Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Qu’évoque pour vous le terme de « transition énergétique » ?
« Il n’y a plus de pétrole ou, plutôt, il coûte de plus en plus cher à exploiter et il faut trouver autre chose. »
« La transition énergétique, c’est une nouvelle manière de vivre : c’est changer. Je pense qu’avec tout le monde, en donnant ses idées et en se regroupant, on arrive à faire quelque chose et à s’en sortir. »
« C’est une nouvelle manière de consommer, aller vers de l’énergie moins polluante. »
« Il y a une façon de consommer où on fait des économies. Pour moi, la transition d’énergie, c’est ça aussi. Moi je sais que j’ai des trucs chez moi : quand je fais cuire des choses, je mets un couvercle et j’arrête la gazinière avant la fin et je laisse cuire. Ça reste chaud et ça économise ma consommation. Le soir, pour regarder la télé, j’éteins la lumière. Je fais de l’économie d’énergie petit à petit. Comme tout est électrique, si j’allume tout, je me retrouve avec des factures énormes.»
« Parfois, il faut se serrer la ceinture… Il faut faire attention à la consommation d’énergie. Il y a des gens qui ne font pas attention. La planète est déjà fortement détraquée et si on continue comme ça, ça risque d’aller très mal au niveau climatique et au niveau pollution. »
Renvoyés à l’essentiel
Par Daniel Maciel, qui a animé le groupe de réflexion de Magdala
Interroger la consommation à travers la rencontre de personnes très pauvres, en marge de la société ou en précarité, nous met toujours mal à l’aise à cause des projections que nous pouvons faire sur ce qu’elles vivent, sur les difficultés qu’elles rencontrent. En marge de notre société de consommation, elles nous renvoient individuellement et collectivement à la question du partage des ressources de la planète, de l’accès de tous à l’eau, à l’énergie, à la nourriture, mais aussi au savoir, aux loisirs. On observe fréquemment deux attitudes à leur égard : l’apitoiement ou l’accusation. Personnellement, la rencontre avec le monde des très pauvres, il y a une vingtaine d’années, a complètement transformé mon regard. Ce qui me frappe toujours, c’est leur capacité à nous ramener très vite à l’essentiel. Les questions de la transition énergétique et des nouveaux modes de consommation sont intimement liées au sens de ce que nous voulons vivre ensemble, à la manière d’être en relation les uns avec les autres, à la manière d’être en égalité. Ceux et celles qui ont l’expérience de la précarité ont des choses à nous dire sur le sens. Il y a urgence à les associer en amont à la réflexion ; c’est important pour tous, c’est vital pour eux.
Quand on parle d’énergie, en quoi est-ce une question de justice ?
« Cet hiver, j’ai abusé du chauffage électrique. Je ne m’en suis pas rendu compte. Je ne pensais pas qu’en mettant un degré de plus au thermostat la facture serait aussi importante. C’est en ayant la régularisation que je m’en suis rendu compte. Pour le coup, j’aurais pu retomber dans la précarité et perdre le logement. En étant au RSA, la seule marge de manœuvre, c’est à peu près 50 euros. Pour une telle régularisation, la marge de manœuvre a complètement sauté et c’est la nourriture qui sert de variable d’ajustement. »
« Moi aussi, quand je vois que j’ai beaucoup de factures, je mange léger et je garde l’argent pour mon prélèvement. Si je peux pas manger de bifteck, c’est pas grave, je mange un œuf. C’est ce que je fais aussi, moi, pour ne pas avoir de dettes. C’est pas parce qu’on a un logement que c’est très facile… »
Trop souvent, entre « manger ou se chauffer, il faut choisir ». « La nourriture, c’est la seule variable qu’on peut ajuster soi-même. C’est aussi pour ça qu’à l’accueil de jour de Magdala, il y a des personnes qui continuent de venir alors qu’elles ont un logement. On vient prendre un petit déjeuner parce que ça permet d’avoir un minimum de nourriture variée. Parce que chez nous, en général, on mange des pâtes et pas d’autres choses… »
Le simple fait d’avoir un logement ne veut pas dire qu’on est sorti de la précarité. Et c’est un peu cela le drame.
« Les transports coûtent très cher si on est au RSA. Un aller-retour Paris-Lille en train, c’est environ 100 euros. Le RSA, c’est environ 500 euros. Venir de Lille à Paris, c’est plusieurs mois d’économies. En en discutant, certains d’entre nous ont découvert qu’il y avait des tarifs moins chers en prenant des billets à l’avance. Le problème, c’est qu’on doit économiser et qu’on n’a pas l’argent à l’avance. Certains tarifs, on ne peut les avoir que par internet et il faut une carte bleue. Si on prend le train sans payer, ce sera pire, il faudra rembourser le billet et l’amende pendant des mois. En fait, pour payer moins cher le train, il faut déjà avoir les moyens ! »
« C’est pas l’énergie en tant que telle qui est importante, mais ce qu’elle nous permet de faire. »
« L’énergie qu’on ne peut pas avoir avec l’électricité ou le gaz, on peut l’avoir dans la rencontre avec les autres. C’est l’énergie humaine, c’est la soif d’aller vers les autres. »
« C’est pas l’énergie en tant que telle qui est importante, mais ce qu’elle nous permet de faire et, en particulier, toutes les relations qu’elle nous permet de développer. »
Comment envisagez-vous votre rôle face à la montée de la précarité énergétique ?
« Vivre la précarité, garder sa fierté, c’est possible. C’est par rapport à la personne qui te tend la main, par rapport à sa façon d’être, on pourra garder sa fierté ou pas. À partir du moment où on n’est pas jugé, on peut garder sa fierté même quand on est en précarité. »
« Dans la précarité énergétique, il y a une part de responsabilité personnelle et une part de responsabilité collective. Si on ne dit pas que je suis responsable dans ce qui m’arrive, je ne trouve pas de solution, je ne peux rien faire. »
« C’est pas parce qu’on est à la rue qu’on a perdu notre faculté de penser. C’est vrai, on passe la nuit à cogiter. »
La justice sociale, c’est réduire le coût d’accès à l’énergie, mais c’est aussi accéder à la compréhension des choses pour pouvoir être soi-même acteur. Les pauvres ont une capacité à comprendre, à être acteurs pour trouver des solutions et ont des capacités à transmettre : « Il ne faut pas être utilisateur seulement, il faut aussi comprendre. » « Si tu comprends pas, tu es condamné à ce qu’on te fasse l’aumône. » Au sein de notre groupe, nous nous organisons pour prendre nos responsabilités : on se forme, on réfléchit ensemble, on met en place ce qu’on a appris et on essaie de transmettre.
Au sein de notre groupe, nous nous organisons pour prendre nos responsabilités : on se forme, on réfléchit ensemble.
« Cette année, nous travaillons à mettre au point un ‘diagnostic en marchant’ : avec d’autres, nous avons organisé des réunions avec le Pact, un bailleur social, sur des thématiques comme l’électricité, l’eau, le chauffage, la sécurité, les droits des bailleurs et des locataires… L’idée, c’est de se former et de fabriquer un petit livret avec tous les points d’attention qu’on peut avoir sur toutes les thématiques et ensuite de faire un tour de notre maison et de voir ce qu’on peut améliorer. C’est bon pour les économies d’énergie mais aussi pour la santé, parce que parfois on bouche les aérations en se disant qu’on aura moins froid, mais en fait l’air se pollue. »
« On risque toujours de réduire les personnes en précarité énergétique à des factures impayées. Le souci premier des personnes qui ont peu de ressources, c’est comme pour tous, celui de la relation aux autres. »
Pour aller plus loin
L’association Magdala est intervenue au colloque organisé par la Revue Projet et le Ceras : « Quelle justice sociale à l’heure de la transition énergétique ? »
Voir la table ronde : « L’énergie révélatrice de précarités »
Voir l’intervention des membres de l’association Magdala :
B/01 Jean Merckaert et Magdala - L’énergie... par cerasvideo
À lire dans la question en débat
« Aura-t-on l’énergie d’une transition juste ? »
Et aussi sur Revue-Projet.com