Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
En quatre ans, j’ai effectué deux volontariats de solidarité internationale avec la Délégation catholique pour la coopération (DCC). D’abord en Colombie, à partir de novembre 2011, puis aux Philippines à partir de février 2014. Aux Philippines, j’ai pris une énorme claque : celle du réchauffement climatique. Là-bas, c’est une réalité très tangible, que j’ai vécue dans ma chair. Désormais, les Philippins ne disposent plus de suffisamment de lettres dans l’alphabet pour baptiser les typhons qui touchent le pays ! Sans parler des inondations, ni des températures qui dépassent allégrement les 40 °C. Face à cela, le volontariat induit une simplicité évidente. En vivant dans les bidonvilles ou à proximité, j’ai découvert ce que veut dire organiser différemment son quotidien, sa consommation, sa relation au temps et au bonheur.
Après cette expérience, j’avais l’impression de tout voir avec un œil nouveau, parce qu’en arrivant dans une autre culture, je remettais sans cesse tout en question : « Pourquoi font-ils ça ? Pourquoi mangent-ils ça ? » Et cette attitude de questionnement, je n’ai pas pu m’empêcher de la conserver en rentrant en France : « Pourquoi nous retrouvons-nous à vivre de cette manière ? » J’avoue avoir imaginé le retour au pays comme une fête. Mais je l’ai vécu comme un choc ! Toute cette abondance de biens… Je me souvenais avec tristesse de la magie des rares fois où, à l’étranger, j’avais dégusté du vin et du fromage. En France, c’était redevenu tout à fait banal.
Une autre prise de conscience explique que depuis deux ans et demi, je n’ai pas quitté la France pour une expérience touristique. Je suis affolé à l’idée de repartir à l’étranger pour une courte durée. Je sens, je sais que je ne pourrai pas vivre cette expérience avec l’intensité de ce que j’ai vécu en Colombie et aux Philippines. J’ai compris que, à chaque fois que des amis venaient me rendre visite pour découvrir ces endroits magnifiques, il y avait une différence fondamentale entre eux, qui étaient des touristes, et moi, qui vivait ce volontariat : celle du rapport au temps. Mes amis étaient organisés, avaient un planning, une envie et un besoin d’efficacité. Moi, présent depuis plusieurs mois, parfois plusieurs années, j’étais à la recherche d’autre chose. Et finalement, c’est de cet « autre chose » que l’on parle une fois rentré. Pendant quelques minutes, on décrit les endroits magnifiques qu’on a vus ; ensuite, pendant une heure, on raconte les rencontres extraordinaires que l’on a faites. Pour moi, il était indispensable de laisser toute la place à ces rencontres. Voilà longtemps que l’on me dit : « Viens en Inde ! » Et j’ai l’opportunité d’y aller pour une activité qui ne soit pas uniquement du tourisme. Mais je redoute de ne pas avoir le temps suffisant pour vivre l’expérience qui m’intéresse, celle de rencontres qui me décentrent et me permettent de me découvrir à travers le regard de l’autre.
Pour toutes ces raisons, j’ai lancé à mon retour l’initiative : « Ça commence par moi ». Avec mon regard neuf sur notre société, j’ai interrogé nos modes de vie. Sommes-nous vraiment obligés d’avoir des moteurs électriques pour remonter nos volets ? D’utiliser de l’eau potable pour nos toilettes ? De surchauffer nos bureaux en hiver et de les climatiser en été ? D’acheter des fruits et légumes qui ont tous la même forme ? À partir de ces interrogations, j’ai listé 365 défis que je me suis imposés pour développer de nouvelles habitudes de vie : coller un « Stop pub » sur ma boîte aux lettres, utiliser un moteur de recherche écologique, acheter mes vêtements dans des friperies, installer des mousseurs sur mes robinets, faire mon compost, manger végétarien, changer de banque, rejoindre un supermarché coopératif, passer chez un fournisseur d’électricité verte, fabriquer mes produits d’entretien, aller au travail à vélo…
Ma conviction de départ ? Le changement est en cours dans nos sociétés et nous avons déjà la réponse au défi écologique qui s’annonce. On nous dit qu’en 2030, il faudrait que nous ayons tous divisé par quatre notre empreinte carbone pour pouvoir vivre de manière pérenne sur cette planète. Aujourd’hui, ce « facteur 4 », je l’ai plus que dépassé. Si tout le monde vivait comme moi, nous n’aurions plus besoin que des ressources de 0,8 planète (alors qu’actuellement, si tout le monde vivait comment des Français, nous aurions besoin de 2,9 planètes). Pourtant, je n’ai rien inventé ! Les actions que j’ai adoptées dans mon quotidien sont aussi expérimentées par d’autres. J’ai simplement poussé la logique des petits pas un peu plus loin. Je donne une touche plus jeune et plus urbaine à la sobriété heureuse de Pierre Rabhi : on peut être un colibri en vivant en ville.
De cette expérience, je retiens deux points de vigilance. Le premier concerne la relation à l’entourage. J’ai toujours eu l’impression d’être le « mouton noir » de ma famille sur ces questions de transition écocitoyenne. À chaque fois qu’on abordait ces sujets, mon entourage se refermait et je m’énervais parce qu’on ne m’écoutait pas. Puis j’ai découvert cette phrase : « L’expérience est une lumière qui n’éclaire que celui qui la porte » et je me suis promis de ne plus essayer de changer les gens. J’ai décidé agir et de ne parler de ce que je fais qu’aux gens qui me questionnent. Rien de plus. Paradoxalement, je ne me suis jamais senti aussi influent. Ce doit être la puissance de l’exemplarité. Aller au bout des choses, mettre en cohérence mes valeurs et mes actes, cela participe à mon bonheur. Et, forcément, cela interpelle mon entourage.
Le second point de vigilance concerne le fait d’opposer action individuelle et action collective. Au risque d’être un peu brutal, je trouve que c’est une erreur. L’un ne va pas sans l’autre. Peut-on reprocher à un musicien de s’entraîner chez lui avant de jouer dans un orchestre symphonique ? Cela n’a pas de sens ! D’un côté, l’urgence est telle que chaque geste compte. De l’autre, l’enjeu collectif est si colossal que nous devons être solides individuellement pour pouvoir réorienter profondément et durablement la direction prise par notre société. Personnellement, j’ai d’abord eu besoin de comprendre mon rôle au niveau individuel avant d’envisager un changement systémique. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas aussi faire la démarche inverse. Il y a autant de bonnes manières d’agir que de personnes sur Terre. L’important, c’est d’avancer. Et vite !
Cet article a notamment été rédigé à partir d’une intervention de Julien Vidal le 5 décembre 2017 lors du colloque « Le volontariat au défi de la transition écologique et solidaire » organisé au Ministère des Affaires étrangères et européennes par la DCC pour ses 50 ans.