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Dossier : Ce que l’écologie fait à la politique

Le ministère de l’impossible

Le ministère de la Transition écologique et solidaire est installé dans la tour Sequoia, à la Défense. © Pierre Olivier Clément Mantion/iStock
Le ministère de la Transition écologique et solidaire est installé dans la tour Sequoia, à la Défense. © Pierre Olivier Clément Mantion/iStock

Les discours gouvernementaux se font de moins en moins hostiles à l’écologie. Pourtant, les actes ne suivent pas et le ministère de la Transition écologique et solidaire reste entravé de tous côtés.


«Seul à la manœuvre ». Ainsi Nicolas Hulot qualifiait-il son passage au ministère de la Transition écologique en annonçant à la radio sa décision de démissionner du gouvernement, le 28 août 2018. Écologiste sincère, il a sans doute été l’un des plus influents de l’histoire de ce ministère. Son nom vient pourtant allonger la liste des ministres de la Transition écologique repartis frustrés, dépités par leur expérience au gouvernement1.

Pourtant, Nicolas Hulot était le numéro deux du gouvernement, ministre d’État, présenté comme une sorte de vice Premier ministre au moment de sa nomination. Les attributions des ministres de l’écologie se sont élargies (environnement, énergie, transports…) et ils disposent d’une administration importante, centralisée à Paris, avec des services déconcentrés et des établissements publics. Une montée en puissance qui fait écho à des discours toujours plus volontaristes, depuis le « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » de Jacques Chirac au « Make our planet great again » d’Emmanuel Macron.

Malgré ces annonces, les ministres de la Transition écologique ne parviennent pas à inverser durablement le cours des choses : l’effondrement de la biodiversité se poursuit, l’artificialisation des sols continue, la France est en retard sur les énergies renouvelables, la consommation de pesticides est en augmentation…

Tous les ministres de l’Écologie se sont heurtés à des politiques incohérentes, sinon hostiles. 

Le « combat du siècle », comme le nomme le gouvernement, se passe pour l’État devant les tribunaux, en position d’accusé. En juillet 2020, le Conseil d’État le condamne à une astreinte de 10 millions d’euros pour ne pas avoir pris des mesures suffisantes pour lutter contre la pollution de l’air. Quelques mois plus tard, le 3 février 2021, à la suite de plaintes de plusieurs organisations soutenues par la pétition citoyenne « L’Affaire du siècle », il est jugé en défaut, cette fois par le Tribunal administratif de Paris, pour son inaction contre le réchauffement climatique.

Le départ retentissant de Nicolas Hulot a levé les derniers doutes sur la capacité d’un ministre de la Transition écologique à changer le cours des choses quand le gouvernement ne porte pas de véritable ambition environnementale. Robert Poujade, le premier à occuper la fonction en 1971, l’avait baptisé le « ministère de l’impossible »2.

De Poujade à Hulot, en passant par Ségolène Royal ou Corinne Lepage, tous et toutes se sont heurtés à des politiques incohérentes, sinon hostiles. Pendant la cohabitation du gouvernement de Lionel Jospin, Dominique Voynet démissionnait après l’échec de son projet de loi sur l’eau. Et quelques années plus tard, Nicolas Sarkozy déclarait : « L’environnement, ça commence à bien faire. » À ces réticences et escalades verbales stigmatisant les écologistes s’est encore ajoutée la décision d’abandonner le projet d’instauration d’une taxe carbone, mettant ainsi fin aux espoirs du Grenelle de l’environnement3. L’impuissance n’a jamais paru aussi criante au regard de l’urgence écologique.

Position de faiblesse

L’écologie est trop esseulée au sein de l’État. Les arbitrages interministériels sont majoritairement défavorables face à l’opposition de l’Agriculture, de l’Intérieur ou de Bercy. Ainsi, quand Barbara Pompili, ministre actuelle de la Transition écologique, présente le projet de loi Climat et résilience, censé concrétiser une partie des cent quarante-six propositions de la Convention citoyenne pour le climat, elle sait qu’elle a perdu une grande partie des arbitrages.

Au final, le texte vide de leur substance des propositions importantes. Les passes d’armes sur la consommation de viande dans les cantines entre la ministre de la Transition écologique et ceux de l’Intérieur et de l’Agriculture illustrent ces antagonismes. Faute de volonté politique, Matignon ne vient que trop rarement contrebalancer les intérêts sectoriels ou des visions économiques et budgétaires incompatibles avec l’urgence et le long terme de l’écologie. À cela, il faut ajouter une action cloisonnée et l’absence de feuille de route pour conduire une transformation globale.

La situation est d’autant plus sclérosée que la haute fonction publique est toujours en retard sur le sujet. Concentré sur le court terme, le système politique et administratif sert finalement une vision économique tronquée, héritée de l’après-guerre. Le plan de relance annoncé le 3 septembre en réponse à la crise sanitaire et économique reste centré sur des objectifs de croissance, en l’absence d’indicateurs adaptés aux enjeux écologiques et sociaux.

La pandémie a révélé que l’État n’est pas organisé pour répondre efficacement aux crises.

Si l’Anthropocène est la période caractérisée par l’influence humaine sur le cours climatique et les écosystèmes, l’inverse est désormais vrai. La catastrophe environnementale va déstabiliser profondément et dans la durée les sociétés humaines. L’action publique dans son ensemble doit être réinventée à l’aune de ce double mouvement : limiter l’ampleur du désastre et accélérer en urgence le processus d’adaptation aux chocs à venir.

La gestion de l’épidémie de la Covid-19 a été révélatrice : l’État n’est pas organisé pour répondre efficacement aux crises et son action de prévention est défaillante. Les derniers mois ont montré de manière criante l’impréparation générale pour faire face à certains risques, la faiblesse des compétences en gestion de crise4, le défaut de communication entre les ministères et la fracture grandissante avec les collectivités territoriales.

Mais la période a aussi prouvé que l’État pouvait décider d’user de ses prérogatives et faire primer certains enjeux sur des considérations sectorielles et économiques. La question écologique pourrait marquer le retour d’un État qui réaffirme l’intérêt général des générations présentes et à venir, qui se réinvente et se transforme pour répondre à ce défi sans précédent.

Cette bifurcation implique de casser la très forte sectorialisation qui prévaut dans l’organisation de l’État, et de mettre l’écologie au cœur de toutes les politiques publiques. Le ministère de la Transition écologique n’a plus de sens s’il doit lutter en permanence avec des ministères et des administrations hostiles. Ne devrait-il pas d’ailleurs être supprimé au profit d’un gouvernement de l’urgence écologique, où le Premier ministre serait le garant de la transformation écologique et de son accompagnement social dans tous les secteurs de la société ?

Décrochage démocratique

Mais nous sommes aux antipodes de ce basculement : le plan de relance a largement soutenu des activités polluantes et vouées à décliner si la transition écologique est engagée en cohérence. Sur le fond, les objectifs écologiques ne sont pas prioritaires dans la majorité des ministères. Sur la forme, le pouvoir est toujours aussi concentré, freinant la mobilisation populaire et les initiatives dans les territoires.

Plus les inégalités sociales mettront sous tension les sociétés, plus l’action de l’État ressemblera à une gageure.

La crise sanitaire nous fait pourtant toucher du doigt les mécanismes qui pourraient nous conduire au désastre. Avant cela, le mouvement des Gilets jaunes avait montré l’urgence à agir sur les conséquences sociales et les fractures territoriales que renforceront les crises écologiques. Alors que de nouvelles alliances devraient se nouer, les reproches réciproques fusent entre les collectivités territoriales et l’État, et le traitement réservé aux propositions de la Convention citoyenne laisse un goût amer. Les conditions sont réunies pour un décrochage démocratique.

Plus les inégalités sociales mettront sous tension les sociétés, plus l’action de l’État ressemblera à une gageure. Reconnu coupable par la justice pour son inaction, il l’est aussi par toutes celles et ceux qui subiront les conséquences des crises écologiques. Ne pouvons-nous puiser dans les principes démocratiques et républicains pour organiser la transition et « transformer les façons d’agir en commun pour les affaires communes », comme l’écrit Serge Audier5 ?

Il est urgent de penser un État à l’organisation plus horizontale, plus participative, plus décentralisée, qui trouve dans l’écologie la manière de prolonger les principes républicains. Cela suppose un triple mouvement : un projet politique ambitieux qui met l’écologie au cœur de l’action de l’État, une refonte profonde de la manière de conduire l’action publique et l’inclusion massive des citoyennes et des citoyens via le renforcement des institutions de démocratie délibérative et directe.

Sans ce changement radical de notre vie démocratique et économique, il ne sera sans doute plus seulement question du ministère de l’impossible, mais bien plutôt du gouvernement de l’impossible.

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1 Qu’il s’agisse de Corinne Lepage (On ne peut rien faire, Madame le ministre, Albin Michel, 1998), de Dominique Voynet (Voix off, Stock, 2003) ou de Delphine Batho (Insoumise, Grasset, 2014).

2 Robert Poujade, Le ministère de l’impossible, Calmann-Lévy, 1975.

3 Charlotte Halpern, « L’environnement et le développement durable sous Sarkozy », Les politiques publiques sous Sarkozy, Presses de Science Po, 2012.

4 Henri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel, François Dedieu, Covid-19 : une crise organisationnelle, Presses de Sciences Po, 2020.

5 Serge Audier, La cité écologique, La Découverte, 2020.


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1 réactions pour « Le ministère de l’impossible »

DANIEL FINATI
05 June 2021

Cet article fort clair nous décrit ce qu'il en est au sommet de l’État depuis longtemps et que nous savions ou subodorions très bien, mais c'est toujours un choc terrible de constater que nous ne nous trompions pas. Comment faire pour que cette ''machine bureaucratique'' retrouve le sens du bien commun et change son paradigme d'actions ?
Merci pour cet article salutaire.
Daniel

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