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Et une réforme. Une de plus. La Politique agricole commune se prépare à sa grande mue post-2020. Ses inspirateurs, Commission de Bruxelles en tête, la promettent plus équitable, plus durable et plus en phase avec les préoccupations environnementales, dans le sillage du Pacte vert européen. Plus « humaine », en somme ? Ces nobles objectifs supposent de mobiliser une population agricole, et plus largement rurale, dont les effectifs n’ont cessé de diminuer en soixante ans d’application de la PAC. Et pour cause.
En amenant la question de l’emploi au centre du présent dossier, en partenariat avec la CFTC et la CFTC Agri, la Revue Projet a voulu s’emparer du grand absent de la politique agricole européenne depuis ses débuts. La PAC n’a, en effet, jamais inclus l’emploi dans ses priorités. Elle a même contribué à réduire le nombre d’actifs en agriculture en scellant le passage du monde paysan d’hier au secteur agricole d’aujourd’hui, nous rappelle dans ce dossier Jean-Marie Séronie. Les politiques nationales ont tout autant posé le primat de l’agrandissement des exploitations sur l’installation de nouveaux agriculteurs, comme l’analyse dans la foulée Gilles Bazin.
La PAC n’a jamais inclus l’emploi dans ses priorités.
Plusieurs réformes antérieures ont tenté de corriger cette tendance : celle de 1999, promotrice d’un second pilier de financement dédié au développement rural (cf. p. 44) ; celle de 2003, diminuant les aides directes aux grandes exploitations ; celle de 2013, les réorientant par le paiement redistributif au profit des petites, tout en favorisant des pratiques plus vertueuses. Or ces mesures, également destinées à soutenir la croissance et l’emploi, n’ont démontré qu’un impact relatif sur ce dernier.
L’attractivité du secteur agricole passerait-elle alors par des aides conditionnées au respect des règles de temps, de sécurité et de santé au travail ? Soutenue par le Parlement européen, cette proposition ne convainc pas tous les acteurs, notent Cécile Détang-Dessendre et Laurent Piet. D’aucuns plaident pour des aides calculées en fonction du nombre de personnes employées (les « actifs ») et non plus des hectares. Séduisante sur le papier, rétorquent Hervé Guyomard et Vincent Chatellier, la solution ferait aussi des perdants parmi les États membres.
C’est précisément de ces derniers que dépendra le succès de la PAC actuellement renégociée, à la faveur d’une marge de manœuvre accrue. Cette subsidiarité, sinon cette renationalisation, de la PAC justifie des craintes de distorsion de concurrence et de « moins-disant » environnemental, selon le diagnostic de Pierre Dupraz. Pour autant, le monde agricole a su développer ses propres laboratoires d’innovation sociale, technique et pratique grâce au modèle coopératif. Comme en témoignent Luc Vermeulen et Dominique Chargé, la réponse des territoires aux défis présents n’ira pas sans le maintien et le renouvellement des acteurs de la ruralité. Le vivier des petites exploitations, détaillé par Sophie Thoyer et Pauline Lécole, dessinerait justement un modèle à la fois générateur d’emplois et inscrit dans la transition agroécologique.
« La PAC marche sur des œufs », titrait la Revue Projet voici une décennie. L’actualité recharge le constat et invite au changement de paradigme que l’ancien commissaire européen Dacian Cioloş appelle de ses vœux : une PAC rebâtie sur des critères d’utilité sociale et environnementale. Et toujours européenne.