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L’Union européenne doit à la PAC de tenir un rang majeur dans le commerce mondial de denrées agroalimentaires. Une place qui lui confère de grandes responsabilités.
Les échanges agroalimentaires mondiaux ont triplé depuis 2000 en monnaie courante sous l’influence de plusieurs facteurs. L’ouverture croissante des économies permise par la baisse des protections douanières en est un déterminant. S’y ajoutent la croissance des populations et des revenus, au prix cependant de fortes inégalités selon les zones géographiques. Citons aussi l’urbanisation croissante, le progrès technologique et la diminution des coûts de transport. Les produits agroalimentaires occupent cependant une place décroissante dans le commerce mondial des marchandises – environ 9 % en 2019 –, la dynamique des exportations de produits manufacturés étant encore plus rapide.
Le commerce mondial de produits agroalimentaires s’élève à 1 025 milliards d’euros, hors échanges entre les États membres de l’Union européenne (UE). Dominé par les productions végétales (66 %), loin devant les productions animales (17 %), les poissons (11 %) et les boissons (6 %), il porte de plus en plus sur des produits transformés et de moins en moins sur des produits agricoles bruts. Les exportations résultent, pour une part importante, de plusieurs dizaines de très grandes entreprises internationalisées, issues de différents pays : les États-Unis (PepsiCo, Tyson Foods, The Coca-Cola Company, Mars, Cargill, Kraft Heinz), le Brésil (JBS), la Suisse (Nestlé), le Royaume-Uni et les Pays-Bas (Unilever), mais aussi la France (Danone, Lactalis).
L’UE occupe le premier rang des exportateurs de produits agroalimentaires, avec 14,9 % des flux internationaux. Elle devance ainsi les États-Unis (12,4 %), le Brésil (6,9 %), la Chine (5,8 %), le Canada (4,6 %), l’Argentine (3,5 %), le Mexique (3,2 %), la Thaïlande (3,1 %), l’Indonésie (3,1 %) et l’Inde (3,1 %). Ces dix pays contribuent pour 60 % aux exportations mondiales ; une proportion qui a peu évolué au cours des vingt dernières années.
Les exportations de l’UE vers les pays tiers résultent à 63 % de cinq États membres : la France, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.
Le poids de l’UE dans les exportations mondiales varie fortement selon les catégories de produits agroalimentaires. Il atteint, par exemple, des niveaux très élevés pour les boissons (49 %), la viande porcine (42 %), les produits laitiers (35 %) et les produits horticoles (25 %), pour lesquels l’UE dispose de nombreux atouts. Le niveau est, en revanche, faible pour certains autres produits, tels que les oléagineux (moins de 2 %), la viande ovine et caprine (3 %), les fruits et légumes (4 %), ou encore les poissons (5 %).
Les principaux clients de l’UE dans le secteur agroalimentaire sont les États-Unis (15,9 %), la Chine (12,2 %), la Suisse (5,6 %), le Japon (5,1 %), la Russie (4,5 %, mais en forte baisse suite à l’application de l’embargo de 2014), la Norvège (3,1 %), le Canada (2,5 %), l’Arabie saoudite (2,4 %), l’Australie (2,3 %) et la Turquie (2,3 %). Ces dix pays captent 56 % des exportations de l’UE. Les exportations de l’UE vers les pays tiers résultent à 63 % de cinq États membres, par ordre décroissant : la France, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.
L’UE occupe de même la première place des importateurs avec 13,8 % des flux mondiaux. Cette situation originale démontre le très fort degré d’ouverture de l’économie européenne, malgré les accusations extérieures parfois portées contre la PAC d’être protectionniste. L’UE devance ainsi les États-Unis (13,4 %), la Chine (13,2 %), le Japon (5,9 %), le Canada (3,3 %), la Corée du Sud (2,8 %), la Russie (2,4 %), le Vietnam (2,4 %), le Mexique (2,3 %) et l’Arabie saoudite (1,8 %). Ces dix pays assurent 61 % des importations mondiales.
Le poids de l’UE dans les importations atteint des niveaux importants pour le café, le thé et le cacao (27 %), l’huile de palme (27 %), les fruits (23 %), les produits horticoles (23 %), les poissons (22 %) et les oléagineux (16 %). Le constat va à l’inverse s’agissant des boissons (9 %), de la viande bovine (4 %), des produits laitiers (3 %) et de la viande porcine (0,4 %). Ces écarts tiennent à plusieurs facteurs, notamment à la capacité ou non de produire ces biens localement compte tenu des potentiels pédoclimatiques. L’intérêt économique d’un approvisionnement à moindre coût joue par ailleurs, en raison notamment des différentiels existant dans le coût du travail pour la production de certains biens.
Dix pays fournissent 43 % de l’approvisionnement de l’UE. Après le Brésil (7,1 %) suivent les États-Unis (6,6 %), la Norvège (5,2 %), la Chine (5,1 %), l’Ukraine (4,9 %), l’Argentine (3,6 %), la Suisse (3,2 %), l’Indonésie (2,9 %), l’Inde (2,3 %) et la Côte d’Ivoire (2,3 %). Les importations de l’UE en provenance des pays tiers à l’époque des Vingt-Huit résultent néanmoins aux deux tiers de cinq États membres, par ordre décroissant : les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie (la France se classe en sixième position). Une partie des produits importés dans les pays précités est ensuite commercialisée partout dans l’UE.
Au seuil du Brexit, l’UE dégage un solde agroalimentaire de 8 milliards d’euros. Cette situation résulte de nets contrastes selon les produits. Nettement excédentaire en boissons (26 milliards d’euros), en produits laitiers (16 milliards), en viande porcine (10 milliards) et en céréales et préparations à base de céréales (8 milliards), le Vieux Continent apparaît, en revanche, lourdement déficitaire en poissons (-21 milliards), en fruits et légumes (-20 milliards), en café, thé et cacao (-9 milliards) et en graines oléagineuses (-7 milliards).
Le déficit commercial de l’UE est très important avec l’Amérique du Sud (-26 milliards d’euros) qui exporte vers l’UE du soja (sans droits de douane), des viandes et des fruits tropicaux. Illustrant cette tendance au premier chef, le Brésil attire de plus en plus les critiques de la communauté internationale en raison de ses orientations politiques internes, qui autorisent la déforestation de l’Amazonie au bénéfice du développement de son agriculture. Cette destruction s’est encore accélérée sous la présidence de Jair Bolsonaro. Selon l’Institut national de recherches spatiales (INPE), 11 000 km2 de forêt tropicale ont été rasés entre août 2019 et juillet 2020. L’accord commercial conclu entre l’UE et les pays du Mercosur1, mais non ratifié par les pays impliqués, suscite toujours de vives tensions à ce titre.
La balance commerciale agroalimentaire de l’UE demeure positive avec les États-Unis, en dépit des taxations imposées sous la présidence Trump.
Si le solde de l’UE est déficitaire avec l’Afrique (-3,8 milliards d’euros), la situation est contrastée selon les pays, les 54 États du continent captant au total 12 % des exportations de l’UE, soit un peu moins que la Chine. À l’inverse, la balance commerciale agroalimentaire de l’UE demeure largement positive avec les États-Unis (14,7 milliards), en dépit des taxations imposées sous la présidence Trump. Les exportations de l’UE vers ce pays concernent souvent des produits à forte valeur ajoutée (vins, spiritueux, fromages) alors que les importations concernent d’abord des graines oléagineuses et des fruits.
La balance commerciale est également positive avec les pays du Proche et du Moyen-Orient (11,5 milliards). La Chine occupe le deuxième rang des pays avec lesquels le solde commercial de l’UE est positif (11,4 milliards), en raison surtout des importations chinoises de viande porcine et de produits laitiers. Le Japon, avec qui un accord de partenariat économique ambitieux est entré en vigueur en 2019, occupe le troisième rang (7,3 milliards d’euros).
L’UE tient donc une place majeure dans le commerce mondial des produits agroalimentaires, ce qui ne manque pas de susciter certaines tensions avec d’autres pays concurrents, où les modèles productifs privilégiés en agriculture sont parfois très différents. Cette position confère à l’UE une forte responsabilité quant aux stratégies commerciales à privilégier pour l’avenir. Parallèlement au Pacte vert, une nouvelle feuille de route en ce sens a été justement dévoilée par la Commission européenne, le 18 février 2021. Mettant en avant le concept d’autonomie stratégique ouverte, elle s’appuie sur la volonté de contribuer à la reprise économique en soutenant les transformations écologique et numérique. Cette ambition de l’UE insiste sur la nécessité d’un renforcement du multilatéralisme et suggère une réforme des règles du commerce mondial, de sorte que celles-ci intègrent davantage les questions relatives à la soutenabilité écologique. Le pari sera-t-il tenu ?
1 Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay.