Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Les activités informelles de réparation automobile sont souvent considérées comme une nuisance par les autorités. Pourtant, elles sont riches de savoir-faire et garantissent un service de réparation à moindre coût à des populations précarisées.
La mécanique de rue se déploie hors de toute régulation publique. Elle est généralement pratiquée hors des cadres légaux et réglementaires en matière d’environnement, de sécurité, d’occupation d’espace public ou d’exercice de la mécanique (diplômes).
Elle est cependant présente de façon importante dans les espaces publics ou privés ouverts des périphéries des villes françaises1, pouvant donner lieu à des concentrations de réparation (sur notre terrain d’enquête, en banlieue nord de Paris, travaillaient une centaine de mécaniciens jusqu’en 20182). Cette activité est ancrée localement, mais elle repose aussi sur des connexions territoriales alentour avec des casses et des magasins pour l’approvisionnement en pièces neuves ou usagées. Elle attire des clientèles populaires venues de différents quartiers et villes, dépendantes de la voiture de seconde main. Finalement, elle contribue à la production de centralités populaires ainsi que l’a théorisé le collectif Rosa Bonheur3 : des espaces locaux concentrant des activités économiques, de services et commerciales, et des possibilités de travail accessibles aux classes populaires, suivant des logiques marchandes mais aussi de dons et d’entraide.
Pour certains, la mécanique de rue incarne un vrai travail, traduisant des compétences techniques et commerciales, jusqu’à susciter des projets d’investissement.
Peinture, carrosserie, électricité, vidange, changement de pièce… L’offre de mécanique concerne un large éventail d’interventions. Pour certains mécaniciens, cette activité permet l’obtention de revenus de subsistance, simple sas dans des parcours migratoires et de travail. Pour d’autres, elle incarne un vrai travail, traduisant des compétences techniques et commerciales, jusqu’à susciter des projets d’investissement.
La presse et les documents d’urbanisme parlent de « mécanique sauvage », perçue comme une nuisance voire une incivilité qu’il faudrait évincer. L’altérisation de l’activité dite « sauvage » renvoie à celle des mécaniciens, souvent des immigrés. Pourtant, ces derniers revendiquent un droit moral à la subsistance dans le double contexte de la migration et de la précarisation du travail salarié. Ils soulignent d’ailleurs l’intérêt du recyclage des véhicules anciens. Pourquoi ne pas considérer la mécanique de rue comme une ressource – tant économique que sociale – pour les mécaniciens et leur clientèle ? Il importe donc de refuser le qualificatif « sauvage » pour lui préférer l’expression de « mécanique de rue », première étape d’une reconnaissance des savoir-faire et des enjeux liés à cette activité.
Cependant, une reconnaissance n’équivaut pas à une régularisation des mécaniciens, de leurs acquis comme de leur activité : celle-ci reste semée d’embûches liées au coût de la formalisation de la mécanique pour des personnes qui vivent aux marges de l’État, dans un contexte de rejet du recours à la voiture dans les plans d’aménagement, au bénéfice de mobilités « douces ». Seule une connaissance fine à la fois des parcours de vie des mécaniciens, des mobilités et des attachements à la voiture dans les quartiers populaires permettra de proposer des dispositifs inédits et locaux.
1 Agnès Deboulet, Khedidja Mamou et Abou Ndiaye, « La mécanique de rue : vertus cachées d’une économie populaire dénigrée », Métropolitiques, 9 mai 2019.
2 Sébastien Jacquot et Marie Morelle, « Mécanique de rue en banlieue parisienne : centralité populaire et migrations », Le petit commerce dans la ville-monde, L’œil d’or, 2019.
3 Collectif Rosa Bonheur, La ville vue d’en bas. Travail et production de l’espace populaire, éditions Amsterdam, 2019.