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Dossier : Cultiver l’emploi, PAC ou pas cap ?

Quand les machines créent des emplois Entretien avec Luc Vermeulen

Crédits : Jevtic / iStock
Crédits : Jevtic / iStock

En s’étendant à la mutualisation de la main-d’œuvre, les coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) sont devenues génératrices d’emploi en agriculture comme l’explique Luc Vermeulen, président de leur fédération nationale.


Quand sont nées les Cuma et comment fonctionnent-elles ?

Luc Vermeulen – Le statut Cuma est né juste après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, avec l’objectif de moderniser l’agriculture et d’appuyer la montée en puissance de la machine au sein des exploitations agricoles. Le modèle a eu du mal à prendre sur le moment. Son grand essor est advenu dans les années 1980 et s’est encore renforcé la décennie suivante avec la réforme de la PAC de 1992. Une structuration forte s’est opérée avec la mutualisation des machines mais aussi de la main-d’œuvre. L’outillage agricole devient de plus en plus sophistiqué et requiert beaucoup de compétences dans des temps d’intervention de plus en plus courts. Nous avons gagné en performance et en compétitivité.

Cette dynamique se poursuit depuis les cinq dernières années. Les spécialisations d’exploitations font, par exemple, que des agriculteurs qui se consacrent à l’élevage délèguent la partie « cultures » tout en étant associés aux choix de matériel. D’autre part, beaucoup de Cuma se créent aujourd’hui en aval de la production, autour du conditionnement et de la transformation, ce qui génère des emplois. Certaines Cuma de conditionnement rassemblent vingt-cinq à trente salariés, dans un champ de compétences complètement différent, mais toujours sous une dynamique de création et d’utilisation de main-d’œuvre partagée.

Quel est le poids actuel des Cuma dans le panorama de l’emploi agricole ?

Luc Vermeulen – Depuis le milieu des années 2010, les Cuma peuvent être des groupements d’employeurs1 à titre principal. Cet acquis coïncide avec une mutation du monde agricole où, au fil des années, l’emploi salarié se développe. Entre 2017 et 2020, les Cuma ont généré 700 emplois selon nos récentes statistiques, sachant qu’elles font travailler 4 500 à 5 000 salariés. Aujourd’hui, 2 000 Cuma emploient de la main-d’œuvre, parce qu’il y a non seulement de l’emploi salarié, mais aussi de l’emploi d’agriculteur à maintenir. Comme j’ai coutume de le dire, là où il y a des Cuma, il y a des agriculteurs.

La moitié de la population agricole va être renouvelée à l’horizon des six ou sept prochaines années et notre modèle présente un atout majeur pour maintenir des agriculteurs et de l’emploi au sein des territoires. En matière d’emploi de main-d’œuvre, nous disposons d’une force réelle, car le statut de groupement d’employeurs nous permet d’intervenir directement dans les exploitations, ce qui n’était pas possible jusqu’alors. Auparavant, le salarié embauché par la Cuma travaillait avec le matériel de la coopérative mais ne pouvait pas emprunter le tracteur d’un adhérent et exercer sur l’exploitation de cet adhérent pour le compte personnel de celui-ci. Désormais, il le peut. Beaucoup d’exploitations nécessitent entre 25 % et 30 % de main-d’œuvre sur l’année et notre modèle de mutualisation permet d’embaucher une personne avec des compétences dédiées pour répondre à cette attente.

« Il faut trouver un salarié qui puisse conduire une machine, entretenir
du matériel et traire des vaches. »

En contrepartie de ses atouts, percevez-vous des limites à ce modèle ?

Luc Vermeulen – Le besoin de compétences très pointues en termes de conduite et d’entretien des machines exige des parcours de formation adaptés que nous ne pouvons pas toujours délivrer en interne. Un autre point sensible est la nécessité d’avoir une organisation bien aboutie pour gérer les salariés. Quand un salarié travaille pour dix employeurs différents, il faut qu’il bénéficie à la fois d’un accompagnement par chaque employeur et de nos formations d’accompagnement de proximité. C’est également un travail que nous menons à la tête de la fédération. L’arrivée du digital et de l’électronique embarquée constitue un vrai sujet en matière d’attractivité et de montée en compétence des salariés par rapport à l’évolution des technologies. C’est un peu comme chercher un mouton à cinq pattes. Il faut trouver un salarié qui puisse à la fois conduire une machine, entretenir du matériel et traire des vaches. Je caricature un peu !

Dans certaines régions de France, les Cuma sont parfois les derniers interlocuteurs pour les agriculteurs auprès du consommateur et des collectivités. J’ai en tête un exemple dans le département de l’Aude (11) où, en fin d’année dernière, nous avons visité une Cuma spécialisée en abattoir multi-espèces. Au cours de cette visite, on nous a clairement expliqué qu’en l’absence de cet outil, vu qu’il n’y a pas d’abattoir à moins de 150 km, les adhérents présents auraient quitté le métier d’agriculteur.

Le modèle Cuma connu en France existe-t-il ailleurs et en particulier en Europe ?

Luc Vermeulen – Notre réseau compte environ 10 500 Cuma qui représentent aujourd’hui un agriculteur sur deux. Le chiffre d’affaires moyen par Cuma se situe entre 75 000 et 80 000 euros, à raison d’un investissement d’environ un demi-milliard d’euros par an. C’est un modèle typiquement français. Dans les années 2000-2010, notre fédération était très sollicitée par les pays de l’Est, mais aussi par l’Afrique et le Canada. Les Cuma restent peu développées à l’échelle européenne.

J’ai effectué un certain nombre de missions en Pologne, en Ukraine ou encore en Serbie. Dans ces pays, la situation est compliquée compte tenu du poids de l’histoire. Dès qu’on y utilise le mot « coopération » ou « coopérative », les interlocuteurs songent aussitôt à l’ère soviétique et énormément de freins apparaissent. On préfère donc parler de « coopération de proximité », dont le modèle est très développé en Italie et plus largement dans les pays du Sud – un peu moins dans les pays du Nord. En France, nous sommes structurés au niveau national, mais aussi en fédérations par régions institutionnelles et en fédérations de proximité à l’échelle départementale et interdépartementale, voire régionale. Ce haut degré de structuration n’existe pas ailleurs.

Qu’attendez-vous de la Politique agricole commune et de sa réforme annoncée applicable à la période 2023-2027 ?

Luc Vermeulen – Nous souhaitons une PAC plus résolument orientée vers la dimension humaine et donc plus centrée sur l’actif que sur les surfaces. L’enjeu présent et à venir, c’est tout de même de maintenir des acteurs et des actifs dans les territoires, même si j’entends que, par les phénomènes de convergence, la France aurait a priori beaucoup à perdre à solliciter des aides calculées sur le volume d’actifs plutôt que sur le surfacique. C’est en tout cas la réponse du ministre. Nous aimerions aussi que la future PAC priorise davantage les collectifs locaux d’agriculteurs, qui sont de véritables laboratoires d’innovation sociale, organisationnelle et technique.

Concernant le deuxième pilier (le développement rural), nous plaidons pour la nécessaire mise en place d’un contrat de territoire et de transition vers l’alimentation durable, qui regroupe à la fois toute la partie investissements et la partie accompagnement individuel des exploitations, à travers des démarches collectives. Les actuelles mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) n’offrent pas de résultats satisfaisants. Nous souhaitons des dispositifs beaucoup plus offensifs et, une fois encore, bien plus orientés sur l’actif, de façon à répondre à la question de l’emploi en agriculture. On ne maintiendra de l’emploi qu’en déployant davantage d’aides à l’actif qu’à l’hectare. J’en suis intimement convaincu.

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