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À force de se focaliser sur les couleurs des mairies, on a tendance à oublier les hommes et les femmes qui s’engagent dans la vie municipale. Les conditions actuelles d’exercice des mandats locaux laissent pourtant à désirer. Il est temps de mettre en place de nouvelles règles statutaires pour revivifier la démocratie locale.
Il est malaisé de rendre compte de l’impact d’une activité élective sur la vie de tous les jours, même si de multiples témoignages individuels existent. Aussi voudrait-on reprendre ici quelques résultats d’une enquête menée auprès des élus locaux sur les conditions d’exercice de leurs fonctions1.
Parmi les 17 500 élus ayant rempli le questionnaire, nombreux sont ceux qui soulignent le poids du mandat. On pense au temps « visible » dédié à l’institution (les conseils municipaux par exemple) mais c’est oublier tout ce qui se passe en amont, comme les réunions de commission ou de groupe (majoritaire ou minoritaire). Autant de séquences qui prennent sur le temps personnel. Et ces réunions peuvent être doublées au niveau intercommunal pour celles et ceux qui sont également conseillers communautaires. Au final, près d’un maire sur deux (49 %) et presque un adjoint sur trois (27 %) déclaraient dédier plus de 35 heures hebdomadaires à leurs fonctions électives.
Un tiers des élus – ce qui est déjà beaucoup – consacre plus de 25 heures à des fonctions électives.
37 % des élus ayant une activité parallèlement à leur mandat doivent recourir aux autorisations d’absence, selon lesquelles l’employeur (public ou privé) est obligé de laisser à l’élu le temps nécessaire pour se rendre à la réunion et y participer. 22 % des élus actifs font appel aux crédits d’heures. Un tiers d’entre eux – ce qui est déjà beaucoup – consacre plus de 25 heures à des fonctions électives. Le pourcentage est doublé pour ceux qui ont renoncé à leur activité (et vivent uniquement de leur indemnité) et pour les retraités. Naturellement, le volant d’heures consacré au mandat décroît progressivement dans les communes les moins peuplées, à l’inverse de ce qui se dessine dans celles de plus de 10 000 habitants.
La technicisation croissante du gouvernement local et l’accroissement de sa complexité organisationnelle se traduisent par une demande toujours plus pressante de disponibilité, surtout pour celui ou celle qui est à la tête de l’exécutif. Cette pression, alimentée par de fortes évolutions (loi NOTRe sur les intercommunalités, difficultés financières, exigences des citoyens, sentiment de perte d’utilité sociale), n’est pas sans effet sur les vocations, avec la menace affichée par les élus sortants de ne pas se représenter.
Plus de 9 élus sur 10 affirment avoir déjà été victimes d’incivilités, d’injures, de menaces, voire d’agressions physiques.
Un impact d’autant plus réel que le climat dans lequel s’exerce le mandat se dégrade : plus de 9 élus sur 10 affirment avoir déjà été victimes d’incivilités, d’injures, de menaces, voire d’agressions physiques, selon une consultation menée par la commission des lois du Sénat. En 2014, on comptait 64 communes sans aucune candidature au premier tour. Dans 563 communes de moins de 1 000 habitants, le nombre de candidats était inférieur à celui des sièges à pourvoir, et dans près d’un tiers de celles de plus de 1 000 habitants (soit 3 032 communes), une seule liste se présentait2. Par ailleurs, cette demande d’implication ne va pas sans un revers : celui d’une distribution sociale biaisée des élus municipaux.
On le sait depuis longtemps : la propension à s’engager dans la vie politique varie en fonction des caractéristiques sociales des individus. En outre, on a pu mettre en lumière une tendance à l’autoreproduction des élus et la perpétuation d’un groupe social dans le temps. Conjugués à l’incomplétude de la législation sur le statut de l’élu, ces facteurs ont des conséquences sociales visibles.
On ne retiendra ici que trois indicateurs, l’âge, la profession, le sexe. Selon la Direction générale des collectivités locales, seuls 11 % des élus municipaux étaient âgés de moins de 40 ans au 1er janvier 2019. 50 % avaient entre 40 et 59 ans et 40 % plus de 65 ans. Certes, les plus jeunes sont souvent difficiles à mobiliser politiquement : ils sont plus mobiles (donc fréquemment mal inscrits : 31 % des 25-34 ans le sont à une autre adresse que celle où ils résident) et ceux qui s’abstiennent le plus. Mais on peut comprendre leur sentiment de ne pas être pris en compte par les instances municipales : les postes électifs locaux sont difficiles d’accès. D’où un éloignement vis-à-vis d’une classe politique locale plus âgée, qui paraît loin de leurs attentes.
Le monde politique local est dominé par « le pôle supérieur de l’espace social » et ce d’autant plus que la taille de la commune croît et que l’importance des places occupées progresse.
La distribution professionnelle est tout aussi parlante. Le nombre de maires et de conseillers municipaux actuellement sans activité – retraités avant tout – varie entre presque 25 % chez les conseillers municipaux et un peu plus de 40 % chez les maires. Par ailleurs, les agriculteurs sont encore surreprésentés : 14 % des maires contre 0,8 % dans la population des 15 ans et plus ; cela s’explique par la place qui est encore là leur dans les plus petites communes, souvent rurales. Surtout, certaines professions sont privilégiées, notamment les professions libérales ou intellectuelles : 16 % des maires et 15 % des conseillers municipaux. Inversement, d’autres s’affaiblissent, voire disparaissent littéralement du personnel électif local, comme les ouvriers (4 % des conseillers municipaux et 1 % des maires, alors qu’ils représentent 13 % de la population active française). Le monde politique local est dominé par « le pôle supérieur de l’espace social » et ce d’autant plus que la taille de la commune croît et que l’importance des places occupées progresse.
Enfin, pour ce qui est du genre, si d’importants progrès ont été constatés, de vraies difficultés demeurent. Lors des élections de 2014, seules 17 % des femmes se présentaient comme têtes de liste (16 % en 2008). Dans les intercommunalités et les communes de moins de 1 000 habitants, la proportion de femmes élues est péniblement passée de 30 % en 2001 à 34 % aujourd’hui. Surtout, les taux de féminisation des postes exécutifs sont faibles : en 2019, 17 % des maires sont des femmes (8 % pour les intercommunalités).
Comme partout en Europe, il n’existe pas réellement de statut de l’élu – c’est-à-dire un ensemble de règles traitant de façon systématique la question de l’accès, de l’exercice et de la sortie du mandat. La situation actuelle, celle d’une compensation par le biais d’une indemnité, est insatisfaisante. Elle n’est qu’un système palliatif. Et les situations de cumul (par exemple entre le niveau municipal et intercommunal) rendent le système illisible, ouvrant la porte à tous les fantasmes. L’enjeu d’un encadrement des fonctions électives est avant tout de les rendre plus accessibles qu’elles ne le sont actuellement.
La perspective n’est pas de faire de la fonction d’élu une profession, mais de professionnaliser son exercice pendant la période du mandat, ce qui est fondamentalement différent.
La question centrale n’est pas alors celle de la professionnalisation des fonctions politiques locales. Ce terme même fausse le débat. Moins de 1 % des élus municipaux sont des professionnels de la politique (vivant uniquement de leur.s mandat.s). La perspective n’est pas de faire de la fonction d’élu une profession, mais de professionnaliser son exercice pendant la période du mandat, ce qui est fondamentalement différent. Mais il est nécessaire ici de tenir compte de ceux qui sont dans une situation d’entre-deux, entre le mandat et la profession. La baisse récente du nombre de postes exécutifs locaux et la fin du cumul avec un mandat parlementaire devraient être l’occasion de repenser le système.
Il est ici possible de s’inspirer des modèles qui existent à l’étranger. Ainsi, en Espagne, une différenciation existe entre élus à plein-temps et élus à temps partiel. L’assemblée délibérante détermine les tâches qui peuvent être rémunérées à temps complet ainsi que le montant des indemnités en fonction du niveau de responsabilités des élus. Cette rémunération est incompatible avec toute autre forme de rémunération (sauf activité marginale). Un second régime à temps partiel concerne les élus qui ne se consacrent pas uniquement à leur mandat. La rémunération (qui ne peut égaler celle d’un élu à temps plein) est, dans ce cas, compatible avec une autre activité professionnelle. Ne pourrait-on pas avoir en France la même double organisation, pour les retraités et pour les actifs ? Ce serait reprendre ici le statut d’agent civique territorial qui était évoqué dans le rapport Mauroy3, faisant des élus concernés des agents contractuels de droit public pendant l’exercice de leur mandat.
Le risque est que le mandat se transforme en carrière exclusive. La question du cumul dans le temps devient alors centrale.
Le risque est que le mandat se transforme en carrière exclusive. La question du cumul dans le temps devient alors centrale. Elle constitue un levier majeur pour accélérer le renouvellement de la classe politique et la féminisation des assemblées. Une limite à deux ou trois mandats consécutifs de l’exercice d’une même fonction est ainsi nécessaire.
La récente loi « Engagement et Proximité », censée redonner du cœur à l’ouvrage à des élus découragés, n’a traité la question du statut qu’à la marge. Le changement ne se manifestera donc pas en 2020. Il y aura encore six ans pour repenser les conditions d’une démocratisation des mandats locaux, en espérant que les citoyens seront assez patients…
1 « Être élu local en 2018 », enquête menée par la Délégation aux collectivités locales et à la décentralisation du Sénat, janvier 2018. Le questionnaire a été renseigné par 17 500 élus.
2 Mathieu Darnaud, rapport d’information sur la revitalisation de l’échelon communal, n° 110, Sénat, 2018, p. 40.
3 Pierre Mauroy, Refonder l’action publique locale, rapport au Premier Ministre, La Documentation française, 2000, p. 78.