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En 1790 sont organisées les premières élections municipales françaises. Cet échelon devient décisif pour l’« apprentissage de la démocratie » : c’est historiquement à ce niveau que s’imposent progressivement les idées républicaines.
Le constat est partagé depuis longtemps par les historiens : si l’idée démocratique et républicaine n’avait emporté l’adhésion que dans les grands centres urbains, dont Paris, elle ne se serait jamais imposée dans une France restée majoritairement rurale jusqu’au milieu du XXe siècle. La participation politique sous ses différentes formes s’est largement développée depuis la fin du XVIIIe siècle au sein d’un espace municipal démultiplié à l’échelle de plusieurs dizaines de milliers de communes maillant le territoire français.
Moins célèbre que le 14 juillet ou la nuit du 4 août, la révolution municipale, réplique des événements versaillais et parisiens dans les provinces françaises, fait partie des événements qui justifient le choix de l’année 1789 comme entrée dans le monde politique contemporain. Marquée par la prise de contrôle populaire ou bourgeoise des pouvoirs locaux et donnant lieu à l’organisation de mini-gouvernements provisoires, cette révolution se voit consacrée par la loi du 14 décembre 1789, transformant les paroisses françaises en 44 000 communes. Celles-ci, quelle que soit leur taille, partagent la même structure d’organisation et, surtout, s’appuient toutes sur le principe électif qui permet aux citoyens de choisir leur conseil communal, leur maire et leur procureur.
Premières élections de la Révolution, les municipales de janvier-février 1790 sont marquées par un grand succès pour ce qui est de la participation.
Premières élections de la Révolution, les municipales de janvier-février 1790 sont marquées par un grand succès pour ce qui est de la participation. Le maire devient l’incarnation de la nouvelle société où les pouvoirs échappent aux ordres privilégiés pour émaner désormais du choix du plus grand nombre. C’est même au sein de ces nouvelles entités politiques qu’un premier accès des femmes au droit de vote est effectif, en 1794, à l’occasion des décisions sur le partage des biens communaux – plus de cent cinquante ans avant sa reconnaissance à l’échelle nationale. Si ce premier élan de libertés municipales est interrompu par l’Empire napoléonien – qui préfère voir les exécutifs locaux contrôlés par les préfets –, lorsque la monarchie de Juillet rétablit en 1831 l’élection des conseils municipaux, s’amorce un processus durable de politisation à partir de l’échelle locale. Ce phénomène est admirablement retracé dans l’ouvrage classique de Maurice Agulhon, La république au village (Seuil, 1979), qui l’explore à partir de l’exemple de la Basse-Provence au XIXe siècle. L’auteur y montre comment c’est au niveau des communes, villages ou gros bourgs ruraux que s’opère, selon sa formule devenue fameuse, la « descente de la politique vers les masses ».
C’est bien à travers les causes municipales (usages des bois et des communs, fiscalité locale, etc.) que la politique « descend vers les masses ».
À partir des années 1830, puis tout au long du XIXe siècle, la vie politique s’exprime aussi bien dans l’espace municipal qu’à l’échelle nationale. La conversion des populations provinciales à l’idée républicaine s’y observe remarquablement bien. La commune est le lieu où, rappelle Agulhon, « presque toutes les classes s’affrontent et se coudoient », et donc où les conflits peuvent s’exprimer, soutenus par une sociabilité associative intense à ce niveau : elle offre le cadre où se développent les cercles populaires, les chambrées, les sociétés de secours mutuel… Autant d’institutions construites à l’échelle communale. C’est bien à travers les conflits et les causes municipales (usages des bois et des communs, fiscalité locale, etc.) que la politique « descend vers les masses » puisqu’elle n’est plus l’apanage des seules élites bourgeoises. La vie festive et folklorique elle-même devient un moyen privilégié d’expression des idées politiques et des revendications. C’est encore sur une base communale que se déploient les grandes lois sur l’instruction du XIXe siècle, depuis la loi Guizot de 1833, obligeant chaque municipalité de plus de 300 habitants à entretenir une école primaire et un instituteur, jusqu’aux grandes lois Ferry de 1881-1882. Instituteurs et professeurs de collège fourniront d’ailleurs des relais importants à la diffusion des idées démocratiques républicaines.
La répétition des échéances électorales et la lutte légale pour le pouvoir municipal sont, de même, des facteurs essentiels de politisation qui contribuent à expliquer que l’idée démocratique s’impose plus précocement en France que chez ses voisins européens. Cet apprentissage de la démocratie et de son indispensable corollaire, le vote, s’accélère avec l’introduction du suffrage universel masculin en 1848. Et l’attachement des populations à l’idéal républicain se mesure bien à la résistance au coup d’État de 1851 visant à restaurer l’Empire napoléonien ; les formes les plus virulentes ne seront pas parisiennes.
Après une nouvelle mise sous tutelle des collectivités territoriales par le Second Empire, les républicains qui triomphent au cours des années 1870 prennent la défense des libertés locales et dotent les communes de pouvoirs étendus. À partir de 1882, le maire est élu par son conseil municipal et non plus nommé par le Préfet ; et la loi du 5 avril 1884 confère au conseil municipal, dont les séances deviennent alors publiques, le pouvoir de délibérer sur l’ensemble des problèmes de la commune. Quant au Sénat, il devient progressivement « le Grand Conseil des communes de France » et il le restera tout au long de la IIIe République, au point qu’on a pu qualifier celle-ci d’« âge d’or des communes. » Comme le résument Dumons et Pollet, « l’installation progressive de la République a fait de la commune un échelon décisif de l’apprentissage de la démocratie au plus près du citoyen mais aussi un espace de la républicanisation du territoire national et un ressort déterminant dans la vie publique1 ». La République, la démocratie et la commune sont bien liées dans l’histoire de France.
1 Bruno Dumons et Gilles Polet, « L’administration municipale », in Dictionnaire critique de la République, Flammarion, 2007.