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Dossier : Alimentation : l’autre affaire du siècle

L’alimentation, un droit humain

L’adoption de la déclaration des Nations unies sur les droits
des paysans (Undrop), en 2018, est le résultat de vingt ans
de mobilisation de La Via Campesina et de ses alliés. © Morgan Ody
L’adoption de la déclaration des Nations unies sur les droits des paysans (Undrop), en 2018, est le résultat de vingt ans de mobilisation de La Via Campesina et de ses alliés. © Morgan Ody

Les politiques alimentaires des États sont loin de satisfaire aux besoins des populations et aux droits des paysans producteurs. Le droit international offre néanmoins d’importantes garanties.


En adoptant les objectifs du développement durable de l’ONU en 2015, les États s’étaient engagés à éradiquer la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition d’ici à 2030. Avant la crise liée au Covid-19 et la guerre en Ukraine, aucun progrès n’avait été réalisé pour atteindre ces objectifs. La situation est hélas bien pire aujourd’hui.

Malgré les conséquences terribles de la pandémie et du conflit ukrainien sur la sécurité alimentaire mondiale, les causes profondes de la faim et de l’insécurité alimentaire ne sont pas à trouver dans les crises sanitaires ou environnementales ni dans les conflits armés, mais dans les exclusions politiques et économiques, les injustices sociales et les discriminations.

Comme l’a résumé Josué de Castro (1908-1973), sociologue brésilien et président du Conseil de la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) de 1952 à 1956 : « La faim, c’est l’exclusion. Exclusion de la terre, du revenu, du travail, du salaire, de la vie et de la citoyenneté. Quand une personne arrive au point de ne plus rien avoir à manger, c’est que tout le reste lui a été dénié. C’est une forme moderne d’exil. C’est la mort dans la vie. »

Pour lutter contre ces causes profondes, les droits de l’homme offrent des outils qui peuvent se révéler efficaces. Citons ici deux exemples relatifs au droit à l’alimentation : la campagne ad hoc menée en Inde et l’application de ce même droit au Brésil au cours des deux décennies précédentes. Citons aussi l’adoption, en 2018, de la déclaration de l’ONU sur les droits des paysans. Et regardons de plus près leur mise en œuvre sans en occulter les obstacles.

Lois ambitieuses

Au Brésil, sous les présidences de Lula da Silva et de Dilma Rousseff (2003-2016), le pays a fourni un modèle pour lutter contre la faim avec, comme arme, le droit à l’alimentation. En 2003, le gouvernement fédéral a adopté une politique alimentaire et nutritionnelle nationale et la stratégie Faim Zéro. Il a également institué le Conseil national pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, composé aux deux tiers de représentants de la société civile, afin de conseiller le président en la matière.

En 2006, le Congrès de Brasilia a adopté la loi organique sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Quatre ans plus tard, le droit à l’alimentation a été inscrit dans la Constitution. Dilma Rousseff a ensuite mis en place une politique destinée à éradiquer l’extrême pauvreté. Grâce à tous ces efforts, le Brésil a atteint en 2011 le premier objectif du millénaire pour le développement – réduire de moitié la faim sur son territoire – et a disparu trois ans après de la carte de la faim établie par l’ONU.

Le travail sur le droit à l’alimentation en Inde a commencé en 2001, lorsque des habitants du Rajasthan mouraient de faim alors que les stocks d’alimentation de la Food Corporation of India étaient disponibles. L’Union populaire pour les libertés civiles, une ONG de défense des droits de l’homme, a saisi la Cour suprême, qui a statué que toutes les personnes en Inde avaient le droit à l’alimentation et que tous les gouvernements des États indiens devaient mettre en œuvre des programmes d’assistance alimentaire.

Une loi indienne a reconnu des droits à l’assistance alimentaire pour 800 millions de personnes.

La loi sur la sécurité alimentaire, votée en 2013, a reconnu des droits relatifs à l’assistance alimentaire pour 800 millions de personnes. Depuis 2001, une campagne sur le droit à l’alimentation menée par une coalition d’ONG informe les plus vulnérables de leurs droits. En 2020-2021, des protestations paysannes d’une ampleur sans précédent ont forcé le gouvernement à retirer sa décision de modifier le système des marchés publics et des prix de soutien minimum aux paysans et paysannes, essentiel pour garantir le droit à l’alimentation et le mécanisme de distribution alimentaire depuis les années 1960.

Malgré ces avancées, la situation est redevenue alarmante dans les deux pays. La crise sanitaire y est certes pour beaucoup, mais aussi, et surtout, les nouveaux gouvernements conservateurs ont mis un terme à de nombreux programmes d’assistance. Ce tournant a mis en évidence l’absence de changements structurels, notamment en matière d’accès à la terre, derrière les réalisations précédentes.

L’accès à la terre demeure extrêmement inégal dans les deux pays. En Inde, 4,9 % des agriculteurs contrôlent 32 % des terres agricoles, 82 % des agriculteurs sont petits ou marginaux et 56,4 % des ménages ruraux (101,4 millions de personnes) sont des sans-terres. Au Brésil, moins de 1 % des propriétés rurales occupent près de la moitié de la zone rurale totale, tandis que près de 50 % des propriétés rurales ne représentent que 2,3 % de la zone rurale totale. Cette extrême inégalité a été contestée – parfois avec succès – par des organisations telles qu’Ekta Parishad en Inde, ou le Mouvement des sans-terre et la Commission pastorale de la Terre au Brésil.

L’œil de l’ONU

L’adoption en 2018 de la déclaration des Nations unies sur les droits des paysans (Undrop, selon son sigle en anglais) est le résultat de près de vingt ans de mobilisation du mouvement paysan La Via Campesina et de ses alliés (voir l’article de Morgan Ody), et de six ans de négociations au sein du Conseil des droits de l’homme onusien. Cette déclaration entend répondre aux multiples formes de discrimination subies par les paysans et paysannes, lesquels représentent la majorité des victimes de la faim et de l’insécurité alimentaire. Elle a également pour but de mieux protéger et promouvoir leurs droits et leur dignité.

L’application de la déclaration représente une opportunité unique de rééquilibrer les relations de pouvoir dans les zones rurales. Elle constitue, en outre, un moyen important de garantir que les États respectent, protègent et réalisent – comme le texte le prévoit – les droits des paysans et paysannes, trop souvent marginalisés par les politiques en vigueur aux niveaux national, régional et même international.

La déclaration dispose également que les États doivent élaborer, interpréter et appliquer les normes et les accords internationaux auxquels ils ont souscrit d’une manière compatible avec la déclaration (art. 2.4). À charge pour eux d’établir des mécanismes destinés à assurer la cohérence de leurs politiques agricoles, économiques, sociales, culturelles et de développement, avec la réalisation des droits consacrés dans la déclaration (art. 15.5). Enfin, les États se doivent de reconnaître l’importance de la coopération internationale en appui aux efforts nationaux déployés pour mettre en œuvre la déclaration (art. 2.6).

La primauté des droits de l’homme sur le droit national vaut notamment pour le droit aux semences. 

Selon la Charte de l’ONU, le droit international public accorde aux normes des droits de l’homme la primauté sur le droit national et les autres branches du droit international (art. 1.3). Cette primauté vaut notamment pour le droit aux semences. Elle signifie qu’en endossant de nouvelles normes ou de nouveaux accords internationaux (ou en interprétant et en appliquant les obligations auxquelles ils ont déjà souscrit), les États doivent s’assurer que celles-ci consacrent le droit aux semences des paysans et paysannes.

Au niveau national, les États ont la responsabilité de veiller à ce que les politiques engagées en la matière, les lois relatives à la protection des obtentions végétales, les législations sur la propriété intellectuelle, les systèmes de certification et les lois sur la commercialisation des semences prennent en compte les droits, les besoins et les réalités des paysans et paysannes (art. 19.8). Ces obligations sont valables pour tous les États, indépendamment de leur position au moment de l’adoption de l’Undrop.

Obligation légale

Au moment de l’adoption de la déclaration, vingt-trois États membres de l’Union européenne se sont abstenus, deux ont voté pour (Portugal et Luxembourg) et trois ont voté contre (Hongrie, Suède et Royaume-Uni avant Brexit). La majorité des États européens abstentionnistes ou défavorables à l’Undrop ne voulaient pas reconnaître le droit des paysans et paysannes aux semences, en possible contradiction avec les droits de propriété intellectuelle des entreprises semencières de l’UE.

Malgré ces votes, tous les États ont l’obligation de mettre en œuvre de bonne foi les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU. De même, les États parties aux traités internationaux de protection des droits de l’homme sur lesquels est basée la déclaration, y compris ceux qui consacrent le droit à l’alimentation auxquels sont parties tous les États européens, doivent promouvoir le droit aux semences aux niveaux national, régional et international.

Dans le futur, il est essentiel que toutes les forces soient mobilisées pour que les États mettent en œuvre le droit à l’alimentation et les droits des paysans et paysannes à tous les niveaux. Afin, d’abord, qu’ils élaborent, interprètent et appliquent les accords internationaux, y compris ceux adoptés à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov), d’une manière compatible avec ces droits. Afin, ensuite, qu’ils veillent à ce que les accords de libre-échange auxquels ils sont parties ou qu’ils négocient n’entraînent pas de violations de ces droits. Afin qu’ils s’engagent, enfin, dans la coopération internationale, de façon à soutenir les efforts des pays en développement visant à concrétiser ces droits.

Pour aller + loin

Christophe Golay & Fulya Batur, Le droit aux semences en Europe, Geneva Academy, 2021.

Christophe Golay, Le droit à la terre et la déclaration Undrop, Geneva Academy & ILC, 2021.

Christophe Golay, Guide. Instruments internationaux et régionaux pour défendre et promouvoir les intérêts et les droits des agricultrices et agriculteurs familiaux, Geneva Academy & World Rural Forum, 2021.

Christophe Golay, La mise en œuvre de la déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, Geneva Academy, 2019.

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