamentales. Le droit communautaire n’est pas sans ressources pour permettre une migration de travail enfin assumée et une harmonisation des procédures d’asile. Puisse l’Europe prendre conscience qu’elle ne sera jamais une forteresse. Sauf à se renier.