Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Nombre de questions sociales ne relèvent plus de l’échelon municipal. Les départements auraient-ils siphonné le pouvoir du maire ? Non. Car en tant qu’acteur local de référence, ce dernier doit veiller à ce que chaque citoyen accède à ses droits.
Le maire est souvent le dernier recours de ceux qui se sentent oubliés. La crise des « gilets jaunes » et le grand débat ont particulièrement mis en évidence la figure emblématique de cet élu, garant des droits et de la fraternité. Car le maire doit s’assurer que toutes les personnes qui vivent sur le territoire communal accèdent à leurs droits, sociaux notamment. Pourtant, en raison des différents niveaux de décentralisation, de nombreux domaines ne sont pas de sa compétence : le RSA, l’aide sociale à l’enfance, la question du handicap ou du vieillissement… tout cela relève du conseil départemental. Quant aux questions du logement, de l’emploi ou de la formation, elles sont partagées entre de nombreux opérateurs. Pauvre maire ! N’aurait-il que la compétence des trottoirs et des poubelles ? Non. Il a le devoir et la légitimité de vérifier que, sur son territoire, les différents acteurs font leur travail, afin que les plus fragiles accèdent facilement à leurs droits. Il peut, il doit réunir autour d’une même table des responsables et des administrations qui, souvent, ne se parlent pas. Par exemple, 70 % des personnes n’utilisent pas leur droit à l’Aide complémentaire santé. Aussi la mairie de Bordeaux a-t-elle mené, en 2010, avec le Centre communal d’action sociale, l’Assurance maladie et plusieurs mutuelles, un travail long et difficile pour améliorer l’accès à une bonne couverture maladie.
La ville de Bordeaux s’était aussi engagée pour un droit absolu à l’école en veillant à la scolarisation des enfants roms et gitans.
La ville de Bordeaux s’était aussi engagée pour un droit absolu à l’école en veillant à la scolarisation des enfants roms et gitans vivant sur la commune et en offrant, à prix très réduit, des repas équilibrés à la cantine pour les familles les plus pauvres. On constate également l’efficacité des coalitions pour l’emploi qui se créent dans les territoires expérimentaux « zéro chômeur de longue durée » (voir encadré) : le maire en est souvent le fer de lance.
On pourrait imaginer que des maires relèvent le défi d’une commune ou d’une intercommunalité « zéro non-recours » ! Une commune où tous les habitants seraient en mesure d’accéder facilement aux droits économiques et sociaux fondamentaux. Ne serait-ce pas un enjeu formidable pour des élections municipales ? On sait à quel point des communes peuvent se montrer porteuses d’innovation : hier, la ville de Besançon engageait une préfiguration de ce qui est devenu le « revenu minimum d’insertion » en 1988 ; aujourd’hui, la ville de Grande-Synthe veut prouver que, pour vivre décemment et chercher un emploi, il faut un « minimum social garanti » de 855 € par personne avec un accompagnement social fort pour éradiquer le non-accès aux droits sociaux.
Mais le maire est aussi le garant de la fraternité sur son territoire. Par définition, dans une ville cohabitent toutes les catégories sociales ; c’est en tout cas ce que recherchent les élus à travers des politiques urbaines inclusives qui évitent le rejet des familles pauvres en périphérie : un vrai défi ! Mais la réalité résiste parfois. Je me souviens d’un voisinage compliqué entre un centre d’accueil de nuit pour des personnes très marginalisées et un grand négociant en vin. Le dialogue, l’écoute, la bienveillance, quelques efforts de la part de chacun ont permis de dépasser la colère et les peurs pour que la cohabitation soit possible. Le maire est alors en première ligne : il doit parfois affronter des riverains pour rappeler que les personnes sans domicile, les toxicomanes, les sortants de prison, les jeunes en errance… ont droit de cité. Il faut naturellement un certain courage politique pour imposer des logements sociaux, pour adapter l’urbanisme et créer des places et jardins où des jeunes familles profitent de jeux pour enfants sans chasser les migrants ou les sans-abri assis un peu plus loin sur un banc, ni les retraités qui jouent à la pétanque. La « Cabane à gratter », place André Meunier à Bordeaux, me semble emblématique de cet esprit de résistance dont il faut parfois faire preuve pour préserver en cœur de ville un îlot improbable de paix, de culture et de fraternité. Les moyens ne manquent pas : les fêtes de quartier, le carnaval, les dîners de voisins, le tournoi de foot, les pique-niques de rue, les jardins partagés… à condition de se donner les ressources pour aller chercher ceux qui ne sortent jamais, parce qu’ils s’estiment trop vieux, trop pauvres ou indésirables.
J’ai découvert que, en tant qu’élue, il était souvent difficile d’entrer en relation directe avec les plus fragiles ; la médiation des associations est indispensable.
C’est ici que la complémentarité avec les associations est précieuse. J’ai découvert que, en tant qu’élue, il était souvent difficile d’entrer en relation directe avec les plus fragiles ; la médiation des associations est indispensable : elles connaissent ces familles « invisibles », celles qu’on ne voit ni aux fêtes, ni aux réunions de quartier, ni à l’école, celles dont la parole est inaudible. Les associations de quartier, le Secours Catholique et d’autres ont justement le talent – et le devoir – d’organiser une parole collective à partir de l’expérience des plus pauvres pour entrer en dialogue avec les élus, chercher ensemble des solutions et améliorer la vie de tous. C’est d’ailleurs tout le sens de la démarche qu’entreprend le Secours Catholique pour les prochaines élections municipales.
Alors oui, pour promouvoir des communes solidaires et fraternelles, où les droits de tous sont défendus, il reste important de voter lors des élections municipales. La commune demeure l’instance publique la plus à l’écoute, la plus proche des gens, et les maires, quoi qu’on en dise, sont souvent sincèrement dévoués au service du bien commun.
Le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée », créé en 2016, a pour but de démontrer qu’il est humainement et économiquement possible de supprimer le chômage de longue durée à l’échelle des territoires. L’association portant cette expérimentation se fonde sur trois constats.
« Territoires zéro chômeur » fait en sorte de proposer à tout chômeur de longue durée qui le souhaite un emploi à durée indéterminée à temps choisi, en développant des activités utiles pour répondre aux besoins des divers acteurs du territoire.