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Dossier : Le vrai pouvoir des maires

Jouy-en-Josas. Récit édifiant d’un projet furtif

L'hôtel de ville de Jouy-en-Josas. Henry Salomé CC BY-SA 3.0
L'hôtel de ville de Jouy-en-Josas. Henry Salomé CC BY-SA 3.0

Une municipalité favorable, des opérations d’insertion réussies, des locaux vacants : tous les éléments étaient réunis pour que s’implante un centre de formation pour réfugiés. Pourtant, ce projet a été abandonné…


Jouy-en-Josas : la ville de 8 000 habitants, située en Île-de-France, est surtout connue pour accueillir l’école de commerce HEC ainsi que l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Début 2018, alors que les débats sur l’accueil des migrants en Europe sont au plus fort, la ville se retrouve au cœur d’un différend autour de l’implantation d’un centre de formation pour réfugiés. Le projet d’installation est discrètement conçu par les services de l’État, sans association préalable de la commune.
L’équipe en charge de la municipalité depuis 2008 se veut indépendante de tout parti politique. Réunie sur la base d’un rassemblement de compétences et de sensibilités variées, elle s’est construite autour d’un projet de solidarité et de développement durable. Le projet territorial vise concrètement à protéger et embellir la ville, à redynamiser son centre et susciter une vie locale plus animée en développant une politique de solidarité. Cela passe notamment par le développement d’une offre diversifiée de logements aidés qui font encore cruellement défaut dans ce secteur géographique. Avec Solidarités nouvelles pour le logement ou Habitat et humanisme ont pu être réalisés des logements d’insertion, une résidence intergénérationnelle en plein centre-ville ou encore la première « maison qui déménage », bâti démontable et remontable pour héberger temporairement des ménages précaires sur des terrains en attente d’affectation… C’est dans cet esprit qu’au moment de la « crise des réfugiés », la municipalité s’est déclarée prête à mettre à disposition des appartements, en coordination avec des associations (le Secours Catholique, JRS Welcome), mobilisatrices d’un nombre significatif de bénévoles. Aussi la ville de Jouy a-t-elle été considérée en haut lieu comme une localisation possible pour accueillir un projet de centre de formation de réfugiés.

Un projet mystérieux

Fin 2017, les locaux « campus Thales », situés en bordure de Bièvre à deux pas du centre-ville, sont mis en vente. La mairie décide aussitôt de préempter le site, afin d’en contrôler le devenir : nous souhaitions qu’il demeure un lieu de formation et voulions trouver un intérêt partagé entre la municipalité, les habitants et les gestionnaires du site afin d’éviter qu’il reste vacant trop longtemps.

À aucun moment un représentant de l’État n’a cherché à informer le maire de l’intention des pouvoirs publics et n’a proposé d’étudier ensemble le projet…

Mais, alors que l’équipe municipale est préoccupée du devenir de ce campus, une indiscrétion du propriétaire du site nous laisse entendre qu’un projet concernant des réfugiés serait à l’étude ; ce qu’un contact avec Emmaüs nous confirme sans pour autant apporter davantage de précisions. Ce n’est qu’en mars 2018 que la préfecture des Yvelines annonce officiellement de quoi il s’agit : un centre de formation généraliste qui devrait recevoir à partir de début juin des « promotions » de 300 réfugiés statutaires sur des périodes successives de six mois. Chaque promotion, exclusivement masculine, serait logée sur place. Une opération expérimentale, proposée et montée par Emmaüs en réponse à un appel à projet de la préfecture de région. À aucun moment un représentant de l’État n’a cherché à informer le maire de l’intention des pouvoirs publics et n’a proposé d’étudier ensemble le projet… à une municipalité dont l’ouverture et l’engagement étaient pourtant connus !
Sans manifester d’opposition de principe, le maire fait part de sa surprise et de son interrogation quant au nombre de stagiaires prévus et au délai très bref pour organiser la communication et espérer y faire adhérer la population. Une réunion publique est organisée en avril 2018, au cours de laquelle le secrétaire général de la préfecture et les responsables d’Emmaüs viennent présenter le projet. L’assistance est nombreuse, l’ambiance électrique. Le public se trouve partagé en trois tiers de taille à peu près comparable : des personnes déjà engagées dans l’accueil de réfugiés, par exemple des élèves de HEC, enthousiastes, des habitants venus se renseigner sans a priori et des opposants très remontés qui manifestent bruyamment leur hostilité. En tant que modérateur, j’ai bien du mal à tenir la salle. Mais toutes les opinions ou interrogations sont exprimées et la réunion se termine dans le calme. Le maire conclut en proposant une montée en régime progressive du centre ainsi que la mise en place d’un « comité de suivi », associant la préfecture, Emmaüs, la municipalité et tous les volontaires, afin de veiller à ce que la moindre difficulté soit rapidement traitée dans la concertation. À titre d’exemple, la question des activités des résidents en soirée et le week-end, soulevée en réunion par certains intervenants (et manifestement non anticipée par les promoteurs), suscite dès la fin des débats des propositions d’implication d’habitants et d’associations locales…
À ce stade, tout semble encore possible, à condition que l’on prenne le temps d’expliquer le projet et d’encourager des bénévoles à l’accompagner. Mais, dans les jours qui suivent, les choses s’emballent. Des rumeurs circulent dans la ville et la désinformation est amplifiée par l’usage des réseaux sociaux ; l’inquiétude et les peurs sont attisées par certains milieux politiques bien au-delà de la commune et du département. Alors que le projet concerne la formation de base (langue, culture…) pour des réfugiés en situation régulière ayant ensuite vocation à s’installer ailleurs, on entend les amalgames les plus alarmants. Il s’agirait d’une arrivée en masse de migrants dont on ne connaît ni le statut, ni la destination, ni les modalités d’encadrement… La municipalité n’aurait pas eu le choix ou, bien pire, elle aurait, avec la plus grande naïveté, accepté voire suscité le projet !
Une communication de crise est mise en place afin de redresser les contre-vérités. Une mobilisation des associations et des relais d’opinion aurait été nécessaire et efficace pour expliquer la situation et rassurer la population sur la nature du projet comme sur la vigilance de la mairie. Mais celle-ci n’ayant pas été déclenchée en amont, les élus se sentent bien seuls pour relayer les bonnes informations. Les encouragements qu’ils reçoivent sont principalement le fait de personnes déjà engagées auprès des réfugiés, mais aucune vague d’appuis ni proposition de soutien actif ne se manifestent spontanément… pas plus de la part des responsables paroissiaux que de celle d’autres réseaux locaux.

Le temps de l’adhésion

Au vu du contexte, en réunion à la préfecture, le maire rappelle sa position de principe favorable mais demande une montée en régime encore plus progressive que réclamée initialement : un temps de rodage permettrait en effet à la fois de dissiper les craintes des habitants et d’enrichir le projet par des partenariats avec les associations locales et les grands établissements d’enseignement tout proches (HEC et Tecomah). C’est à ces conditions, juge-t-il, que la grande majorité de la population pourra adhérer. Quelques jours plus tard, le maire apprend, par un appel téléphonique de la préfecture, que le projet est abandonné. Non pas différé ou déplacé sur un autre site, mais déclaré définitivement sans suite. La raison, invoquée après coup, est que l’ouverture progressive n’était pas compatible avec le bouclage financier du programme. Ce qui est surprenant car, s’agissant d’un projet expérimental, on pourrait supposer qu’il bénéficiait par nature de quelques marges d’adaptation.

On ignore à quel niveau la décision a été prise et ce qui l’a réellement provoquée

On ignore à quel niveau la décision a été prise et ce qui l’a réellement provoquée : peur d’une récupération politique, prise de conscience des insuffisances de l’étude préalable ou d’un manque de pertinence d’un centre de formation déconnecté de l’appareil d’éducation français ? Au niveau local, on ne manque pas de s’étonner de ce dénouement rapide, en s’interrogeant sur l’opacité qui l’entoure.

Rien sans le local

De cet épisode, on peut tirer plusieurs enseignements. D’abord, le constat de puissance des mouvements d’opinion xénophobes, en dépit d’un contexte local « pacifié ». Forts d’une pédagogie pratiquée depuis dix ans et de l’exemple de projets réussis d’insertion sociale, la « bataille de l’opinion » nous semblait gagnée. Depuis les élections de 2014, le courant d’opposition sectaire avait disparu du conseil municipal… Or il a suffi de cet événement pour réveiller un petit nombre d’acteurs radicaux, capables de jeter le trouble dans une partie de la population et, par la suite, de reprendre pied dans le jeu local en rapprochant les thématiques de la construction de logements sociaux, de l’accueil de populations sensibles, de l’insécurité, etc. Une proposition de ce type a peu de chance de déboucher si elle se monte dans le secret : un déni de transparence et de démocratie locale ne peut conduire qu’à un échec. C’est là le second enseignement : la nécessité de relations de confiance entre tous les acteurs concernés afin de rassembler les idées et les énergies et réunir ensemble des conditions de réussite. À l’évidence, la démarche des initiateurs du projet s’est révélée maladroite, contre-productive et, finalement, facteur de déstabilisation à l’égard d’une municipalité pourtant bienveillante.
Enfin, une question de fond se pose sur la pertinence d’une formation des réfugiés fonctionnant de façon indépendante.
Un dispositif adossé à d’autres lieux de formation (on n’en manque pas à Jouy) et avec d’autres publics ne serait-il pas mieux adapté ? Le projet envisagé aurait pu être travaillé dans ce sens, si du moins il s’était agi d’une réelle « démarche expérimentale », conçue et organisée comme telle, donc soumise à une évaluation et ouverte à de possibles adaptations…

Je ne crois pas à la réussite durable de projets imposés par le haut. C’est au niveau local que se jouent la solidarité et l’intégration.

Finalement, la municipalité n’a pas renoncé à bâtir une politique d’accueil. Nous avons commencé par faire une « relecture » des événements auprès de ceux qui étaient déçus, de ceux qui étaient soulagés, de ceux qui criaient victoire… Puis nous avons repris les choses dans le bon sens : pédagogie, progressivité, partenariat. Un exemple récent : à l’école Jeanne Blum (fondée à Jouy par l’épouse de Léon Blum) qui forme aux professions du paramédical, nous facilitons l’accueil d’un petit nombre de réfugiés, en les aidant notamment à se loger dans le voisinage. D’autres projets sont en gestation, en coopération avec des associations et des bailleurs sociaux.
Il me semble que chaque commune ou chaque intercommunalité est capable d’agir à sa mesure, en étant bien sûr incitée et encouragée. Si quelques maires sont réfractaires, ils ne sont pas les plus nombreux. En tout cas, je ne crois pas à la réussite durable de projets imposés par le haut. C’est au niveau local que se jouent la solidarité et l’intégration, grâce à une concertation au plus près du terrain, à un engagement des élus et à une implication des habitants eux-mêmes dans les projets d’accueil.

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