Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

La Revue Projet, c'est...

Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.

Dossier : Cultiver l’emploi, PAC ou pas cap ?

Turn-over d’agriculteurs

© Valentyn Telefus/iStock
© Valentyn Telefus/iStock

En France, les politiques agricoles ont longtemps fait primer l’agrandissement sur l’installation de nouvelles fermes. Pour renouveler la profession et faire face à la réduction du nombre d’exploitations, un renversement s’impose.


Les premières politiques spécifiques concernant l’emploi agricole en France sont issues des lois d’orientation agricole du début des années 1960. Sous l’impulsion de la Jeunesse agricole catholique (JAC), la question de la nécessaire restructuration des exploitations, impliquant la réduction du nombre de paysans, n’est plus taboue.

Elle rencontre l’objectif de modernisation de l’appareil productif agricole porté par le pouvoir gaulliste et son ministre de l’Agriculture, Edgard Pisani. Il promeut le premier système de préretraite agricole : l’Indemnité viagère de départ (IVD).

À cette époque, le régime de retraites agricoles à 65 ans (mis en œuvre à partir de 1955) n’est pas vraiment opérationnel. Les chefs de culture travaillent et tiennent les cordons de la bourse jusqu’à leur mort, ce qui ne favorise pas la prise d’initiative du successeur.

En vigueur de 1962 à 1990, l’IVD s’adresse aux exploitants agricoles qui cessent leur activité en rendant disponible leur exploitation, soit pour un agrandissement, soit pour une installation (y compris celle de leur successeur)1. En trois décennies, l’IVD aura concerné plus de 500 000 d’entre eux et ainsi libéré 11 millions d’hectares, bien que destinés pour l’essentiel à l’agrandissement.

Les préretraites ont accéléré la restructuration des exploitations, jugée indispensable.

En 1990, année de l’abaissement à 60 ans de l’âge de la retraite en agriculture, un dispositif de préretraite européen, cofinancé à 50 % par la PAC, remplace l’IVD. Il s’applique aux exploitants âgés de 55 à 60 ans et totalisant au moins quinze ans d’activité à titre principal. Avec une aide annuelle de 8 750 euros de 1992 à 1995, il bénéficie à 40 600 agriculteurs et concerne 1,2 million d’hectares, dont 80 % dévolus à l’agrandissement.

La mesure est réorientée en 1995 en faveur des jeunes. Durant trois ans, 670 000 hectares sont ainsi rendus disponibles, dont 60 % vont à l’installation. Enfin, de 1998 à 2005, date de sa disparition, le dispositif de préretraite est réservé aux agriculteurs contraints de cesser leur activité du fait de difficultés économiques ou de problèmes de santé.

Ce système a ainsi démontré sa souplesse. Au total, en France, de 1962 à 2005, les préretraites ont touché 715 000 agriculteurs et libéré 13,3 millions d’hectares, soit 45 % de la surface agricole utilisée (SAU) du pays dont deux tiers à l’agrandissement. Au final, les préretraites ont accéléré un processus de restructuration des exploitations alors jugé inéluctable pour assurer la compétitivité de l’agriculture française au sein du marché commun.

Soutiens à la jeunesse

C’est en 1973 que, face à la désertification de certains massifs, les agriculteurs de montagne obtiennent des soutiens à l’installation des jeunes agriculteurs, étendus à l’ensemble du territoire national en 1976. Ces soutiens vont aux moins de 35 ans (40 ans à partir de 2000) titulaires d’une formation agricole, disposant d’une surface minimale d’installation et présentant un projet viable d’exploitation en s’engageant à exercer pendant cinq ans à titre principal.

Les principaux soutiens consistent, d’une part, en une aide en capital ou dotation jeune agriculteur (DJA), échelonnée de 16 350 euros en plaine à 29 400 euros en montagne. Et, d’autre part, en des prêts bonifiés au taux très avantageux de 3 % à 5 %, à une époque d’inflation à deux chiffres.

En 1981, la PAC reprend à son compte le dispositif d’installation français en le finançant à hauteur de 25 % et le fait évoluer à la marge : modulation du montant de la DJA en fonction du projet, possibilité de toucher une demi-DJA pour les pluriactifs, majoration de la DJA en cas d’installation avec le conjoint, dégrèvement des cotisations sociales et fiscales pendant cinq années. Face à la baisse continue du nombre de DJA, de 12 500 en 1990 à moins de 5 000 en 2010, la loi d’orientation agricole de 2014 a assoupli les conditions d’installation.

Bertrand Coly,
©Bertrand Coly, Cese, 2020.

Au critère très sélectif de la superficie minimale s’est substituée une activité minimum d’assujettissement, correspondant à 1 200 heures et prenant en compte les activités de transformation, la vente directe et le tourisme à la ferme. Le niveau moyen de la DJA s’élève à 32 000 euros en 2019 avec une modulation en fonction des zones et du projet. À raison d’un budget de 160 millions d’euros, la gestion de la DJA est confiée aux régions depuis 2013.

C’est à cette même date que la PAC a inclus un paiement additionnel à son premier pilier – consacré aux aides directes – pour tous les installés de moins de 40 ans, pendant cinq ans. En France, 30 498 exploitants en ont bénéficié en 2018, pour un montant moyen de 2 640 euros.

En 2019, 20 000 cessations d’exploitation ont été enregistrées, contre 13 406 installations.

En 2019, la Mutualité sociale agricole (MSA) a enregistré 20 000 cessations d’exploitation et 13 406 installations, dont 9 155 d’agriculteurs de moins de 40 ans, mais à peine plus de 5 000 avec une DJA. Les bénéficiaires de la DJA sont pour 27 % des femmes et pour 35 % des pluriactifs. 30 % des installations se situent hors du cadre familial. Les statistiques de la MSA révèlent que 88 % des installés de moins de 40 ans sont toujours en activité à l’issue des cinq années statutaires, ce qui constitue un excellent résultat.

Or vu le rythme actuel des entrées et des sorties – un agriculteur sur trois n’étant pas remplacé –, et compte tenu du vieillissement de la population des exploitants, dont 45 % atteindront l’âge de la retraite dans les dix ans à venir, la France ne compterait plus que de 320 000 à 350 000 exploitations en 2030. Pour maintenir à cette date le niveau actuel de 400 000 exploitations, il faudrait accroitre le nombre d’installations de plus de 5 000 chaque année et pratiquement doubler le nombre de DJA. Une réforme du dispositif apparaît indispensable afin de prioriser le renouvellement générationnel plutôt que l’agrandissement.

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Aux origines du patriarcat

On entend parfois que le patriarcat serait né au Néolithique, près de 5 000 ans avant notre ère. Avant cela, les femmes auraient été libres et puissantes. Les données archéologiques mettent en doute cette théorie. De très nombreux auteurs, de ce siècle comme des précédents, attribuent la domination des hommes sur les femmes à l’essor de l’agriculture, lors du Néolithique. Cette idée est largement reprise dans les médias, qui p...

Du même dossier

L'hectare ou l'employé ?

Au nom d’une PAC plus égalitaire et humaine, des voix plaident en faveur d’aides européennes calculées non plus en fonction du nombre d’hectares, mais du nombre de personnes employées. La solution n’est pourtant pas sans effets indésirables. Les agriculteurs français et européens sont devenus, pour une grande majorité d’entre eux, fortement dépendants des soutiens budgétaires alloués dans le cadre de la PAC. Cette situation s’explique, d...

PAC et Pacte vert : le grand écart

Les ambitions du Pacte vert européen se concrétiseront-elles grâce à la nouvelle PAC ? Elles appellent en tout cas des interventions des autorités publiques beaucoup plus fortes dans les secteurs agricole et alimentaire. La Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen pour la période 2019-2024, a entériné en 2019 le Pacte vert européen, avec une ambition renouvelée en matière de politiques climatiques et environnementales. Émise en mai 2020, l...

L’angle mort de la PAC

De l’autosuffisance alimentaire à l’adaptation aux marchés mondiaux, les objectifs de la PAC ont changé du tout au tout depuis son instauration en 1962. Cette évolution explique que l’emploi agricole n’ait jamais figuré parmi ses priorités. La Politique agricole commune (PAC) reste aujourd’hui le premier poste budgétaire de l’Union européenne (UE). Elle est aussi la plus ancienne et unique politique européenne intégrée1. L’agricul...

1 Pour bénéficier de l’IVD, il faut être exploitant agricole à titre principal, être âgé de 60 à 65 ans et cultiver au moins trois hectares.


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules