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Les migrations féminines sont longtemps demeurées à l’ombre des gros titres et de l’attention générale dans les pays dits d’accueil. Pourtant, elles représentent aujourd’hui plus de la moitié des personnes migrantes. A-t-on enfin dépassé l’angle mort ?
Un pan du voile a certes été levé au début de la pandémie du Covid-19. L’utilité sociale de certains métiers (caissières, aide à domicile, employées d’entretien, etc.) a jeté une lumière neuve sur celles qui les occupent : très souvent, des citoyennes de pays tiers, notamment africains.
Une découverte, vraiment ? Les femmes n’ont jamais été absentes des flux migratoires et leurs bras n’ont jamais cessé d’être dévolus aux tâches les moins valorisées et rémunérées. Il y a pourtant loin entre cette mise en lumière et le percement d’un plafond de verre tenace. Les expertes sollicitées par la Revue Projet pour ce nouveau dossier le soulignent chacune dans leur domaine.
La recherche sur le phénomène migratoire n’a pas échappé au stéréotype d’un genre féminin borné à la sédentarité, avant que les études de genre n’en bousculent les visions dominantes, relève Adelina Miranda. Ces mêmes visions irriguent toujours le regard porté sur la femme migrante à l’entame de son exil, au franchissement d’une frontière, comme l’analyse Léopoldine Leuret.
Égarée ou perdue – à moins d’un regroupement familial – une femme exilée ou réfugiée n’aurait donc jamais prise sur son propre parcours ? Un renversement de perspective devient ici nécessaire. Il ne s’agit plus seulement de faire place au genre dans l’histoire migratoire, mais bien de ressaisir en quoi la condition de femme détermine un parcours.
Pour beaucoup d’entre elles, que rencontrent Claire Mestre et Estelle Gioan au CHU de Bordeaux, ou Muriel Montagut au Centre Frantz Fanon de la Cimade, l’exil a déjà lieu au pays, sous le coup de dominations enracinées. Il se prolonge dans l’exposition à de multiples violences, notamment sexuelles, qui émaille ensuite le long voyage.
Le genre produit des épreuves spécifiques, également attestées dans le devenir de ces femmes. À l’espoir placé en elles par la famille restée au pays se conjuguent des politiques migratoires qui les flèchent vers la précarité. Réputées dociles et bon marché, elles sont surreprésentées parmi ces si essentielles travailleuses de la deuxième ligne dont parle Joanne Le Bars.
Or, une fois de plus, cette présence massive de femmes migrantes aux interstices du travail formel et informel tendrait à passer sous silence deux aspects capitaux. D’une part, le profil des migrantes a évolué. Aujourd’hui plus indépendantes, plus mobiles et plus diplômées, elles n’en ressentent que plus fortement le sentiment de déclassement social et professionnel dont Rose-Myrlie Joseph nous fait témoins.
D’autre part et pour la même raison, la fréquente précarité de leur condition d’exilée conduit à sous-estimer leur capacité de mobilisation, de résilience et de rebond. Ancienne directrice de Femmes inter associations, Adolé Quaye rend compte, à l’appui de sa propre expérience, que les plafonds de verre n’ont rien d’une fatalité. Le célèbre adage de Simone de Beauvoir n’a, lui, rien perdu de sa puissance.