Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

La Revue Projet, c'est...

Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.

La course effrénée d’un directeur de CCAS

Crédits : pishit / iStock
Crédits : pishit / iStock

Dans les années 1990, les sociologues soulignaient l’« usure » des travailleurs sociaux. Qu’en est-il trente ans plus tard ? Déroulement d’une journée « ordinaire » d’un directeur de centre d’action sociale d’une commune de 10 000 habitants.


Aujourd’hui, arrivée au bureau à 7 h 45, avant l’ouverture, le temps de consulter les courriels, de prendre la température de la journée et de m’organiser. Après vingt ans d’expérience, je sais bien que cette journée sera placée, comme toutes les autres, sous le signe de l’imprévu. Depuis quelques jours, je me bats avec mon logiciel de finances : et oui, le quotidien, c’est aussi toute cette charge administrative, cette digitalisation du monde dont nous sommes bien malheureusement trop tributaires ! Heureusement, il y a encore des gens, des êtres humains et non de « simples numéros » avec lesquels nous travaillons pour essayer de répondre à leurs problèmes. L’engagement au quotidien n’est pas pour notre équipe un simple slogan, il est bien une réalité de tous les instants.

Le Centre ouvre ses portes à 9 heures mais, auparavant, on aura fait le point avec l’équipe sur les situations rencontrées la veille et sur les projets en cours : logement, relogement, aide alimentaire, harcèlement subi par une femme… Et c’est parti : j’ai prévu d’attaquer mon budget. Mais, déjà, le premier coup de fil : « Je n’ai pas touché mon RSA. » Immédiatement, la situation est prise en charge : c’était un problème d’accès à Internet.

Choisir de s’investir dans le champ social, c’est intégrer que votre quotidien sera une aventure, avec de l’imprévu, des situations critiques, mais aussi de petites réussites et du soulagement.

Car il faut bien savoir qu’être directeur d’un centre communal d’action sociale (CCAS), c’est être un agent polyvalent. Pour comprendre le monde social, il faut le vivre. Rien de mieux que d’être dans ce bain. La parole des personnes en précarité est notre pain quotidien, elle nous fait réfléchir pour essayer ensemble de construire des réponses durables et inclusives dans une société qui, depuis de nombreuses années, ne les regarde plus. Je crois qu’à partir du moment où vous avez choisi de vous investir dans le champ social, il est nécessaire d’intégrer immédiatement que votre quotidien sera une aventure, avec de l’imprévu, des situations critiques, mais aussi de petites réussites, des sourires et du soulagement.

Une journée au CCAS est celle d’un accompagnement des Villeruptiens : pour l’accès aux droits, l’inclusion sociale, le parcours de vie des aînés. À chaque jour, son travail de proximité, auquel je suis toujours attaché. Incendie de week-end : contacts directs avec les locataires, relogement en urgence de huit familles à l’hôtel, échange avec le propriétaire, mobilisation du réseau de bailleurs, échanges avec le maire, le directeur général des services et Fred, mon adjoint…

Au cours de la matinée, je consacre un temps pour faire le point, avec notre stagiaire éducatrice spécialisée, sur un projet qui veut donner la parole aux personnes en précarité à travers des dessins, vidéos et photos qui feront ensuite l’objet d’un vernissage. Un point rapide également avec Fred sur les dossiers sensibles, avant qu’il ne rejoigne une séance de qi gong à l’attention des séniors et des bénéficiaires du RSA. 11 heures 30, coup de fil d’une structure d’insertion par l’activité économique avec qui nous travaillons : on pourrait croire que je me disperse mais, en réalité, je traite les demandes les unes après les autres.

En début d’après-midi, réunion avec le maire et l’ensemble des élus pour un premier état des investissements pour 2020. Je dois par ailleurs préparer un autre point d’étape avec le Conseil départemental sur le déploiement des actions soutenues au titre du précédent appel à projets de 2019 par une conférence des financeurs.

Un acteur de solidarité déterminant

Le CCAS reste l’outil privilégié de la commune pour la mise en place de la politique sociale définie par les élus et leur projet de ville. Nous sommes confrontés à d’importantes évolutions sociales, les personnes accompagnées étant plus nombreuses du fait du vieillissement de la population, de l’isolement, de la perte d’autonomie… Depuis une dizaine d’années, j’observe une augmentation des sollicitations, avec un public de plus en plus diversifié : familles étrangères arrivant à Villerupt, demandeurs d’emploi directement affectés par la situation économique, bénéficiaires potentiels du RSA non inscrits, familles monoparentales… Ma conviction est qu’il est nécessaire de bâtir la solidarité à l’échelon local et dans un contexte où les rapports de pouvoir sont prompts à basculer. La vérité politique d’un jour n’est pas forcément celle du lendemain ! Les acteurs de terrain ont une force de transformation bien plus directe que les centres de décision éloignés des territoires. L’innovation se trouve aussi bien dans les petites que dans les grandes organisations.

Je pourrais m’étendre davantage sur ce quotidien si fascinant et si énervant parfois. Ce quotidien que certains ne cessent de déshumaniser. Le CCAS est de plus en plus sous pression face à une demande sociale grandissante, aux nouvelles contraintes, à la complexification des dispositifs et à une réduction des moyens (budget de 500 000 €, six salariés équivalent temps plein, renforcement de la demande et exigence accrue à moyens constants). Face à une crise économique qui dure, le CCAS reste, à mes yeux, un acteur local de solidarité déterminant.

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Aux origines du patriarcat

On entend parfois que le patriarcat serait né au Néolithique, près de 5 000 ans avant notre ère. Avant cela, les femmes auraient été libres et puissantes. Les données archéologiques mettent en doute cette théorie. De très nombreux auteurs, de ce siècle comme des précédents, attribuent la domination des hommes sur les femmes à l’essor de l’agriculture, lors du Néolithique. Cette idée est largement reprise dans les médias, qui p...

Du même dossier

Que peut-on attendre des pouvoirs locaux aujourd'hui ?

Alors, qu’à cause de la pandémie du coronavirus, la pauvreté ne cesse d’augmenter en France, plusieurs grandes villes du pays ont été remportées aux dernières élections municipales par les écologistes et leurs alliés de gauche. Pour ce deuxième séminaire sur la lutte contre la pauvreté, la Revue Projet et ses partenaires ont donc décidé d’examiner l’évolution en...

Quatre propositions concrètes pour lutter contre la pauvreté

Ce dossier sur la lutte contre la pauvreté est loin d’épuiser la richesse de l’expérience du terrain de celle-ci, appréhendée ici comme politique publique et comme pratique sociale. Ni « bonnes pratiques », ni « recettes » : l’enjeu des lignes suivantes est d’éclairer les conditions qui concourent à l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation ...

La ville et la pauvreté

Comment, dans une ville fragmentée en un archipel de quartiers, enrayer la pauvreté ? Jean-Paul Alduy, ancien maire de Perpignan, tire les leçons de son action. Face à la crise urbaine révélée dès 1954 par l’abbé Pierre, les gouvernements successifs ont tenté de mettre en œuvre des programmes d’actions régulièrement mis en échec, comme en témoignent des violences urbaines inédites dans la plupart des pays européens. Encore récemment, ces violences ont fait l’actualité...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules