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Face à l’urgence écologique, certains avancent l’idée d’un régime autoritaire, plus qualifié pour mener à bien la transition dans les temps impartis. Un grave contresens.
En 2007, la Chine est devenue le premier émetteur de gaz à effet de serre. La même année, elle proclamait devant les caméras du monde entier qu’elle entrait dans une « civilisation écologique » et se positionnait comme leader international d’une politique environnementale résolue à lutter contre le changement climatique.
Indéniablement, la Chine a depuis fait preuve de volontarisme, multipliant les réglementations dans tous les secteurs. Plans d’investissement de 361 milliards de dollars pour le nucléaire et les énergies renouvelables entre 2016 et 2020, accroissement de la part des énergies non fossiles dans le mix énergétique de 9 % à 15 % entre 2012 et 2019, amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments neufs… Cette volonté chinoise, réaffirmée au forum de Davos en janvier 2021, de mettre en œuvre un programme fort de développement durable semble bien se traduire en actes.
Cette réussite apparente a été attribuée à la nature du régime, capable de conduire une politique musclée, en mettant au pas la capacité de production industrielle nationale et en régentant les modes de vie individuels et collectifs. Là où nos démocraties représentatives occidentales hésitent, consultent, tâtonnent et prennent leur temps, le régime chinois décide et applique sans remords des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre. On pourrait en conclure qu’un gouvernement autoritaire serait plus efficace dans la lutte contre le réchauffement climatique…
L’urgence climatique semble rendre indispensables des politiques fortes, quelle que soit leur impopularité.
En effet, l’agenda politique de la démocratie représentative et l’urgence climatique relèvent de deux niveaux de temporalité que l’on peut juger à première vue incompatibles. Le calendrier électoral impose des échéances resserrées. Ce qui crée les conditions favorables à un court-termisme qui privilégie des mesures séduisantes dans l’immédiat mais potentiellement dommageables sur le long terme d’un point de vue environnemental. Au contraire, l’urgence climatique semble rendre indispensables des politiques fortes, quelle que soit leur impopularité. Rappelons-le, il s’agit de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, donc en moins de dix ans.
Or quand les manifestations des Gilets jaunes en France conduisent le gouvernement à abandonner le projet de taxe carbone en décembre 2018, l’impression s’impose d’une marche arrière environnementale. Il est compliqué de se faire élire sur un programme anxiogène en annonçant des mesures jugées majoritairement punitives. Dès lors, si l’écologie se résume à un ensemble d’interdictions – comme celles de prendre l’avion en deçà de certaines distances, de consommer tels produits alimentaires, de conduire une voiture dans les centres-villes –, comment s’étonner qu’elle ne rencontre pas un appui populaire ?
À l’inverse, un État comme la Chine peut fasciner pour avoir su prendre des engagements publics aussi clairs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre : la part des énergies fossiles dans la production électrique nationale est ainsi passée de 83 % en 2007 à 70 % en 2017… Mais, derrière ces chiffres, on oublie que sa consommation totale a augmenté de 7,6 %1. Pour autant, loin d’être le fruit d’une pure décision politique, ce volontarisme tion de plus en plus visible de la part de la société civile chinoise, qui met fréquemment en avant les pollutions environnementales catastrophiques pour réclamer des mesures climatiques nouvelles2.
L’idée d’une « dictature verte » efficace pour régler le problème environnemental appelle des réserves à plusieurs titres. Tout d’abord, lorsqu’on reproche à l’écologie de réduire les libertés individuelles (taxes et interdictions), on oublie qu’il s’agit d’arguments mis en avant surtout par des groupes sociaux qui craignent de voir disparaître leurs privilèges. Les « libertés » dont il est question sont loin de profiter à tous : la majorité des Français ne prend pas l’avion chaque semaine pour rejoindre Lyon depuis Paris, et les véhicules les plus polluants comme les SUV (Sport Utility Vehicle) de dernière génération ne sont pas les moins chers du marché. Mais les dégâts qu’entraînent ces chères libertés sont, eux, généraux.
En revanche, dans les États les plus autoritaires de la planète, la réduction des libertés individuelles n’est pas une hypothèse mais une réalité déjà présente. Il suffit de voir comment la pandémie de Covid-19 a servi de prétexte inespéré pour restreindre des libertés de mouvement et d’expression déjà sous forte pression, en Chine notamment. L’un des traits les plus frappants des pays dictatoriaux, c’est bien la collusion entre des libertés restreintes et des inégalités maximales, y compris sur le plan des injustices environnementales. Ce sont finalement des intérêts financiers et commerciaux qui remettent en question les droits des populations autochtones et leurs aspirations à un environnement sain.
Nos institutions démocratiques sont nécrosées par un lobbying à sens unique.
Il est impératif de sortir de cette fascination pour l’instauration d’un régime autoritaire « vert ». À l’inverse, l’écologie a grand besoin de la démocratie. Justice sociale et justice environnementale vont de pair : la lutte contre les inégalités en tout genre qui clivent la société et cantonnent le pouvoir et les richesses entre les mains d’une élite doit être prise en compte dans toute politique climatique. Faute de quoi, on court le risque de reproduire l’erreur vécue lors du projet de taxe carbone, soupçonnée de coûter cher surtout aux plus pauvres.
Mais, de manière symétrique, l’écologie peut représenter une opportunité inespérée pour renouveler nos institutions démocratiques, nécrosées par l’immobilisme, un lobbying à sens unique et l’overdose de débats partisans détournant des enjeux écologiques qui nous concernent tous. Des expériences d’une participation citoyenne à la réflexion sur nos institutions ont d’ores et déjà fait leurs preuves, comme le montre l’exemple de la Convention citoyenne, malgré toutes ses limites. Impensable en régime autoritaire, ce type de convention illustre comment les paroles des experts et des citoyens n’entrent pas en conflit, dès lors que sont mis en place des processus garantissant leur liberté et le respect mutuel.
Plus loin de nous, on pense à cette autre initiative inspirante qui s’est déployée au Cap, en Afrique du Sud, lors d’une sécheresse particulièrement sévère au début 2018. Les réservoirs municipaux étaient quasiment à sec et la menace de ruptures d’approvisionnement en eau potable sur l’ensemble de la ville (près de deux millions d’habitants) n’avait jamais été aussi prégnante. Afin de ne pas reproduire les erreurs de gestion ayant conduit à cette catastrophe, un groupe de consultation3 s’est constitué, réunissant autour de la même table de négociation consommateurs, riverains, acteurs municipaux et agences privées de gestion. Cette concertation a permis de mettre en place une régulation de l’eau en cas de crise qui s’est avérée efficace, car juste, et donc socialement acceptable. Signe, une fois de plus, que la transition écologique est subordonnée à une transition démocratique.
1 Anita Engels, « Understanding how China is championing climate change mitigation », Palgrave Communications, n°4, 2018.
2 Éric Vidalenc et al., « Gouverner la transition écologique, démocratie ou autoritarisme ? », note pour La Fabrique écologique, 2020.
3 Éric Vidalenc et al., « Gouverner la transition écologique, démocratie ou autoritarisme ? », note pour La Fabrique écologique, 2020.