Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Si vos pas vous conduisent un jour au Chili ou au Japon, vous y apprendrez, mi-effrayé mi-incrédule, que la terre tremble constamment dans les entrailles de ces territoires à haute magnitude sismique. La réalité géopolitique de notre époque n’est, hélas, guère différente, nourrie de failles de plus en plus béantes.
En un an et demi, l’épicentre du séisme a bougé. D’Ukraine, il s’est déplacé en Israël-Palestine, dans la résurgence la plus meurtrière d’un conflit interminable, aux répliques à la mesure de la violence déployée. Lestée des identifications militantes et personnelles que ce conflit mobilise depuis longtemps, la séquence ouverte par le massacre du 7 octobre a fait vaciller la concorde, déjà ténue, de nos sociétés démocratiques.
Les élections européennes du 9 juin auront révélé toute l’ampleur de l’abcès, attisé par ce tonnerre pas si lointain. La passion triste pour une « guerre des civilisations » devient fonds de commerce électoral et, plus grave, prétexte à une sourde guerre de tous contre tous. Aux uns, l’anathème d’islamophobie – il fallait, en plus, que la religion s’en mêle. Aux autres, l’accusation d’antisémitisme – parfois avéré, aussi, souvent, instrumentalisé. D’un scrutin à l’autre, la campagne des législatives, menée sous le spectre du RN, n’a pas davantage résisté à ces inquisitions croisées.
Incongru ou risqué, un dossier de la Revue Projet consacré au devenir du monde arabe n’allait pas de soi dans un tel climat. Ce choix ne doit pourtant rien au hasard, ni à la seule satisfaction d’aller à contre-courant. Un an après le 7 octobre, il était temps de faire entendre cette autre rive de la Méditerranée, que beaucoup voudraient voir loin ou « ailleurs » et qui nous regarde de si près. Car c’est bien la raison d’être de notre revue que de prospecter des langages communs.
Combien avons-nous été à croire ensemble en la promesse des Printemps arabes ? Une décennie plus tard, nous semblons l’avoir oublié. Comme nous avons oublié toutes ces voix porteuses d’avenir, en Tunisie, en Algérie et au Proche-Orient, qui ont heureusement survécu à notre amnésie. Ces petites pierres pèsent peu devant le gouffre creusé entre les suppliciés des kibboutz et les Gazaouis bombardés. Elles n’en sont pas moins essentielles à la patiente restauration d’une convergence qui se nomme humanité.
La leçon vaut entre ici et là-bas. Elle vaut de même au sein de nos sociétés traversées de clivages, d’inégalités et de méfiances mutuelles. Ici aussi, des fils de langage devront se retisser contre les confusions les plus délétères. Non, « sionisme » ne signifie pas en soi « colonialisme », tout comme la « cause palestinienne » ne se réduit pas à du « djihadisme ». Non, encore, la « critique du gouvernement israélien » n’équivaut en rien à de l’« antisémitisme ». Non, toujours, les situations d’oppression ou de danger sécuritaire n’exonèrent pas les recours à la barbarie. Non, enfin, les compassions les plus sincères n’autorisent pas amalgames et injures.
Alors, revenons à l’olivier, arbre symbolique pour les peuples méditerranéens : « Le portrait, quand il s’agit de l’olivier, n’est ni vert ni argent ; l’olivier est couleur de paix, si la paix avait encore besoin d’une couleur. »1
1 Mahmoud Darwish, cité dans Jean-Pierre Sonnet, Revenir à l’olivier. Pour une théologie méditerranéenne, Lessius, 2022.