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Dossier : Faut-il toujours payer ses dettes ?

Covid-19 : l'État au secours des entreprises

La crise de la Covid a contraint de nombreux commerces à baisser le rideau. © Anthony Racano/iStock
La crise de la Covid a contraint de nombreux commerces à baisser le rideau. © Anthony Racano/iStock

Pendant la pandémie, la création du prêt garanti par l’État (PGE) a permis de soutenir les entreprises. Mais le retour à des pratiques bancaires classiques semble inéluctable.


« Aucune entreprise, quelle que soit sa taille, ne sera livrée au risque de faillite », annonçait Emmanuel Macron au soir du 16 mars 2020, la veille du confinement qui devait durer presque deux mois. Lancé le 25 mars, le prêt garanti par l’État (PGE) devait aider les entreprises fragilisées par la crise de la Covid-19 à faire face à leur insuffisance de trésorerie et leur éviter ainsi la faillite : les banques peuvent prêter à une entreprise dans la limite de 25 % de son chiffre d’affaires annuel et l’État garantit 90 % de ce montant. Remboursé en une fois au bout d’un an, le prêt ne coûte rien à l’emprunteur ; dans le cas contraire, il se transforme en crédit « classique », assorti d’intérêts, d’une durée maximale de six ans. L’État a mobilisé 300 milliards d’euros pour ces crédits, soit plus de la moitié de l’enveloppe de 500 milliards que le président Macron a annoncé avoir débloqués pour la crise de la Covid.

En septembre 2020, 120 milliards d’euros de PGE avaient été prêtés à 570 000 entreprises. L’État a également versé aux entreprises des aides monétaires à travers le chômage partiel, des exonérations de charges et le fonds de solidarité qui leur est spécifiquement destiné. Le soutien sous forme de garantie d’un prêt bancaire induit une comptabilité différente des dépenses directes engagées par l’État : la part des prêts remboursés est une opération totalement indolore pour les finances publiques. Les débats parlementaires du mois d’avril envisageaient un taux de défaut maximal de 10 %. Dans ce scénario, pour 300 milliards d’aide annoncés, seulement 30 milliards seraient potentiellement déboursés par l’État.

Entre le printemps et l’automne 2020, le débat public autour de ces prêts a évolué : initialement présentés en des termes renvoyant à l’aide d’urgence, leur pertinence est ensuite interrogée à travers la grille habituelle d’octroi de crédit aux entreprises. Il doit être souscrit par des emprunteurs capables de rembourser et de payer le coût des intérêts légitimement dus au prêteur. La crise sanitaire donne ainsi à voir les multiples facettes du crédit, entre aide d’urgence et contrat marchand.

Prêter à tout le monde ?

Le prêt de trésorerie à une entreprise est celui que les banques jugent le plus risqué, il est souvent stigmatisé comme un signe de mauvaise gestion et est habituellement assorti d’un taux de refus élevé, de l’ordre d’un tiers pour les petites et moyennes entreprises (PME) et de 44 % pour les seules TPE (très petites entreprises, de moins de dix salariés), sur la période du premier trimestre 2020. Pourtant, ce crédit est vital, puisque 25 % des PME font faillite pour cause de rupture de trésorerie, selon l’organisme expert Altarès. La mise en place des prêts garantis par l’État a donc adouci la sévérité habituelle autour de l’octroi des prêts de trésorerie : le gouvernement a répété que toutes les entreprises pourraient y accéder et a beaucoup communiqué sur son taux de refus très faible, estimé par Bercy à 2,5 %, début juin.

La réalité de cet accès quasiment universel a été au cœur des débats. Une série d’articles de presse a, témoignages d’entrepreneurs à l’appui, pointé des refus qualifiés d’abusifs ou la réticence des banques à « jouer le jeu », alors qu’une enquête (menée par le Syndicat des indépendants après avoir consulté 1 087 TPE, du 10 au 15 avril 2020) faisait état d’un taux de refus de ces PGE de 52 %, bien au-delà des statistiques officielles. Lors de nos entretiens, il nous est apparu que beaucoup de refus n’étaient pas enregistrés comme tels, que le refus soit oral ou que la banque ne réponde jamais1.

Les banques ont été sommées publiquement de remplir leur rôle civique. 

Les banques ont alors été sommées publiquement de remplir leur rôle civique. Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale et président de la Fédération des banques françaises, puissant syndicat professionnel des banques, a dû répondre aux questions des journalistes et se justifier, expliquant à la radio et dans les journaux que les banques ne traînaient pas des pieds mais étaient submergées par les demandes. S’il a bien tenté de rappeler les contraintes réglementaires strictes s’appliquant aux opérateurs privés que sont les banques, que l’État ne peut piloter et forcer à prêter à tout le monde, ces arguments étaient alors perçus comme illégitimes en ces temps de crise.

De son côté, le gouvernement, lui aussi soupçonné de ne pas aider suffisamment les entreprises et de communiquer des chiffres embellis, a assoupli sans cesse les conditions d’octroi de la garantie, jusqu’à autoriser des entreprises en situation de redressement judiciaire à se porter candidates. En parallèle, la saisine de la médiation du crédit a été facilitée, faisant grimper les demandes d’appel des entreprises face aux refus de crédit des banques : 3 429 pour le seul mois d’avril, soit plus de trois fois le nombre de demandes de toute l’année 2019.

Ainsi, au printemps, dans le débat public, le PGE était majoritairement vu comme une aide indispensable, presque humanitaire, dont le refus ne pouvait aucunement être justifié et la logique marchande qui sous-tend l’octroi de crédit bancaire semblait avoir disparu.

Trop de prêts ?

Au fil du temps, le cadrage se transforme : l’enjeu du remboursement des PGE, quasiment absent des discours officiels pendant le confinement, émerge. Les banques et l’État se réunissent début septembre pour déterminer les taux d’intérêt à appliquer aux PGE. Ils s’accordent sur une tarification « à prix coûtant », sans bénéfice pour le prêteur sur la durée du prêt pour les TPE et PME, signe que le caractère d’aide de ces prêts reste prégnant. Toutefois, une interrogation renvoyant aux définitions les plus économiques du crédit se fait jour : n’a-t-on pas prêté à des entreprises trop fragiles ?

Des PGE ont été octroyés à nombre d’entreprises auxquelles le crédit aurait été refusé en temps normal.

Des PGE ont été octroyés à nombre d’entreprises auxquelles le crédit aurait probablement été refusé en temps normal. Dès lors, leur faillite n’a-t-elle pas été seulement repoussée de quelques mois, au prix d’une dette qui pèsera sur les finances publiques puisque la garantie de l’État sera alors activée ? La notion d’entreprise « zombie », terme technique qui désigne les entreprises qui ne créent pas suffisamment de richesses pour faire face à leurs intérêts d’emprunt2, a connu un regain d’intérêt au vu des articles de presse ou des tribunes prophétisant des faillites massives à venir. Les techniques d’évaluation du risque n’ont, en effet, pas été modifiées par les banques depuis la crise sanitaire. Les dispositifs de quantification avec l’utilisation des notes de risque, délivrées par la Banque de France ou issues de leurs propres modèles internes, sont toujours aussi prégnants. Ces notes ont pesé en arrière-plan sur l’octroi des PGE et leur dégradation future risque d’empêcher l’accès ultérieur au crédit pour ces entreprises. Ainsi, la définition « humanitaire » des PGE, si elle a assoupli temporairement les conditions de l’octroi de crédit bancaire au prix d’une garantie publique, n’en a pas modifié les fondements.

De son côté, le Medef assure que les prêts seront facilement remboursés. En août, son président, Geoffroy Roux de Bézieux, avance le chiffre de 70 % des prêts qui auraient été demandés sans être consommés, preuve de la facilité avec laquelle les entreprises sauront faire face3. Les conditions de la reprise économique et les politiques publiques qui les accompagnent sont en évolution permanente. La plus grande prudence est donc requise quant aux prédictions sur l’avenir des entreprises. La surprise vient plutôt de la faible présence de ces questions lors de la mise en place des PGE au printemps 2020. À cette époque, les articles de presse étaient concentrés sur les difficultés d’accès de certaines entreprises. Quelques mois plus tard, quand le cours de la vie économique semble reprendre, le cadrage classique réapparaît et l’enjeu des capacités de remboursement est posé. D’autant que les intérêts sur ces crédits continuent à courir et peuvent rapidement atteindre des montants relativement conséquents. Dès que la crise semble passée, l’emprunteur redevient seul responsable de ses dettes et doit les assumer en les remboursant et en acceptant d’être noté à leur aune. De fait, le débat porte alors sur l’ampleur du risque pris par les banques et par l’État, et sur la santé financière des entreprises : celles-ci ne sont plus seulement décrites comme victimes d’une calamité mais reprennent leur statut d’agents économiques qui doivent équilibrer recettes et dépenses.

© Anastasia Melachrinos

Quelle politique publique ?

L’évolution des questions posées au PGE découle des définitions multiples que l’on peut donner au crédit, sur un continuum allant de l’aide humanitaire au contrat marchand le plus standard. Mais la place que ces prêts occupent dans l’échafaudage des aides proposées par l’État est très particulière : elle est dominante en termes monétaires (300 milliards provisionnés même si « seulement » 120 ont été dépensés) et ils ont fait l’objet d’une publicité majeure.

Cet outil paraît facile pour l’État : il est peu coûteux, puisque l’argent est avancé par les banques et non par le budget national, et, si les entreprises remboursent, l’État n’aura rien à payer. Toutefois, les banques sont l’opérateur de cette politique : pour accéder à l’aide promise, les entreprises sont obligées de passer par leurs dispositifs. Même si l’État a pu faire pression, publiquement et sans doute à travers les réseaux liant la haute fonction publique au monde bancaire, en dernier lieu ce sont bien les banques qui signent le contrat et dictent leurs conditions. La garantie publique ne couvre que 90 % des encours et les prêteurs n’entendent pas s’engager à la légère pour 10 % de 120 milliards.

Une réponse possible des banques à la crise actuelle sera de limiter l’accès au crédit des entreprises.

L’apparente suspension des logiques marchandes traditionnelles devant l’adversité collective est rapidement rattrapée par le cadre réglementaire extrêmement rigide dans lequel évoluent les banques. La financiarisation de l’économie, terme valise, s’incarne ici très concrètement à travers les réformes prudentielles dites « de Bâle ». Pour stabiliser le système financier, les régulateurs internationaux ont imposé aux banques d’utiliser massivement les notations. La note d’un emprunteur détermine le montant des fonds propres que la banque doit détenir. En période de crise, le capital bancaire se détériore du fait de la multiplication des faillites qui engendrent des pertes sur les crédits, une dégradation des notes des entreprises et, en conséquence, une augmentation de l’exigence en fonds propres. Même si des corrections ont été apportées aux modèles d’évaluation de risque pour contrer ces effets pervers de cycle, l’usage prégnant des notes, dont la légitimité n’avait pas été remise en cause à la suite de la précédente crise des subprimes, laisse présager qu’une réponse possible des banques à la crise actuelle sera de limiter l’accès au crédit des entreprises.

S’agissant des PGE, il n’est pas question pour les entreprises de ne pas les rembourser et la critique de l’excès de crédit ne vient, pour l’instant, pas des emprunteurs mais bien des analystes, voire de certains acteurs bancaires qui jugent que l’État a pris trop de risques. Pour autant, l’histoire économique a montré que les États ne sont pas à l’abri de voir un appel massif de leurs garanties et que l’aide aux entreprises se transforme en dette publique à terme4.

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1 J. Lazarus et St. Serve, « Prêts garantis par l’État : les refus seraient plus nombreux que dans les statistiques officielles », The Conversation, 16 juillet 2020.

2 France Stratégie, « Les procédures de défaillance à l’épreuve des entreprises zombies », note d’analyse n° 82, octobre 2019.

3 Entretien sur BFMTV, 26 août 2020.

4 Sarah Quinn, dans American Bonds (Princeton University Press, 2019), relate l’utilisation ancienne et massive de la garantie de crédit par le gouvernement américain et les crises récurrentes entraînées par cette technique – parallèlement aux effets massifs de développement qu’elle a aussi engendrés.


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