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En ce début de XXIe siècle, la faim est toujours là, et même en hausse structurelle depuis moins d’une décennie. Selon les estimations onusiennes, près de 800 millions de personnes sont, à ce jour, sous-alimentées.
Cette réalité ne se réduit pas à l’imagerie tragique d’enfants dénutris du Sahel. En 2020, deux milliards et demi d’individus – soit le tiers de l’humanité – se sont trouvés en état d’insécurité alimentaire. Autrement dit, selon les critères de la FAO (l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), hors de « l’accès régulier à suffisamment d’aliments sains et nutritifs pour une croissance et un développement normaux et une vie active et saine ».
L’année 2020 a été dominée par la crise sanitaire et ses conséquences sur la production et le ravitaillement des populations. Le moment a également précipité une hausse moyenne de 30 % du coût des denrées alimentaires, couplée à la flambée des factures énergétiques. Dans le sillage des « émeutes de la faim » de 2008-2009 et de la crise des prix de 2011-2012, ce ter repetita signe-t-il l’épuisement de nos modèles alimentaires ? Réalisé avec le CCFD-Terre solidaire et le Secours Catholique-Caritas France, le présent dossier de la Revue Projet tente de répondre à la question.
Car l’enjeu alimentaire souligne l’incidence des politiques publiques sur notre quotidien. Or s’agit-il de lutter contre l’« insécurité » ou la « précarité » alimentaire ? Dominique Paturel lève d’emblée la confusion entre les deux notions et pointe les choix, parfois contestables, qu’elles induisent. Dont celui d’une philanthropie de l’aide alimentaire toujours adossée au productivisme.
Des solutions existent pour garantir à tous et toutes une alimentation saine et durable.
Des solutions existent pour garantir à tous et toutes une alimentation saine et durable, ainsi qu’un revenu décent à celles et ceux qui la produisent. Mais au nom d’une prétendue sécurité alimentaire, ces solutions se trouvent sacrifiées sur l’autel du libre jeu des marchés, rappelle Morgan Ody. Qui produit, et pour qui ?
C’est de là que se pose le défi d’une véritable souveraineté alimentaire, brandie dans le débat public, mais diversement interprétée, met en garde Matthieu Brun. D’ores et déjà, des leviers de régulation des marchés permettraient d’éviter l’envolée répétée des prix agricoles, selon l’analyse de Franck Galtier, en dialogue avec Olivier De Schutter.
Force doit aussi rester à la loi – et à la volonté politique – fait valoir Christophe Golay en montrant comment le Brésil et l’Inde ont imposé le droit à l’alimentation dans leurs corpus juridiques. Laura Petersell et Kévin Certenais vont plus loin, invoquant un régime de sécurité sociale de l’alimentation sur le modèle de la « Sécu » mise en place en France après-guerre.
Las, observe Anaïs Marie, les interdépendances nées de la mondialisation se paient au prix fort en temps d’invasion de l’Ukraine par la Russie, le sort de deux milliards de personnes étant suspendu à ces deux puissances agricoles. La tragédie d’outre-Dniestr contraindra-t-elle à repenser une gouvernance alimentaire mondiale ? Benjamin Clémenceau parie plutôt sur une démocratie alimentaire, dont le citoyen (et consommateur) constitue l’acteur central.