Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Le décès de M. Giscard d’Estaing, il y a quelques mois, a offert l’occasion de remettre sur le tapis une question qui semble avoir disparu de nos écrans : les armes nucléaires de la France. De tous nos anciens présidents – qui peuvent seuls « appuyer sur le bouton » – Giscard est l’unique à avoir reconnu, dans ses mémoires, qu’il aurait refusé d’accomplir le geste que prévoit pourtant la doctrine stratégique officielle en cas de grave menace sur le pays : « Quoi qu’il arrive, je ne prendrai jamais l’initiative d’un geste qui conduirait à l’anéantissement de la France » (Le pouvoir et la vie, II, Compagnie 12, 1974, p. 1965). De quoi mettre en doute l’affirmation rituelle de nos présidents : « L’arme nucléaire est notre assurance vie. »
D’autres responsables politiques ont fait état publiquement d’un scepticisme analogue, après avoir quitté leurs fonctions, il est vrai. Un ancien Premier ministre, Michel Rocard, trois anciens ministres de la Défense, Paul Quilès, Alain Richard et Hervé Morin, se sont joints aux personnalités internationales qui réclament l’abolition des armes nucléaires sous le chapeau de l’organisation non gouvernementale « Global Zero ». Dans une tribune du Monde (28/10/2011), Bernard Norlain, ancien général de l’armée de l’air, avertit : « Notre assurance vie peut devenir notre assurance décès. »
Convenons qu’il y a matière à débat ! Or, ce débat n’a jamais vraiment eu lieu. La décision de doter la France d’un arsenal nucléaire n’a pas été soumise aux députés. Quels citoyens ont pu exprimer leur opinion sur la récente décision d’augmenter fortement le budget consacré aux armes nucléaires ? Nul écho ne nous est parvenu d’un débat au Parlement sur la loi de programmation militaire 2019-2025, qui prévoit de dépenser 37 milliards d’euros, sur cinq ans, pour moderniser l’arsenal nucléaire français. Cette loi, pourtant, augmente de 60 % les crédits alloués à ce poste : de 4,45 à 6 milliards d’euros par an. Dans notre pays, tout ce qui touche au nucléaire militaire, plus encore qu’au nucléaire civil, est soustrait au contrôle démocratique.
Le président Macron, dans son discours du 7 février 2020 à l’École de guerre, a confirmé que la France – pas plus que les autres États nucléaires – ne signera le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian), adopté à l’ONU en juillet 2017 par 122 États, ratifié par 84 d’entre eux, entré en vigueur le 22 janvier 2021.
Si un débat s’ouvrait enfin sur cette question, tous devraient pouvoir faire valoir des arguments à la fois éthiques et politiques – et pas seulement stratégiques et financiers – et y intégrer leurs inquiétudes quant au fragile avenir de notre « maison commune ». La position la plus radicale, dans un tel débat, pourrait bien être celle du pape François, déclarant à Hiroshima en novembre 2019 : « L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est aujourd’hui plus que jamais un crime, non seulement contre l’homme et sa dignité, mais aussi contre toute possibilité d’avenir dans notre maison commune. L’utilisation de l’énergie atomique à des fins militaires est immorale, de même que la possession des armes atomiques. »
Jean-Marie Collin, Michel Drain et Paul Quilès, L’illusion nucléaire. La face cachée de la bombe atomique, Charles Léopold Mayer, 2018.