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Face aux inerties gouvernementales dans la lutte contre le dérèglement climatique, les jeunes multiplient les actions de désobéissance civile. Refus de la politique ou nouvelle forme de l’engagement citoyen ?
Des mobilisations de plus en plus fréquentes, de jeunes notamment, intègrent des actions de désobéissance civile dans leurs luttes contre le réchauffement climatique. Certains décrochent des portraits du président de la République dans les mairies, d’autres bloquent la circulation, d’autres encore envahissent le siège d’une grande banque finançant les énergies fossiles. Si sympathiques soient-elles, ces démonstrations ne traduisent-elles pas une inquiétante méfiance envers les procédures politiques traditionnelles ? L’engouement pour la désobéissance civile ne conforte-t-il pas le désintérêt des jeunes pour la politique ?
Il convient de ne pas identifier l’engagement politique pour le « bien commun » et la manière dont fonctionne la politique aujourd’hui. On peut, dès lors, considérer de telles actions non pas comme une sortie du champ politique, mais comme une manière de réinventer l’engagement citoyen. La définition de la désobéissance civile la plus communément admise, celle du philosophe John Rawls, parle d’un « acte public, non violent, décidé en conscience mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent afin d’amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement1 ».
L’adjectif « civil » renvoie clairement au mot « citoyen ». C’est bien dans l’espace public et pour contribuer à l’animer que des citoyens décident de désobéir collectivement à une loi. C’est donc par erreur que l’on parle de désobéissance civile à propos d’actions illégales visant à défendre des intérêts catégoriels ou personnels, comme le refus de porter un masque ou l’ouverture d’un magasin quand les autres restent fermés.
La dimension politique distingue la désobéissance civile de l’« objection de conscience ».
La dimension politique distingue la désobéissance civile de l’« objection de conscience »2, avec laquelle on la confond parfois. Les citoyens qui s’engagent dans une action de désobéissance civile peuvent certes avoir de fortes motivations éthiques, mais leur but n’est pas d’apaiser leur conscience. Il est d’obtenir que soit annulée une loi ou abandonnée une politique jugées néfastes pour le bien commun.
Dans tous les reportages sur des mouvements comme Extinction Rebellion ou Youth for climate, on relève l’importance de la préparation. Les militants suivent des stages de formation à la désobéissance civile et à l’action non violente et doivent élaborer de véritables stratégies : choisir le moment opportun, définir la meilleure forme d’action, cibler les décideurs à influencer, alerter les médias, prévoir la réaction de l’opinion publique, etc. S’ils entendaient seulement protester ou mettre en scène leurs opinions et colères, ce prélude à l’action ne serait pas nécessaire. C’est parce qu’ils veulent atteindre des objectifs politiques qu’ils cherchent comment exercer une « force de pression » sur les décideurs.
Il ne faut pas durcir l’opposition entre la « politique traditionnelle » (celle des partis et des gouvernements) et la politique « alternative » dont ils seraient les acteurs : tous ont bien conscience que les mesures à prendre contre le réchauffement climatique devront, tôt ou tard, être prises par des instances ayant le pouvoir de les imposer aux réfractaires. Plusieurs de ces militants ont d’ailleurs choisi de se faire élire aux parlements nationaux ou européen.
Autre perception simpliste : la pratique de la désobéissance civile supposerait l’adhésion à une idéologie anarchiste. La plupart de ces jeunes estiment les lois nécessaires. S’ils manifestent, c’est parce que les actuelles politiques publiques offrent une réponse très insuffisante face aux enjeux pesant sur l’avenir de la planète. Que ces jeunes mènent des actions illégales tout en reprochant à l’accord de Paris (COP21) de n’avoir aucun contenu légalement contraignant n’est donc paradoxal qu’en apparence.
Certains textes officiels de l’Église catholique admettent que la désobéissance à la loi se justifie dans certains cas. « Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile », lit-on à l’article 2242 de son Catéchisme. En 1995, à propos de l’aide aux sans-papiers, Jean-Paul II écrivait que la réponse à la question « Qu’as-tu fait de ton frère ? » devait être donnée non pas « dans les limites imposées par la loi, mais dans l’optique de la solidarité ». À ce sujet, voir le dossier « Réfugiés, sortir de l’impasse » de la Revue Projet, n° 358, 2017.
1 John Rawls, Théorie de la justice, Seuil, [1971] 2009, pp. 403-431.
2 L’objection de conscience est une réalité ancienne – elle est au cœur du mythe d’Antigone –, mais la formule « conscientious objection » est forgée en Angleterre, vers 1898. Elle renvoie au refus individuel d’accomplir certains actes requis par une autorité (comme une vaccination obligatoire ou un service militaire) lorsqu’ils sont jugés contraires à des convictions personnelles.