Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
La vulgate médiatique ou politique réduit la violence à sa plus simple expression : directe, aveugle et a priori dépourvue de sens. La violence se déplore et se condamne. Oser la comprendre, serait-ce l’excuser ? Ce numéro de la Revue Projet, coordonné en lien avec le pôle formation du Ceras, récuse le sous-entendu de cette question.
Aucune violence ne s’affronte sans être nommée et, ainsi, approchée. Car approcher la violence pour la dépasser, c’est aussi s’emparer de l’autre enjeu fondamental qu’elle induit : ménager un espace au conflit dans une société démocratique qui en a, par essence, besoin.
Les imageries et émotions associées à la violence empêchent d’en percer les ressorts. Christian Mellon opère, à ce titre, un distinguo nécessaire : si la violence directe se révèle souvent le symptôme d’un mal-être social ou d’une injustice, elle peut aussi être l’instrument d’une stratégie rodée.
Animateur social et ancien braqueur, Yazid Kherfi s’attelle surtout au premier cas de figure : la violence par dépit d’une jeunesse désœuvrée, aux prises avec une société qui s’en méfie. Ce travail patient, au contact de mineurs délinquants, constitue le quotidien de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) que relate Angelina Chapin.
Ce cadre aux visées éducatives ne s’adresse malheureusement pas à tous les mineurs. La charge des jeunes exilés non accompagnés revient en général à une administration froide et procédurale. La sociologue Noémie Paté en décrit les mécanismes tournés vers un unique objectif : convertir ces mineurs en majeurs pour mieux les expulser.
Une autre violence se dessine, organisée et institutionnelle. Elle aussi reçoit l’attention médiatique dans ses expressions les plus visibles, en l’occurrence les violences policières. Instrumentalisée à l’excès par une classe dirigeante meublant son impuissance, la force publique perd la confiance des citoyens, relève Anthony Caillé, lui-même policier.
Pis, ce dévoiement de la « violence légitime » rejaillit sur l’armature de notre système pénal, analyse la magistrate Kim Reuflet. Dans leurs évolutions récentes, les doctrines du maintien de l’ordre finissent par inverser le lien de subordination entre les forces de l’ordre et l’autorité judiciaire chargée de les contrôler.
La survie démocratique se joue désormais dans le traitement des violences. C’est toute l’équation qu’a eue à résoudre la Cour d’assises spéciale chargée de juger les attentats du 13 Novembre et dont l’ancien juge Denis Salas a suivi les 148 jours de débat. Face à l’ampleur et la portée du crime commis s’imposait une réponse pénale allant bien au-delà de la punition d’une infraction.
Repoussée ou refoulée, la violence porte en elle notre propre fascination à son endroit. C’est en la démystifiant que nous parviendrons à la réduire, estime Bernard Perret, afin de remettre le conflit à sa juste place. C’est aussi en semant des graines de non-violence, méthode éprouvée que nous rappelle Jacques Semelin, qu’une légitime contestation peut prendre corps.