Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

La Revue Projet, c'est...

Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.

La mécanique de rue n’est pas « sauvage » !

Le quartier du Landy, à Aubervilliers, abrite l’un des plus grand garage à ciel ouvert d’Île-de-France. Arrivés principalement de Côte-d’Ivoire, du Mali et de Guinée-Conakry, les mécaniciens ont chacun leur spécialité. Aubervilliers, avril 2015. © Camille Millerand / Divergence
Le quartier du Landy, à Aubervilliers, abrite l’un des plus grand garage à ciel ouvert d’Île-de-France. Arrivés principalement de Côte-d’Ivoire, du Mali et de Guinée-Conakry, les mécaniciens ont chacun leur spécialité. Aubervilliers, avril 2015. © Camille Millerand / Divergence

Les activités informelles de réparation automobile sont souvent considérées comme une nuisance par les autorités. Pourtant, elles sont riches de savoir-faire et garantissent un service de réparation à moindre coût à des populations précarisées.


La mécanique de rue se déploie hors de toute régulation publique. Elle est généralement pratiquée hors des cadres légaux et réglementaires en matière d’environnement, de sécurité, d’occupation d’espace public ou d’exercice de la mécanique (diplômes).

Elle est cependant présente de façon importante dans les espaces publics ou privés ouverts des périphéries des villes françaises1, pouvant donner lieu à des concentrations de réparation (sur notre terrain d’enquête, en banlieue nord de Paris, travaillaient une centaine de mécaniciens jusqu’en 20182). Cette activité est ancrée localement, mais elle repose aussi sur des connexions territoriales alentour avec des casses et des magasins pour l’approvisionnement en pièces neuves ou usagées. Elle attire des clientèles populaires venues de différents quartiers et villes, dépendantes de la voiture de seconde main. Finalement, elle contribue à la production de centralités populaires ainsi que l’a théorisé le collectif Rosa Bonheur3 : des espaces locaux concentrant des activités économiques, de services et commerciales, et des possibilités de travail accessibles aux classes populaires, suivant des logiques marchandes mais aussi de dons et d’entraide.

Pour certains, la mécanique de rue incarne un vrai travail, traduisant des compétences techniques et commerciales, jusqu’à susciter des projets d’investissement.

Peinture, carrosserie, électricité, vidange, changement de pièce… L’offre de mécanique concerne un large éventail d’interventions. Pour certains mécaniciens, cette activité permet l’obtention de revenus de subsistance, simple sas dans des parcours migratoires et de travail. Pour d’autres, elle incarne un vrai travail, traduisant des compétences techniques et commerciales, jusqu’à susciter des projets d’investissement.

La presse et les documents d’urbanisme parlent de « mécanique sauvage », perçue comme une nuisance voire une incivilité qu’il faudrait évincer. L’altérisation de l’activité dite « sauvage » renvoie à celle des mécaniciens, souvent des immigrés. Pourtant, ces derniers revendiquent un droit moral à la subsistance dans le double contexte de la migration et de la précarisation du travail salarié. Ils soulignent d’ailleurs l’intérêt du recyclage des véhicules anciens. Pourquoi ne pas considérer la mécanique de rue comme une ressource – tant économique que sociale – pour les mécaniciens et leur clientèle ? Il importe donc de refuser le qualificatif « sauvage » pour lui préférer l’expression de « mécanique de rue », première étape d’une reconnaissance des savoir-faire et des enjeux liés à cette activité.

Cependant, une reconnaissance n’équivaut pas à une régularisation des mécaniciens, de leurs acquis comme de leur activité : celle-ci reste semée d’embûches liées au coût de la formalisation de la mécanique pour des personnes qui vivent aux marges de l’État, dans un contexte de rejet du recours à la voiture dans les plans d’aménagement, au bénéfice de mobilités « douces ». Seule une connaissance fine à la fois des parcours de vie des mécaniciens, des mobilités et des attachements à la voiture dans les quartiers populaires permettra de proposer des dispositifs inédits et locaux.

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

La ville et la pauvreté

Comment, dans une ville fragmentée en un archipel de quartiers, enrayer la pauvreté ? Jean-Paul Alduy, ancien maire de Perpignan, tire les leçons de son action. Face à la crise urbaine révélée dès 1954 par l’abbé Pierre, les gouvernements successifs ont tenté de mettre en œuvre des programmes d’actions régulièrement mis en échec, comme en témoignent des violences urbaines inédites dans la plupart des pays européens. Encore récemment, ces violences ont fait l’actualité...

Croiser les savoirs pour lutter contre la pauvreté

La bonne foi des travailleurs sociaux se heurte régulièrement à leur difficulté à comprendre les besoins et les ressentis de ceux qu’ils accompagnent. ATD Quart Monde fait travailler ensemble professionnels, militants concernés par la pauvreté et volontaires d’ATD. Texte coécrit par Coralie Bonvarlet, Johanna Lagha, Anne-Sophie Pruvost, Angélique Quivront, Céline Truong, Sreng Truong, Marie Verkindt, membres d’ATD Quart Monde dont cert...

La course effrénée d’un directeur de CCAS

Dans les années 1990, les sociologues soulignaient l’« usure » des travailleurs sociaux. Qu’en est-il trente ans plus tard ? Déroulement d’une journée « ordinaire » d’un directeur de centre d’action sociale d’une commune de 10 000 habitants. Aujourd’hui, arrivée au bureau à 7 h 45, avant l’ouverture, le temps de consulter les courriels, de prendre la température de la journée et de m’organiser. Après v...

1 Agnès Deboulet, Khedidja Mamou et Abou Ndiaye, « La mécanique de rue : vertus cachées d’une économie populaire dénigrée », Métropolitiques, 9 mai 2019.

2 Sébastien Jacquot et Marie Morelle, « Mécanique de rue en banlieue parisienne : centralité populaire et migrations », Le petit commerce dans la ville-monde, L’œil d’or, 2019.

3 Collectif Rosa Bonheur, La ville vue d’en bas. Travail et production de l’espace populaire, éditions Amsterdam, 2019.


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules