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La lutte contre le réchauffement climatique mobilise aujourd’hui une centaine de maires de grandes métropoles, coalisés au sein du réseau C40. Entretien avec Caterina Sarfatti, directrice du programme « Action climatique inclusive ».
Pourquoi les métropoles, au niveau mondial, vous semblent-elles la bonne échelle d’action contre le réchauffement climatique ?
Caterina Sarfatti – La majorité des métropoles du réseau C40 sont d’ores et déjà très fortement affectées par le réchauffement climatique. À titre d’exemple, 92 % d’entre elles ont subi l’an dernier une inondation provoquée par la montée des eaux, en raison de tempêtes ou de fortes pluies. Mais ces villes ne sont pas seulement des victimes, elles sont aussi des acteurs. Leur population totale s’élève à 700 millions d’habitants et elles pèsent pour un quart de l’économie mondiale. Avec une telle densité démographique, elles sont des lieux fortement générateurs d’émissions. Dès lors, les maires sont particulièrement bien placés pour initier des actions concrètes dans le domaine des transports, de l’énergie des bâtiments ou de la gestion des déchets.
Pouvez-vous donner quelques éléments sur les résultats obtenus ?
Caterina Sarfatti – Dans leur quasi-totalité, elles ont développé des pistes cyclables et vélos partagés, alors qu’en 2010, seules vingt-et-une en disposaient. Dans vingt-quatre villes (contre cinq il y a dix ans), les maires se sont fixé l’objectif d’une production d’énergie électrique 100 % renouvelable à l’horizon 2030. Les villes du réseau C40 comptent désormais plus de 66 000 bus électriques, contre moins d’une centaine en 2010. Comme vous le voyez, il s’agit d’un engagement exponentiel.
La transition ne se décrète pas, elle se construit. Quel type de partenariat les maires arrivent-ils à établir au sujet de la gestion des déchets ?
Caterina Sarfatti – Ma ville de Milan est sans doute – avec Vienne, qui ne fait pas partie du réseau – au premier rang mondial en matière de recyclage et de compostage des déchets. Ce résultat tient notamment au travail entrepris sur la citoyenneté. Cette politique a d’abord été testée dans plusieurs zones de la ville, en assurant une communication très étroite avec les acteurs économiques et les conseillers des arrondissements. Des consignes pour la gestion des déchets ont été largement diffusées et même traduites en plusieurs langues pour être accessibles à toute la population.
Le caractère inclusif des politiques climatiques et urbaines est essentiel.
Le caractère inclusif des politiques climatiques et urbaines est essentiel, et l’enjeu est bien d’impliquer le plus d’acteurs possible. Cette gestion des déchets est aujourd’hui considérée comme exemplaire. Nous recevons régulièrement la visite de délégations étrangères et la question concerne aussi l’hémisphère sud. Ainsi, à Accra, au Ghana, existe un modèle intéressant de collaboration entre la ville et le monde dit « informel », via un partenariat noué avec ceux qui vivent en situation précaire, pour améliorer la gestion de leurs déchets.
Dans quel domaine les maires rencontrent-ils le plus de difficultés ?
Caterina Sarfatti – Cela varie beaucoup selon les métropoles, mais la qualité de l’air en fait certainement partie. Nombre de villes ne respectent pas les directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) relatives à la qualité de l’air et cela ne tient pas uniquement aux transports. Cependant, une capitale comme Londres en a fait l’un des axes prioritaires de sa politique urbaine. Elle est aussi une des premières à avoir instauré un périmètre appelé à devenir « zéro émission ».
Qu’en est-il du niveau d’implication des habitants ?
Caterina Sarfatti – En Amérique latine, des villes comme Lima, Bogotá ou Mexico considèrent la participation citoyenne comme un axe central de leur démarche. Le maire de Lima met ainsi en avant un projet très intéressant autour de Conseils des jeunes. Lors de notre dernier sommet à Copenhague, en 2019, le maire de Los Angeles a lancé un « Global Green New Deal », qui vise à impliquer un maximum de représentants de la société civile : les jeunes, les syndicats, le secteur privé, etc.
Quelle influence le réseau C40 exerce-t-il lors des réunions internationales sur le climat ?
Caterina Sarfatti – Peu de temps avant la signature de l’accord de Paris, en décembre 2015, près de 700 maires du monde entier étaient réunis pour exercer une « pression positive » sur les négociations en cours. La maire de Paris, Anne Hidalgo, alors présidente du C40, a joué un rôle moteur en ce sens. La couverture médiatique fut importante. L’année suivante, en 2016, à l’occasion du sommet de notre réseau à Mexico, le C40 a publié un rapport engageant les maires à mettre en place des politiques locales permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, l’accord de Paris tablant sur 2°C. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) leur a donné raison.
Les maires travaillent à ce que leurs programmes environnementaux soient justes et socialement durables.
À ce jour, cent soixante-dix villes se sont engagées à appliquer des politiques climatiques cohérentes avec cet objectif, et vingt-quatre d’entre elles les appliquent déjà. Certes, cette influence effective dépend des rapports de force au niveau géopolitique. Ces dernières années, les discussions internationales sur le climat ont été complètement gelées avec les présidents Jair Bolsonaro et Donald Trump. Nous sommes à présent plus confiants avec la nouvelle administration aux États-Unis.
Après quinze ans d’activité, qu’êtes-vous arrivé à capitaliser et à produire comme connaissances ?
Caterina Sarfatti – Notre cœur de métier est la relation entre les maires sur des questions très concrètes. Mais nous représentons aussi un espace de recherche et de production de connaissances, grâce à une multitude d’études de cas sur l’ensemble du globe. Le site internet du réseau, le C40 Knowledge Hub est là-dessus une véritable mine d’informations. Le dernier rapport en date plaide pour une relance post-Covid-19 juste et compatible avec la lutte contre le dérèglement climatique. Autre exemple: une étude sur le lien entre justice sociale et climat à partir d’études de cas dans les grandes villes mondiales. Les maires travaillent à ce que leurs politiques et leurs programmes environnementaux soient à la fois justes et « socialement durables ». Par exemple, une question prioritaire pour les maires est de garantir l’accès aux « emplois verts » à celles et ceux qui de risquent perdre leur travail pendant la transition écologique.
Observe-t-on, selon les continents, des différences dans la manière de conduire le changement ?
Caterina Sarfatti – Toutes les villes travaillent en quelque sorte de la même manière. Bien sûr, des critères régionaux, culturels et linguistiques très différents subsistent. Mais, pour ce qui relève des défis politiques, ce sont les mêmes situations qui reviennent plus ou moins : le manque de moyens, les services qui ne se parlent pas, les tensions entre le politique et la technique, les difficultés à faire accepter nos ambitions auprès de la population, etc. Je pense que notre force consiste précisément à ne pas nous afficher en « donneurs de leçons », mais à faciliter les partages d’expériences.
Comment fédère-t-on des maires des quatre coins du monde, qui ne partagent pas les mêmes opinions politiques ?
Caterina Sarfatti – Les maires sont beaucoup plus pragmatiques que les élus nationaux. Ils perçoivent les impacts concrets du changement climatique et restent la première figure institutionnelle pour les citoyens. Ils sont dans l’obligation de prendre en charge les problèmes. Si les priorités ne sont pas les mêmes, la question de la crise climatique ne représente pas, pour une majorité d’entre eux, un sujet clivant.
Propos recueillis par Benoît Guillou
C40 Cities, c’est quoi ?
C40 Cities est un réseau de 97 mégapoles du monde entier, représentant plus de 700 millions de personnes et un quart de l’économie mondiale. Créé et dirigé par les villes, le C40 se concentre depuis 2005 sur la lutte contre le dérèglement climatique. Le réseau, qui compte plus de deux cents salariés, met les maires en relation et aide les villes à collaborer efficacement pour agir au niveau local. Le C40 est actuellement présidé par Eric Garcetti, maire de Los Angeles.