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Dossier : Cultiver l’emploi, PAC ou pas cap ?

Emplois aidés : gage de qualité ?

Crédits : Andrii Yalanskyi / iStock
Crédits : Andrii Yalanskyi / iStock

Face au vieillissement des agriculteurs, la PAC post-2020 entend favoriser le renouvellement de la profession. L’attribution d’aides en fonction de la qualité des conditions de travail est une piste prometteuse pour soutenir l’emploi.


Le nombre d’agriculteurs dans tous les pays de l’Union européenne ne cesse de diminuer et les agriculteurs européens vieillissent. Plus de la moitié avait plus de 55 ans en 2016. Une majorité d’entre eux est donc susceptible d’avoir déjà pris sa retraite ou de le faire bientôt.

Tous types d’emplois confondus, le nombre d’unités de travail annuel1 (UTA), qui quantifie le travail agricole, n’a cessé de baisser pour atteindre 9 millions en 2019 au sein des vingt-huit pays de l’Union européenne. Le renouvellement des actifs constitue l’un des neuf objectifs de la PAC post-2020. Cette situation est le résultat d’une transformation massive du secteur productif agricole, voulue et accompagnée tant par la PAC que par les politiques agricoles nationales. Rappel des faits.

En 1968, le plan Mansholt propose une feuille de route ambitieuse devant conduire au départ de cinq millions d’agriculteurs de « l’Europe des six » et à la redistribution des terres dites « libérées » pour accroître les surfaces des exploitations restantes. Le document est assorti de mesures en faveur de la formation et de la reconversion des agriculteurs. Même si les ambitions sont revues à la baisse face aux réactions négatives de la profession, le plan finalement mis en œuvre concerne la modernisation, la cessation d’activité et la formation. Ainsi en France, entre 1962 et 1988, le nombre d’actifs agricoles, exploitants et salariés, passe de 3,8 à 1,2 million.

©Laurent Piet

Au tournant du siècle, l’UE inscrit le capital humain comme la pierre angulaire de son ambition et le Conseil européen, réuni à Lisbonne en mars 2000, fixe à l’Union un nouvel objectif à dix ans : « Devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale. »

Un laborieux renouvellement

La réforme dite de l’Agenda 2000, en 1999, et l’introduction du second pilier de la PAC (dédié aux politiques de développement rural) devaient contribuer à la réalisation de cette stratégie de l’UE en faveur de la croissance et de l’emploi. Or ce second pilier est cofinancé par les États membres ou leurs collectivités territoriales, ce qui lui confère une forte composante nationale et introduit par là même une disparité entre les États.

Dans les faits, la politique dite de développement rural de l’UE offre surtout des instruments en faveur de l’agriculture, même si, au fil des réformes, les enjeux d’emploi rural sont inscrits à l’agenda et prennent une place plus importante.

En Europe, la main-d’œuvre agricole est encore majoritairement non-salariée.

Au cours des quinze dernières années, la plupart des pays européens connaissent à fois une baisse de la main-d’œuvre agricole totale et un renforcement de la part du salariat. Si le salariat agricole s’est renforcé, compensant une partie des départs des exploitants, conjuguée à l’agrandissement des exploitations, l’agriculture européenne reste, du point de vue de l’organisation du travail, essentiellement une agriculture familiale. En effet, dans tous les pays d’Europe, à l’exception notable du Danemark, de l’Estonie, de la République tchèque et de la Slovaquie, la main-d’œuvre agricole est encore majoritairement non-salariée.

En France, entre 2000 et 2016, le nombre d’exploitants et co-exploitants a baissé de 20 % et celui des aides familiaux de 76 %, quand le nombre d’emplois permanents salariés n’a baissé que de 4,5 %. Les emplois saisonniers enregistrent aussi une baisse de l’ordre de 11 % alors que les emplois dits « externes » (entreprises de travaux agricoles, coopératives d’utilisation de matériel agricole, groupements, etc.) augmentent significativement. De 8 000 unités de travail annuel en 2000, ils sont multipliés par 3,7 entre cette date et 2016.

Le niveau de formation des actifs agricoles suit la tendance générale et augmente très significativement.

Bien sûr, la structure des emplois diffère largement selon les orientations productives. Alors que les emplois non-salariés représentent encore en 2016 près de 90 % de la main-d’œuvre totale dans les exploitations spécialisées en productions animales (bovins-viande, ovins-caprins), ils en représentent moins de la moitié au sein des exploitations viticoles, chez les maraîchers ou les arboriculteurs. Sans surprise, ce sont aussi ces exploitations qui ont le plus recours à la main-d’œuvre saisonnière, en complément des salariés permanents. Les éleveurs de monogastriques (volailles et porcs) ont, quant à eux, recours à des salariés permanents pour plus de 30 % de leur UTA, les emplois saisonniers étant très marginaux.

Le niveau de formation des actifs agricoles suit la tendance générale et augmente très significativement tout au long des vingt-cinq dernières années. En 2017, ils sont 73 % à avoir atteint un niveau d’étude secondaire (BEP, CAP ou Bac), alors qu’ils étaient moins de la moitié en 1995. Ils restent cependant moins formés en moyenne que la population active française, parmi laquelle 84 % ont atteint ce niveau d’étude à la même époque. Les exploitants et exploitantes sont plus qualifiés que les salariés, plus de 40 % de ces derniers ayant au plus un brevet des collèges. Dernière spécificité du secteur agricole, les femmes y sont moins qualifiées que les hommes alors que l’inverse se vérifie dans la population active française, malgré un récent resserrement de cet écart.

Pour 100 agriculteurs qui partent, seuls 70 s’installent.

Le secteur agricole fait désormais face à deux problèmes complémentaires. D’une part, le non-renouvellement total des générations de chefs d’exploitation. Lorsque 100 agriculteurs partent en retraite ou cessent prématurément leur activité, seulement 70 s’installent, soit dans le cadre d’une reprise, soit en créant une nouvelle exploitation. D’autre part, le secteur peine à recruter de la main-d’œuvre salariée, quel que soit le statut proposé.

Le renouvellement des actifs se heurte à plusieurs difficultés, mentionnées dans un récent rapport du Comité économique et social européen (EESC, 2019). Il s’agit notamment : de la parité de revenu entre les activités agricoles et les autres secteurs de l’économie ; de la complexité et de la charge administrative pour accéder aux différentes aides de la PAC ; du standard élevé des normes de production dans l’UE ; du financement des investissements et de la trésorerie ; de l’accès au foncier ; de la faiblesse des retraites agricoles ; des contraintes liées à la vie rurale ; et enfin des nombreux risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs agricoles.

Subventions fléchées

Les mesures de la PAC visent en tout premier lieu les exploitants via le soutien au revenu. Un paiement redistributif a été introduit dans le cadre de la réforme de 2013, pour permettre d’allouer un complément d’aides directes découplées aux premiers hectares des exploitations. Ce levier est favorable aux plus petites structures. L’impact de ce mécanisme redistributif de la programmation 2014-2020 sur l’emploi n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation approfondie. On peut néanmoins s’interroger sur son ampleur réelle, au regard de la faible redistribution des aides qu’il a générée. Une application plus volontariste de ces mécanismes pourrait entraîner des modifications significatives.

Une option résiderait sans doute dans une redistribution plus ambitieuse en faveur des exploitations qui dégagent les revenus par unité de travail les plus faibles, ainsi qu’aux agriculteurs qui s’installent et font face à des charges lourdes, notamment en matière d’investissements.

Les dispositifs en place permettent ce déploiement plus ambitieux puisque les paiements redistributifs peuvent aller jusqu’à un ciblage de 30 % des aides du premier pilier de la PAC, alors qu’ils n’en représentent aujourd’hui que 10 %. Cependant, la latitude de mise en œuvre laissée aux États membres augure de résultats contrastés. Un cadre général plus contraignant serait à envisager. La mise en place d’une PAC à l’actif, en substitution du versement à l’hectare, est aussi une option qui fait débat.

Les aides pourraient être conditionnées au respect des règles en matière de temps de travail, de santé et de sécurité.

Les questions relatives à l’emploi salarié, tant en quantité qu’en qualité, restent les grandes absentes des préoccupations de la PAC qui visent à soutenir les exploitations dans une optique productive, sans considération sociale au-delà du revenu des agriculteurs. L’inclusion de la conditionnalité sociale des aides dans la prochaine PAC est notamment portée par plus de 300 organisations européennes.

Celles-ci demandent que l’octroi des aides soit conditionné au respect de règles en matière de temps de travail, de santé et de sécurité au travail, ou encore de logement pour les salariés. Ce dispositif pourrait jouer sur l’attractivité faible du secteur, tout en protégeant les employeurs qui respectent les droits des salariés du dumping social des moins-disants.

Le Parlement européen soutient cette proposition. Tel n’est pas le cas du Conseil ni de l’association des agriculteurs de l’UE (Copa-Cogeca), qui craint un alourdissement des procédures. Les coûts de mise en œuvre, comme les bénéfices attendus en matière d’attractivité doivent être évalués. Cependant, la durabilité des systèmes agricoles européens ne va pas sans prise en compte de la dimension sociale dans l’attribution des aides à l’échelle de l’Europe, indispensable pour ne pas induire de distorsions de concurrence entre les États membres.

Coexistence des modèles

Beaucoup de mesures ayant un impact sur l’emploi – fiscales et sociales, relatives au foncier ou au droit du travail, etc. – sont en réalité « hors PAC ». Ainsi, en France, 1,9 milliard d’euros correspondant à des allègements de charges sociales ont bénéficié au secteur agricole en 20192, soit près de vingt-trois fois le budget alloué au paiement en faveur des jeunes agriculteurs, trois fois celui alloué au paiement redistributif et pratiquement autant que l’enveloppe correspondant au paiement vert. Or des études portant sur la cohérence, l’efficience et l’efficacité de ces mesures, à la fois internes et externes (avec celles de la PAC), manquent aujourd’hui.

Nombre des mesures évoquées peuvent influer non seulement sur l’emploi, mais aussi sur les formes d’organisation du travail. Se pose alors la question de savoir s’il appartient à la puissance publique de promouvoir certains modèles agricoles plutôt que d’autres.

D’aucuns accordent une importance sociale cruciale au maintien de petites exploitations de semi-subsistance. Pour d’autres, leur maintien limite le développement des plus performantes. Au-delà de l’opposition des différents modèles, les politiques publiques devraient s’attacher à assurer les conditions de leur coexistence au sein des territoires3, selon leurs caractéristiques propres en termes de stabilité, de robustesse, de vulnérabilité et de résilience. À condition qu’ils répondent aux exigences minimales en matière de durabilité économique, sociale et environnementale.

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1 En agriculture, l’unité de travail annuel (UTA) équivaut au travail d’une personne à temps plein pendant une année sur l’exploitation.

2 Voir le rapport Agreste présenté à la Commission des comptes de l’agriculture de la Nation en juillet 2020.

3 Collectif, Coexistence et confrontation des modèles agricoles et alimentaires. Un nouveau paradigme du développement territorial ?, Éditions Quae, 2021.


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