Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Cultiver l’emploi, PAC ou pas cap ?

Coopératives, un modèle à affermir Entretien avec Dominique Chargé

Deyanarobova/iStock
Deyanarobova/iStock

Pour Dominique Chargé, président de La Coopération agricole, les changements structurels auxquels est appelé le secteur agricole n’iront pas sans la promotion de l’organisation collective du travail. La PAC doit en constituer le cadre porteur.


Pourriez-vous nous dresser un bref historique des coopératives jusqu’à nos jours ?

Dominique Chargé – La coopérative est un outil collectif fondé par et pour les agriculteurs pour assumer collectivement ce qu’ils ne souhaitent pas faire individuellement, c’est-à-dire la collecte, la transformation et la commercialisation de leur production. Il existe, en gros, 2 300 coopératives en France, dont 93 % sont des TPE et des PME (donc de petites entreprises), aux côtés de 150 entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de treize grands groupes.

Ces coopératives représentent entre 60 et 70 % de la mise en production et de la collecte, et 40 % de l’agro-alimentaire, donc de la transformation et de la commercialisation. Ce sont des sociétés d’individus et non de capitaux, dont le principe de gouvernance est : une personne = une voix. Ce modèle est né juridiquement à la fin du XIXe siècle, à peu près au même moment que les lois sur le syndicalisme et les associations.

En France, trois agriculteurs sur quatre travaillent en coopérative.

Il s’est considérablement développé à partir de la loi sur la coopération agricole de 1947, l’un des socles de la modernisation de l’agriculture. Actuellement, en France, trois agriculteurs sur quatre travaillent en coopérative, ce qui représente environ 300 000 agriculteurs et 190 000 à 200 000 salariés sur l’ensemble de nos outils. C’est une donnée importante sur le plan social.

Tous recrutements confondus, en 2019, La Coopération agricole a recruté 13 300 salariés, soit 1 000 de plus qu’en 2018. Plus de la moitié de nos coopératives ont recruté en 2019 ces 13 300 salariés. Dans le domaine de l’apprentissage, en 2020, il y a eu 3 100 embauches, soit 39 % de plus qu’en 2019. Le renouvellement des générations à tous les niveaux de la chaîne représente pour nous un enjeu majeur.

Comment garantir selon vous la pérennité du modèle coopératif au vu des nouveaux enjeux posés à l’agriculture ?

L’essor du modèle coopératif dans les années 1960 et 1970 a permis de répondre à trois grandes injonctions. La première était de développer la production pour nourrir la France et l’Europe, car le modèle coopératif s’est aussi construit avec la politique européenne. La deuxième était de favoriser la baisse du coût de l’alimentation, pour permettre à chaque citoyen d’accéder à une alimentation sûre, en quantité et en qualité. La troisième était de donner accès à un revenu aux agriculteurs et, au-delà, d’émanciper la population rurale et agricole. Le modèle coopératif s’est construit avec la politique européenne.

Les enjeux de transition agro-écologique et de défi climatique nous ont conduits à redéfinir nos stratégies.

Tout cela a plutôt bien fonctionné jusqu’au début des années 1990. Nous sommes alors entrés dans une période de surproduction et les problématiques environnementales ont surgi. L’un des défis clés à relever aujourd’hui pour notre modèle consiste à passer d’une logique de flux poussés à ce que j’appelle une logique de « flux tirés ». Il s’agit de mettre bien plus en adéquation l’offre de production avec la demande des différents marchés, du local à l’international, mais aussi avec les exigences de la société en termes d’environnement, de climat, de biodiversité, etc. Voilà ce qui nous incombe : adapter le modèle.

Aujourd’hui, la dimension du conseil dans l’organisation de la production est devenue primordiale et ces enjeux de transition agro-écologique et de défi climatique nous ont conduits à redéfinir nos stratégies. Se pose de toute évidence la question de la qualification et de la requalification des techniciens qui travaillent aujourd’hui dans nos entreprises.

Certaines filières françaises ont beaucoup reculé depuis une vingtaine d’années, au point de rendre la consommation nationale dépendante des importations. Je pense notamment aux fruits et légumes, mais aussi à la filière du poulet, dont près de la moitié de la consommation française est aujourd’hui importée. La « ferme France » a perdu ses parts de marché sur cette volaille et nous devons les reconquérir en incluant la dimension agro-écologique dans un objectif global de restauration de notre souveraineté alimentaire. On doit également pouvoir, avec la société, redévelopper des projets agricoles et agro-écologiques à l’échelle des territoires.

La Politique agricole commune vous semble-t-elle à même de se saisir de ces problématiques ? Qu’en attendez-vous ?

L’accompagnement de ces transitions agro-écologiques, tout comme la restauration de la souveraineté alimentaire, doivent figurer parmi les priorités de la PAC, notre compétitivité dépendant de cette indissociable équation. Il nous faut également une PAC qui assume, tout en les prévenant, la gestion des risques, qu’ils soient climatiques, sanitaires, économiques ou liés aux marchés.

Nous avons besoin d’une PAC qui privilégie l’organisation collective de la production.

Enfin, nous avons besoin d’une PAC qui privilégie l’organisation collective de la production. C’est ce qui nous fait cruellement défaut dans certaines productions en France comme la viande bovine, pour laquelle la production n’est organisée qu’à hauteur de 30 %.

Cette situation pose un problème criant d’adéquation de l’offre à la demande des marchés, tant au niveau local qu’européen. La PAC doit favoriser le développement des protéines, aussi bien à destination de l’alimentation animale que de la consommation humaine. Elle ne peut plus continuer, comme elle le fait encore trop, à financer, par des aides couplées1, la continuité de productions qui ne répondent plus forcément aux attentes des consommateurs. Il reste à penser un mécanisme PAC qui structure les financements de façon à répondre à l’évolution des marchés et aux attentes des consommateurs et des citoyens.

Quel jugement portez-vous sur la proposition, portée par le débat public, d’une aide à l’actif comme futur levier de la PAC ?

La PAC tient partiellement compte de ce critère ou, tout du moins, respecte un certain nombre d’hectares par actif. Le paiement dit « redistributif » de la PAC, découplé de la production et d’un montant fixe au niveau national, renforce le financement des 52 premiers hectares par exploitant. Quand on parle globalement de rémunération à l’actif, on inclut, semble-t-il, les exploitants et les salariés actuellement en fonction au sein des exploitations.

Je comprends la préoccupation, mais je crains que vouloir l’obtenir par la voie réglementaire ne soit pas la meilleure solution. Toute évolution décidée devra, en tout cas, servir les objectifs fondamentaux de la PAC : répondre aux défis agro-climatiques et agro-écologiques, assurer une meilleure adéquation de l’offre de production à la demande des marchés et aux attentes des citoyens et des consommateurs, renforcer la dynamique socio-économique des territoires français, essentiellement ruraux et garantir la résilience de notre chaîne alimentaire.

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Aux origines du patriarcat

On entend parfois que le patriarcat serait né au Néolithique, près de 5 000 ans avant notre ère. Avant cela, les femmes auraient été libres et puissantes. Les données archéologiques mettent en doute cette théorie. De très nombreux auteurs, de ce siècle comme des précédents, attribuent la domination des hommes sur les femmes à l’essor de l’agriculture, lors du Néolithique. Cette idée est largement reprise dans les médias, qui p...

Du même dossier

Emplois aidés : gage de qualité ?

Face au vieillissement des agriculteurs, la PAC post-2020 entend favoriser le renouvellement de la profession. L’attribution d’aides en fonction de la qualité des conditions de travail est une piste prometteuse pour soutenir l’emploi. Le nombre d’agriculteurs dans tous les pays de l’Union européenne ne cesse de diminuer et les agriculteurs européens vieillissent. Plus de la moitié avait plus de 55 ans en 2016. Une majorité d’entre eux est donc susceptible d’avoir déjà pr...

Une autre PAC est possible

Eurodéputé et ancien Premier ministre de la Roumanie, Dacian Cioloș plaide pour une PAC rebâtie à la mesure des enjeux sociaux et environnementaux qu’elle ne peut plus contourner. Entretien exclusif. La PAC a fortement évolué depuis ses origines, en particulier avec la réforme de 1992. Considérez-vous que cette réforme post-2020 fait entrer la PAC dans un nouveau paradigme social et environnemental ?Dacian Cioloș – Hélas, non. Il s’agit d’un ajustement de ce qui ...

L'hectare ou l'employé ?

Au nom d’une PAC plus égalitaire et humaine, des voix plaident en faveur d’aides européennes calculées non plus en fonction du nombre d’hectares, mais du nombre de personnes employées. La solution n’est pourtant pas sans effets indésirables. Les agriculteurs français et européens sont devenus, pour une grande majorité d’entre eux, fortement dépendants des soutiens budgétaires alloués dans le cadre de la PAC. Cette situation s’explique, d...

Du même auteur

Un secteur à rebâtir

Un marronnier pousse régulièrement à l’aune des prix immobiliers qui s’envolent. La « crise du logement » essaime les Unes avec l’intensité d’un fait divers. Guère neuf dans sa formulation, le fait est bel et bien durable et systémique. Mais bien malin qui pourrait percer les entrailles du phénomène. Un chez-soi devrait aller de soi. Le droit se heurte à bien des blocages qu’il s’agit d’identifier.La Revue Projet tente de s’y atteler dans ce nouveau dossier, élaboré en partenariat avec le Secou...

« La chaîne du logement est grippée »

Face à la crise du logement et aux mutations d’usage, Paris Habitat s’engage à répondre aux besoins de ses locataires en matière d’habitation et d’accompagnement social. Retrouvez cet entretien en podcastIl existe divers types d’organismes bailleurs. Quel est celui de Paris Habitat et quelle latitude lui donne-t-il dans ses missions ?Florian Maillebuau – Paris Habitat est un office public de l’habitat (OPH), ce qui lui permet d’être en lien ave...

« La concentration de propriété s’accentue »

La crise du logement en France résulte aussi d’une concentration de la propriété et d’un recul des politiques publiques. Face à la spéculation, des modèles alternatifs émergent en Europe. Le phénomène de la spéculation immobilière est-il consubstantiel à l’existence de l’habitat et du logement ? Comment s’est-il développé ?Isabelle Rey-Lefebvre – La spéculation immobilière est liée à la propriété même de l’habitat. En France, un vrai d...

1 On parle d’une aide couplée lorsque celle-ci dépend directement des quantités produites.


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules