Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Selon les indicateurs utilisés, la mesure de la pauvreté donne des résultats différents. Dans tous les cas, les critères monétaires, les plus fréquemment utilisés, s’avèrent insuffisants.
La mesure de la pauvreté permet d’identifier les populations les plus exposées et les problématiques qu’elles rencontrent, pour mettre en œuvre des politiques publiques et lutter contre les inégalités et l’exclusion. Des mesures, répétées dans le temps, permettent de suivre l’évolution de la pauvreté pour estimer l’efficacité des politiques menées. Elles sont donc des instruments stratégiques pour l’action publique en direction des personnes en situation de pauvreté.
En 1984, le Conseil européen a tranché : doivent être considérées comme pauvres « les personnes dont les ressources (matérielles, culturelles ou sociales) sont si faibles qu’elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables de l’État membre où elles vivent ». Même si les acteurs institutionnels reconnaissent le caractère pluridimensionnel de la pauvreté, les indicateurs monétaires restent les plus fréquemment utilisés (voir encadré). Le taux de pauvreté mesure la part de la population qui vit sous le seuil de pauvreté, l’intensité de la pauvreté permet d’apprécier à quel point le niveau de vie de la population pauvre est éloigné du seuil de pauvreté. Quant au ratio entre les revenus des 20 % les plus riches et des 20 % les plus pauvres, il permet de mesurer les inégalités.
Ces mesures sont fondamentales, ne serait-ce que parce qu’elles permettent, en définissant une population cible, de construire et de mettre en œuvre des politiques de lutte contre la pauvreté. Elles restent néanmoins insuffisantes ou limitées, car la pauvreté ne se limite pas à des considérations monétaires.
Près de 1,5 million de personnes poussent chaque année les portes d’une des 74 délégations du Secours Catholique. Forte de la masse de données collectées auprès de ses visiteurs, notre structure rédige chaque année un rapport statistique sur l’état de la pauvreté en France qui met au jour certains aspects de la pauvreté que, justement, une approche strictement monétaire permet mal d’appréhender.
Ainsi, signe de plus grande fragilité, les familles monoparentales sont proportionnellement plus de trois fois plus présentes dans les accueils de l’association que dans la population générale vivant en France. Cette fragilité est également notable pour les personnes étrangères et les personnes âgées dont la proportion parmi nos visiteurs augmente régulièrement depuis plusieurs années.
Notre expérience du terrain montre par ailleurs qu’on peut très bien être pauvre… en vivant au-dessus du seuil de pauvreté. C’est le cas, en effet, d’environ 8 % des ménages rencontrés par le Secours Catholique qui n’arrivent pas à faire face à leurs contraintes sans le soutien de l’association. Le fait de pousser la porte d’une association de lutte contre la pauvreté pourrait donc être un indicateur complémentaire pour mesurer cette dernière.
Il faudrait pouvoir mesurer les peurs et souffrances liées à la pauvreté, les maltraitances sociale et institutionnelle.
Enfin, il faudrait pouvoir mesurer les peurs et souffrances liées à la pauvreté, les maltraitances sociale et institutionnelle, des dimensions moins prises en compte soulignées dans une recherche de 2019 menée par ATD Quart Monde, le Centre socioculturel des trois cités de Poitiers, l’Institut catholique de Paris et le Secours Catholique1. Cette recherche souligne le caractère systémique de la pauvreté. À travers le premier objectif de développement durable (voté par les Nations unies en 2015), il est reconnu que les manifestations de la pauvreté « comprennent la faim et la malnutrition, l’accès limité à l’éducation et aux autres services de base, la discrimination et l’exclusion sociale ainsi que le manque de participation à la prise de décisions ».
Cette étude montre aussi que le fait d’associer à la recherche des personnes en situation de pauvreté permet de mieux comprendre cette dernière. Un prolongement logique à cette étude pourrait être leur participation à la définition d’indicateurs complémentaires de pauvreté.
État de la pauvreté en France. Personnes migrantes : une même aspiration à vivre dignement, Rapport statistique 2019 du Secours catholique - Caritas France, sous la direction de Pascale Novelli.
1 ATD Quart Monde, Comprendre les dimensions de la pauvreté en croisant les savoirs. « Tout est lié, rien n’est figé », rapport de recherche, septembre 2019.
2 Les seuils sont calculés au moyen de paniers type qui varient selon l’âge et la structure de la famille. Les seuils de pauvreté sont actualisés au moyen de l’indice des prix à la consommation des ménages urbains.
3 Celui-ci est proche de l’Indice de pauvreté multidimensionnelle utilisé par les Nations unies, et notamment le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).