Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
En France, les politiques agricoles ont longtemps fait primer l’agrandissement sur l’installation de nouvelles fermes. Pour renouveler la profession et faire face à la réduction du nombre d’exploitations, un renversement s’impose.
Les premières politiques spécifiques concernant l’emploi agricole en France sont issues des lois d’orientation agricole du début des années 1960. Sous l’impulsion de la Jeunesse agricole catholique (JAC), la question de la nécessaire restructuration des exploitations, impliquant la réduction du nombre de paysans, n’est plus taboue.
Elle rencontre l’objectif de modernisation de l’appareil productif agricole porté par le pouvoir gaulliste et son ministre de l’Agriculture, Edgard Pisani. Il promeut le premier système de préretraite agricole : l’Indemnité viagère de départ (IVD).
À cette époque, le régime de retraites agricoles à 65 ans (mis en œuvre à partir de 1955) n’est pas vraiment opérationnel. Les chefs de culture travaillent et tiennent les cordons de la bourse jusqu’à leur mort, ce qui ne favorise pas la prise d’initiative du successeur.
En vigueur de 1962 à 1990, l’IVD s’adresse aux exploitants agricoles qui cessent leur activité en rendant disponible leur exploitation, soit pour un agrandissement, soit pour une installation (y compris celle de leur successeur)1. En trois décennies, l’IVD aura concerné plus de 500 000 d’entre eux et ainsi libéré 11 millions d’hectares, bien que destinés pour l’essentiel à l’agrandissement.
Les préretraites ont accéléré la restructuration des exploitations, jugée indispensable.
En 1990, année de l’abaissement à 60 ans de l’âge de la retraite en agriculture, un dispositif de préretraite européen, cofinancé à 50 % par la PAC, remplace l’IVD. Il s’applique aux exploitants âgés de 55 à 60 ans et totalisant au moins quinze ans d’activité à titre principal. Avec une aide annuelle de 8 750 euros de 1992 à 1995, il bénéficie à 40 600 agriculteurs et concerne 1,2 million d’hectares, dont 80 % dévolus à l’agrandissement.
La mesure est réorientée en 1995 en faveur des jeunes. Durant trois ans, 670 000 hectares sont ainsi rendus disponibles, dont 60 % vont à l’installation. Enfin, de 1998 à 2005, date de sa disparition, le dispositif de préretraite est réservé aux agriculteurs contraints de cesser leur activité du fait de difficultés économiques ou de problèmes de santé.
Ce système a ainsi démontré sa souplesse. Au total, en France, de 1962 à 2005, les préretraites ont touché 715 000 agriculteurs et libéré 13,3 millions d’hectares, soit 45 % de la surface agricole utilisée (SAU) du pays dont deux tiers à l’agrandissement. Au final, les préretraites ont accéléré un processus de restructuration des exploitations alors jugé inéluctable pour assurer la compétitivité de l’agriculture française au sein du marché commun.
C’est en 1973 que, face à la désertification de certains massifs, les agriculteurs de montagne obtiennent des soutiens à l’installation des jeunes agriculteurs, étendus à l’ensemble du territoire national en 1976. Ces soutiens vont aux moins de 35 ans (40 ans à partir de 2000) titulaires d’une formation agricole, disposant d’une surface minimale d’installation et présentant un projet viable d’exploitation en s’engageant à exercer pendant cinq ans à titre principal.
Les principaux soutiens consistent, d’une part, en une aide en capital ou dotation jeune agriculteur (DJA), échelonnée de 16 350 euros en plaine à 29 400 euros en montagne. Et, d’autre part, en des prêts bonifiés au taux très avantageux de 3 % à 5 %, à une époque d’inflation à deux chiffres.
En 1981, la PAC reprend à son compte le dispositif d’installation français en le finançant à hauteur de 25 % et le fait évoluer à la marge : modulation du montant de la DJA en fonction du projet, possibilité de toucher une demi-DJA pour les pluriactifs, majoration de la DJA en cas d’installation avec le conjoint, dégrèvement des cotisations sociales et fiscales pendant cinq années. Face à la baisse continue du nombre de DJA, de 12 500 en 1990 à moins de 5 000 en 2010, la loi d’orientation agricole de 2014 a assoupli les conditions d’installation.
Au critère très sélectif de la superficie minimale s’est substituée une activité minimum d’assujettissement, correspondant à 1 200 heures et prenant en compte les activités de transformation, la vente directe et le tourisme à la ferme. Le niveau moyen de la DJA s’élève à 32 000 euros en 2019 avec une modulation en fonction des zones et du projet. À raison d’un budget de 160 millions d’euros, la gestion de la DJA est confiée aux régions depuis 2013.
C’est à cette même date que la PAC a inclus un paiement additionnel à son premier pilier – consacré aux aides directes – pour tous les installés de moins de 40 ans, pendant cinq ans. En France, 30 498 exploitants en ont bénéficié en 2018, pour un montant moyen de 2 640 euros.
En 2019, 20 000 cessations d’exploitation ont été enregistrées, contre 13 406 installations.
En 2019, la Mutualité sociale agricole (MSA) a enregistré 20 000 cessations d’exploitation et 13 406 installations, dont 9 155 d’agriculteurs de moins de 40 ans, mais à peine plus de 5 000 avec une DJA. Les bénéficiaires de la DJA sont pour 27 % des femmes et pour 35 % des pluriactifs. 30 % des installations se situent hors du cadre familial. Les statistiques de la MSA révèlent que 88 % des installés de moins de 40 ans sont toujours en activité à l’issue des cinq années statutaires, ce qui constitue un excellent résultat.
Or vu le rythme actuel des entrées et des sorties – un agriculteur sur trois n’étant pas remplacé –, et compte tenu du vieillissement de la population des exploitants, dont 45 % atteindront l’âge de la retraite dans les dix ans à venir, la France ne compterait plus que de 320 000 à 350 000 exploitations en 2030. Pour maintenir à cette date le niveau actuel de 400 000 exploitations, il faudrait accroitre le nombre d’installations de plus de 5 000 chaque année et pratiquement doubler le nombre de DJA. Une réforme du dispositif apparaît indispensable afin de prioriser le renouvellement générationnel plutôt que l’agrandissement.
1 Pour bénéficier de l’IVD, il faut être exploitant agricole à titre principal, être âgé de 60 à 65 ans et cultiver au moins trois hectares.