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Dossier : Ce qui nous lie
Dossier : Ce qui nous lie

Accueil des exilés Entre précarités et solidarités

Marie-Claire (à droite) vient d'accueillir Zoulet (au centre) pendant cinq semaines, au travers du Service jésuite des réfugiés (JRS France). Elle l'accompagne dans sa nouvelle famille. © Cécile Massié/JRS France
Marie-Claire (à droite) vient d'accueillir Zoulet (au centre) pendant cinq semaines, au travers du Service jésuite des réfugiés (JRS France). Elle l'accompagne dans sa nouvelle famille. © Cécile Massié/JRS France

En Normandie, les réseaux de solidarité tournent à plein régime pour héberger les exilés, palliant (en partie) les défaillances institutionnelles. Mais être accueilli est loin d’être facile.


Salim*, la trentaine, fuit le Sahara occidental et vient demander l’asile en France fin 2016. Il se rend à Caen, en Normandie, pour y retrouver des connaissances originaires de la même région que lui. Celles-ci l’accueillent quelques nuits dans leur chambre de Cada (centre d’accueil pour demandeurs d’asile). Mais cet arrangement (en principe interdit par le règlement) ne peut être que de courte durée.

Salim passe alors plusieurs mois au « 115 », entre la rue et les centres d’hébergement d’urgence, avant qu’une association ne lui propose d’être accueilli chez des familles bénévoles. Il est logé ainsi pendant quatre mois. Puis un ami sahraoui, arrivé depuis plus longtemps et qui a, lui, déjà acquis le statut de réfugié, lui offre de partager son appartement le temps que sa situation s’améliore.

Un an plus tard, Salim a lui-même obtenu la protection internationale. Ayant désormais le droit de travailler, il est en mesure de payer un loyer dans une colocation. Entre son arrivée en France et cette relative stabilité, les initiatives de solidarité privée dont il a bénéficié (de la part de compatriotes, d’hôtes citoyens, d’amis) ont joué un rôle essentiel et complémentaire dans son accès à l’hébergement.

À première vue, la Normandie ne fait pas partie des destinations de prédilection des personnes exilées1. Pourtant, plusieurs raisons peuvent les y mener. Certains, comme Salim, ont des connaissances pouvant les accueillir, au moins temporairement : membres de leur famille, amis, contacts plus lointains... Mais pour la plupart, c’est un mélange de stratégie et de hasard qui les guide jusque-là.

En arrivant à Paris – point de passage presque inévitable pour les nouveaux venus –, ils se trouvent confrontés aux dures réalités de la vie dans la capitale pour les étrangers. La découverte des camps de migrants et du nombre de personnes à la rue, les délais pour enregistrer une demande d’asile, la densité et le rythme de la capitale peuvent les amener à tenter leur chance ailleurs. Enfin, Ouistreham, petite ville portuaire à une vingtaine de kilomètres de Caen, d’où partent tous les jours plusieurs ferrys pour Portsmouth, attire ceux qui souhaitent se rendre en Angleterre.

L’instabilité et l’insécurité des centres d’hébergement ne permettent qu’un repos minimal aux hébergés.

En arrivant dans une ville où l’on ne connaît personne, la principale option pour ne pas dormir dehors est d’appeler le 115, en espérant qu’il y ait un lit disponible dans un centre d’hébergement d’urgence. Mais les places y sont limitées et, chaque soir, des personnes restent sans solution, en particulier les hommes seuls, qui ne sont pas prioritaires dans ce genre de dispositifs. Il s’agit en outre d’une solution d’hébergement temporaire : à Caen, les places sont réattribuées tous les deux jours. Par ailleurs, les horaires imposés d’entrée le soir et de sortie le matin, la coprésence avec des personnes aux pratiques addictives, l’instabilité et l’insécurité que ce système suppose ne permettent qu’un repos minimal aux hébergés.

Tous les demandeurs d’asile ont droit, en théorie, à un hébergement dans un centre d’accueil spécifique, dans le cadre du « dispositif national d’accueil » (DNA). Mais ce système est, lui aussi, largement saturé et, en pratique, moins de la moitié des demandeurs d’asile accède réellement à un hébergement. Quant aux personnes en situation irrégulière, sans surprise toutes les portes leur sont fermées. Ces exilés doivent alors compter exclusivement sur les initiatives de solidarité émanant de bénévoles ou de leurs propres réseaux de sociabilité.

En chiffres

La notion d’« exilé » n’étant pas une catégorie administrative, il n’existe pas de statistiques officielles sur cette partie de la population. On estime cependant que les exilés sont relativement peu nombreux en Normandie. C’est l’une des régions ayant la plus faible proportion d’immigrés dans sa population (4,37 % contre 9,56 % à l’échelle de la France en 2017, selon l’Insee) ; il y a eu 3 969 premières demandes d’asile en 2019 (contre 60 997 en Île-de-France, selon le rapport d’activité 2019 de l’OFII). Par définition, il est impossible de connaître précisément le nombre de personnes en situation irrégulière sur le territoire, mais à titre indicatif l’estimation est de 200 000 à 400 000 sans-papiers en France.

Nécessaires compétences sociales

En Normandie comme dans le reste de la France, la population locale s’est organisée en associations et collectifs afin d’héberger les exilés chez des particuliers, pour quelques soirs ou plusieurs mois. Pour relayer les besoins des étrangers à la rue et faciliter la mise en place des cohabitations, des travailleurs sociaux issus de structures associatives ou institutionnelles ont été mis à contribution.

Ces professionnels identifient les personnes qui leur semblent particulièrement vulnérables et qui ont une attitude « adaptée » à une cohabitation avec des hébergeurs bénévoles. Autrement dit, ceux avec qui « les relations sont simples », ainsi que l’explicite Pauline, travailleuse sociale au Samu social de Caen. Cela implique notamment qu’elles ne présentent pas de problème de santé ou de trouble psychique majeur – ce qui n’est en réalité pas si évident au regard de leurs parcours parfois traumatiques. Les moins résilients tendent ainsi à être écartés de l’accueil chez les particuliers.

Les compétences sociales des exilés sont déterminantes pour pouvoir accéder à des formes d’hospitalité.

Certains habitants se mobilisent spontanément pour accueillir ou trouver dans leurs réseaux des solutions d’hébergement pour les exilés qu’ils connaissent. Ces offres d’hospitalité s’inscrivent souvent dans la continuité d’autres formes d’aide (alimentaire, accompagnement administratif et social, apprentissage du français), mais peuvent aussi reposer sur un sentiment de proximité du fait de l’appartenance à une même communauté nationale, ethnique, religieuse, ou expériencielle – notamment du fait d’avoir connu les mêmes difficultés de la migration.

Ainsi, après avoir obtenu le statut de réfugié et son propre appartement, il semblait évident pour Fares d’accueillir chez lui d’autres exilés rencontrés avant de régulariser sa situation : « Je [les] laisse pas comme ça aussi, je suis passé par là ! » Dans tous les cas, les compétences sociales des exilés, leur capacité à entretenir des relations et à nouer des rapports de confiance avec les bonnes personnes, sont déterminantes pour pouvoir accéder à des formes d’hospitalité.

Être accueilli au sein d’un ménage français est souvent perçu comme une chance par les exilés et envisagé avec gratitude, en raison du repos, du confort, des rencontres et des apprentissages que cela permet. Après avoir vécu à la rue puis dans un squat, Barthélémy, Gabonais de 22 ans débouté de l’asile, a été hébergé chez un jeune couple vivant dans le centre de Caen. Il décrit cette expérience comme « un gros cadeau tombé du ciel ». « C’était carrément mieux que de dormir dans un dortoir, raconte-t-il, j’avais une grande chambre, un grand lit, un grand écran plasma et tout. Je pouvais laver mon linge, je pouvais le repasser, il y avait une dame de ménage, voilà c’était bien quoi ! »

Mais cette hospitalité peut aussi générer certaines appréhensions, notamment car les exilés craignent de commettre des maladresses liées à des décalages culturels, réels ou supposés. Certains, comme Idriss, préfèrent cohabiter avec des personnes plus proches en termes d’âge et de culture car, selon lui, « quand on grandit ensemble, on se comprend ». Ce jeune Soudanais a toujours eu l’impression que sa présence gênait ses hôtes. Il dit être plus à l’aise maintenant qu’il est hébergé par des amis originaires du même pays que lui.

Asymétrie relationnelle

Le rapport d’hospitalité implique toujours une asymétrie2. Se sentant redevables, craignant de déranger, les personnes hébergées sont en permanence dans une posture de contrôle de leur comportement. C’est ce qu’exprime Moussa, accueilli successivement dans trois familles durant sa demande d’asile : « T’es quand même chez des gens ! Donc tu peux pas forcément faire tout ce que tu peux, tout ce que tu veux quoi. C’est vrai que… ils n’ont pas mis de règles et tout, mais toi-même personnellement, tu te mets des barrières. »

Les exilés hébergés peuvent alors avoir tendance à tenter de compenser leur présence en rendant des services (tâches domestiques, travaux…) ou en s’effaçant autant que possible (en ne laissant rien traîner, en ne rentrant que pour dormir). L’injonction à se raconter ressentie par les exilés, ainsi que le manque d’autonomie et d’intimité, sont également des éléments qui rendent la position d’accueilli difficile à supporter.

L’obligation de se réadapter souvent à de nouveaux cohabitants crée un sentiment de fatigue psychique.

Au bout d’un certain temps, cette configuration résidentielle atteint souvent ses limites. Pour celles et ceux qui changent souvent d’hébergeurs, l’obligation de se réadapter à un nouvel environnement, à un nouveau mode de vie et à de nouveaux cohabitants tend à recréer un sentiment de fatigue psychique et de relative instabilité. Ceux qui, à l’inverse, restent longtemps chez un même hôte, finissent par avoir l’impression d’abuser de sa générosité et en ressentent un certain malaise.
Pour les exilés qui, comme Salim, parviennent à obtenir l’asile ou un titre de séjour, l’hébergement chez les particuliers aura constitué une étape dans leur parcours vers l’accès aux droits. L’hospitalité privée permet alors de mieux supporter la période – parfois très longue – d’attente et d’incertitude avant d’obtenir des papiers, puis un logement.

Mais pour ceux dont l’insécurité administrative se prolonge, les solidarités résidentielles ne jouent plus seulement le rôle de soutien provisoire, elles sont un dernier rempart contre la dégradation de leurs conditions matérielles d’existence et de leur santé mentale. Les réseaux d’accueil sont une ressource essentielle pour les exilés, mais ils ne peuvent représenter qu’une réponse partielle et temporaire aux besoins en hébergement de ces derniers. Seuls la mise en place de meilleurs dispositifs d’hébergement institutionnels (plus nombreux, plus adaptés et reposant sur un accueil inconditionnel), ainsi qu’un accès facilité au séjour, au travail et au logement, pourraient permettre aux personnes exilées de sortir de la précarité multidimensionnelle dans laquelle leur statut les maintient.

En savoir +

Cet article est tiré du travail de recherche de Chloé Ollitrault, sous la direction de Serge Paugam et Camille Gardesse. Il porte sur l’hospitalité privée destinée aux personnes exilées et analyse leurs trajectoires et expériences d’hébergement en Normandie. Ce travail repose sur une enquête ethnographique commencée en 2019. Il se base sur des entretiens avec des exilés hébergés et des hébergeurs, ainsi que sur la fréquentation de collectifs et associations locaux d’aide aux migrants.

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1 Le terme « exilé » désigne ici toutes les personnes ayant fait l’expérience d’une migration vécue comme contrainte et marquée par la précarité administrative. Cela inclut notamment les sans-papiers, les demandeurs d’asile et les réfugiés.

2 Anne Gotman, Le sens de l’hospitalité. Essai sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre, PUF, 2001.


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