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Dossier : Le vrai pouvoir des maires

L’intercommunalité, l’autre enjeu des municipales

© iStock_NLshop
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Peu de citoyens savent que, lors des élections dites « municipales », ils élisent aussi les conseillers communautaires, qui siégeront à l’intercommunalité. Un paradoxe et un risque démocratique au regard de la place de premier plan qu’occupe aujourd’hui cet échelon dans la mise en œuvre des politiques publiques locales…


En mars 2020, les citoyens se rendront aux urnes afin de désigner leurs représentants dans le cadre des élections locales. La focalisation de l’attention sur les candidates et candidats à la fonction de maire risque de dissimuler un autre enjeu important. Car lors de ce scrutin dit « municipal » seront également désignés les élus appelés à siéger au sein des intercommunalités.
Cette réalité, mal connue des citoyens et négligée par nombre de journalistes et d’analystes, n’est pas nouvelle. La non-reconnaissance de cet enjeu tient certes à un manque de communication et de pédagogie, mais aussi à une méconnaissance encore profonde de cet échelon politique. Pourtant, tant de missions relèvent aujourd’hui des intercommunalités !

Un nouvel échelon de politiques publiques

L’intercommunalité est un regroupement de communes au sein d’un Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pour assurer certains services publics locaux ou pour mener des projets. Le terme d’« intercommunalité » recouvre les communautés de communes, les communautés d’agglomérations, les communautés urbaines et les métropoles (voir « Pour aller + loin » ci-dessous). Comme la région, l’intercommunalité est une collectivité récente. Avec le développement des mobilités, les distances parcourues par les Français se sont considérablement allongées. La France des bassins de vie s’organise autour de périmètres élargis au sein desquels les habitants travaillent, consomment, se divertissent… Cette France des territoires se bâtit sur la conviction que ces nouvelles réalités sociales et géographiques doivent être prises en compte à une échelle appropriée, nécessitant un élargissement du périmètre à la fois de construction et d’intervention des politiques publiques.

Chaque commune a aujourd’hui l’obligation de faire partie d’une intercommunalité.

Cette nouvelle strate de gouvernements locaux s’est implantée progressivement : si les premières communautés urbaines datent de 1966, les communautés de communes et d’agglomérations ont été largement dynamisées dans les années 1990. Instaurées au départ à l’initiative d’élus locaux, ces intercommunalités reflétaient la volonté de travailler ensemble et de mutualiser les ressources. Elles permettaient de répondre à un manque de moyens (surtout en milieu rural), de s’adapter à de nouvelles réalités dépassant certaines frontières communales (en milieu urbain par exemple) et de mettre en œuvre des projets à l’échelle du « territoire vécu » ou du « bassin de vie » des habitants. Les décennies 2000 et 2010 ont vu la généralisation de ces communautés et métropoles, à l’initiative des territoires et sous l’effet de nouvelles lois les favorisant (loi RCT de 2010, loi Maptam de 2014, loi NOTRe de 2015). Aussi chaque commune a-t-elle aujourd’hui l’obligation de faire partie d’une intercommunalité. La fixation de seuils démographiques minimaux a encouragé l’élargissement de cette coopération, afin d’atteindre des périmètres dits « pertinents », proches de ceux du bassin de vie. La France compte aujourd’hui 1 257 intercommunalités ; la moyenne est de quelque trente communes et plus de 50 000 habitants, mais avec des variations considérables selon les territoires.
Aujourd’hui, l’intercommunalité est déjà à la manœuvre dans nombre de domaines. Aménagement du territoire (élaboration du plan local d’urbanisme, organisation et gestion des transports collectifs), développement économique (gestion des zones d’activités, promotion du tourisme) ou encore environnement (collecte et traitement des déchets, eau potable et assainissement, gestion des rivières et prévention des inondations…) : le cadre réglementaire a renforcé les missions des intercommunalités en fixant un certain nombre de compétences obligatoires.
Près de la moitié des communautés et métropoles sont compétentes en matière d’élaboration du plan local d’urbanisme. Les réseaux de transport public et solutions de mobilité (bus, tramway, vélo en libre-service) sont partout pilotés à une échelle bien plus large que celle de la ville-centre. De nombreux équipements sportifs, culturels, médicaux – en particulier en milieu rural –, sont construits par les communautés. Dans toute la France, les déchets sont collectés et traités par les intercommunalités, voire à des échelles plus larges encore. Communautés et métropoles gèrent aujourd’hui un budget qui dépasse les 50 milliards d’euros ; elles employaient, en 2017, 243 000 agents.

Les communes, représentées par des maires, sont les plus petites subdivisions administratives françaises. 90 % d’entre elles comptent moins de 3 500 habitants. Elles sont, pour la grande majorité, rassemblées en « intercommunalités ». En fonction du nombre de communes regroupées, ces intercommunalités seront appelées communautés de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines ou métropoles.AdCF, Qu’est-ce que l’intercommunalité ?, 2020. © adcf

Une lente mise en visibilité

Or cette réalité territoriale peine encore à trouver une incarnation démocratique. Si la reconnaissance des intercommunalités est réelle dans les cercles initiés de l’action publique locale, qu’en est-il pour les citoyens ?
Longtemps, en effet, l’intercommunalité a surtout été considérée comme un espace politique de négociation et de travail entre des élus - ces derniers participant aussi à sa dépolitisation1. Aujourd’hui, la responsabilité des communautés et métropoles est plus volontiers affichée dans la réalisation de grands projets urbains, sur les bennes à ordures ménagères, bus, tramways ou autres équipements publics. Les élus communautaires (et d’abord les présidents et présidentes) sont davantage identifiés. Les mandats de président(e)s ou de vice-président(e)s deviennent des mandats « qui comptent », de plus en plus attractifs et disputés pour les élus municipaux.

La perception de l’enjeu intercommunal à l’occasion des élections locales apparaît encore très limitée.

Malgré tout, la perception de l’enjeu intercommunal à l’occasion des élections locales apparaît encore très limitée. Certes, une marche importante a été franchie en 2014 avec la première élection au suffrage universel des élus intercommunaux, sous la forme du fléchage sur un bulletin à double liste (voir encadré « Comment les conseillers communautaires sont-ils élus ? » ci-dessous). Plusieurs territoires se sont mobilisés autour de cet enjeu : dans l’agglomération de Clermont-Ferrand, un programme communautaire commun à toutes les listes socialistes des différentes communes a été réalisé. À Grenoble, la présidence de la métropole par le futur maire a représenté un enjeu fort de la campagne municipale. Mais ce furent plutôt des exceptions : l’intercommunalité, « invitée discrète »1 des campagnes municipales, n’a guère bénéficié du coup de projecteur attendu en 2014, tant dans les discours des candidats que dans son traitement par les médias. On a plutôt vu des candidats aux élections municipales s’attribuer des réalisations portées en fait par l’intercommunalité (en matière de transports, d’équipements, etc.), ou à l’inverse critiquer des politiques auxquelles ils ont pourtant contribué à travers un mandat communautaire.

Vers un scrutin intercommunal ?

Les campagnes de 2020 offriront-elles aux communautés et métropoles le coup de projecteur espéré ? Les citoyens se verront-ils donner la possibilité de s’exprimer sur un programme intercommunal ? L’enjeu est de taille, au vu de l’ampleur des compétences et des budgets. Et les demandes sont fortes : près de 60 % des Français estiment qu’ils ne sont pas suffisamment informés sur le rôle et l’action de leur intercommunalité (sondage Ifop pour l’AdCF, 2018). Du côté des élus, la solution actuelle du fléchage sur liste municipale, telle qu’elle est mise en œuvre, peine à convaincre. Complexe dans ses modalités et limitée dans sa capacité à démocratiser le fonctionnement intercommunal, elle est considérée comme une exigence non nécessaire pour les uns et une étape de transition vers un nouveau mode de scrutin pour les autres. Des élus militent aujourd’hui pour un mode de scrutin plus lisible pour l’intercommunalité. Mais le débat touche à l’un des piliers fondateurs de l’intercommunalité : sa relation aux communes membres.
À la faveur de leur double mandat, les élus municipaux pilotent aujourd’hui les intercommunalités. Offrir aux citoyens la possibilité de choisir directement leurs représentants intercommunaux, sans que ceux-ci soient systématiquement conseillers municipaux, représenterait une évolution considérable dans la relation qu’entretiennent aujourd’hui communes et intercommunalités.
Le débat a été tranché pour l’instant en faveur des partisans d’une intercommunalité qui reste bien l’émanation stricte de ses communes. Il pourrait être remis sur la table d’ici le scrutin de 2026. Mais, pour l’heure, il reste conduit seulement entre élus et sans les citoyens.

Comment les conseillers communautaires sont-ils élus ?

Les communautés et métropoles sont pilotées par un conseil communautaire, composé d’élus émanant des conseils municipaux. Chaque commune dispose d’un certain nombre de sièges, en fonction de son poids démographique dans le territoire. À noter : aucune commune ne peut détenir à elle seule la majorité des sièges du conseil communautaire.
Initialement, les conseillers communautaires étaient désignés par les élus municipaux. Depuis 2014, dans les communes de plus de 1 000 habitants, ils sont élus dans le cadre des élections locales, en même temps que les conseillers municipaux.
Les conseillers communautaires sont élus au suffrage universel direct grâce à un bulletin à double liste. Chaque bulletin de vote comporte deux listes : à gauche, la liste des élus appelés à siéger à la commune et à droite, ceux d’entre eux qui, s’ils sont élus, deviendront conseillers communautaires. Ce « fléchage » doit respecter un ensemble de règles, en particulier la parité.
Dans les communes de moins de 1 000 habitants, les conseillers municipaux qui siégeront à l’intercommunalité sont désignés dans l’ordre du tableau (le maire, les adjoints dans l’ordre d’élection, etc.), en fonction du nombre de sièges dont la commune dispose au sein du conseil communautaire.
À la suite des élections municipales a lieu le « troisième tour » intercommunal : le conseil communautaire renouvelé élit à cette occasion son ou sa président(e) ainsi que ses vice-président(e)s.

 

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1 Fabien Desage, David Guéranger, La politique confisquée. Sociologie des réformes et des institutions intercommunales, éditions du Croquant, 2011.

1 Rémy Le Saout, Sébastien Vignon, Une invitée discrète. L’intercommunalité dans les élections municipales, Berger-Levrault, 2015.


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