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Dossier : Social : réparer ou reconstruire ?

« Dans la charité, je vois une soumission »

En 2014, l'Institut catholique de Paris dispense une formation pour animer des groupes de réflexion avec des personnes en situation de précarité © Aurore Chaillou/Revue Projet
En 2014, l'Institut catholique de Paris dispense une formation pour animer des groupes de réflexion avec des personnes en situation de précarité © Aurore Chaillou/Revue Projet
Qu’est-ce que la solidarité ? En quoi est-elle différente de la charité ? Des membres de l’association Magdala et du groupe « Fous d’art solidaires » (Secours catholique de Créteil), qui ont l’expérience de la précarité, nous livrent ici leurs réflexions croisées et nous proposent des pistes pour ré-enchanter la fraternité.

Comment se fait-il qu’en 2015, des personnes vivent à la rue alors qu’il y a plein de logements ou bureaux vides, que certains soient si riches quand d’autres n’ont rien ? Les inégalités sont choquantes… Voulons-nous vraiment combattre la pauvreté et l’exclusion, crever l’abcès social ? Pas sûr !

Il y a une hypocrisie : les politiques prétendent lutter contre la précarité et l’exclusion, mais ils n’en prennent pas vraiment  les moyens.

La solidarité, ce n’est pas simplement donner un peu d’argent pour avoir la paix. Ce n’est pas qu’une question de finances.

On ne demande pas la charité : la charité, c’est la solidarité alibi, pour se donner bonne conscience.

On ne demande pas la charité : la charité, c’est la solidarité alibi, pour se donner bonne conscience.

Dans la charité, je ne vois pas un échange, mais une soumission d’une personne à une autre. Il faut qu’on réfléchisse ensemble comment faire pour ne pas entrer dans une relation supérieur-inférieur.

La solidarité, ça va vers le haut… Or là, ça va vers le bas.

La solidarité existe, mais sous forme de redistribution de miettes, sans que nous ne soyons jamais vraiment invités au repas… Elle est plus centrée sur une (petite) compensation en termes d’avoir que sur ce qui nous permettrait d’être vraiment reconnus, de nous sentir utiles.]]

La parabole du platane

« Un jour qu’ils marchaient en plein soleil de midi, sur une route écrasée de lumière, des voyageurs se mirent en quête d’un coin tranquille pour se reposer. Ils aperçurent un platane et coururent sans tarder profiter de la fraîcheur de son ombre. Ils étaient étendus sous son feuillage et devisaient de tout et de rien, lorsque l’un d’eux, levant les yeux vers l’arbre, s’écria :

- Cet arbre ne sert vraiment à rien. Il ne porte jamais de fruits !

Il y eut un instant de silence, puis, comme tout est possible dans les histoires, le platane répliqua :

- Ingrats que vous êtes ! Vous osez me dire inutile alors que vous profitez de mon ombre !

Il en est de même des hommes : certains sont si déshérités que, même lorsqu’ils se rendent utiles, plus personne ne le voit… On finit par penser qu’il n’est même pas possible qu’ils le soient ! Pire : ils finissent parfois par le penser eux-mêmes !

Il manque des tremplins…

La solidarité est souvent pensée dans une logique de réparation individuelle. On accompagne les gens pour qu’ils rattrapent ce qu’ils n’ont pas réussi avant, pour qu’ils rentrent dans les clous de la société. Elle ne change rien au système qui fait que des tas de gens se retrouvent dans la galère.

On demande aux pauvres de faire des efforts pour s’en sortir. On les soupçonne même parfois de profiter des aides apportées… En gros, être pauvre, c’est louche…

On juge les gens sur les apparences, on peut même se demander s’il n’y a pas un « délit de pauvreté ».

Il y a des gens, quand ils voient un SDF, c’est à peine s’ils ne lui crachent pas dessus. Comme s’il était un pestiféré, un invisible, un fantôme… Et pourtant, la rue, c’est la jungle ! Être pauvre, ce n’est ni un choix, ni un plaisir ! Personne n’est à l’abri !

Il manque des tremplins pour aider les gens à sortir de la galère, pour aller vers le travail, retrouver un vrai logement (pourquoi pas des « logements du cœur »), mais aussi pour aider à reprendre confiance, à sortir de la spirale de la pauvreté et des logiques de survie.

Une multitude de petites choses permet de faire avancer, mais il ne faut pas qu’elles restent isolées dans leur coin, il faut les relier. C’est ça qui fait levier.

L’escalator social marche à l’envers ! Il devrait nous permettre de remonter la pente, mais on dirait qu’il est bloqué dans le sens de la descente. Du coup, il faut une sacrée énergie pour arriver à s’en sortir ! On a parfois l’impression qu’il descend plus vite qu’on arrive à le remonter, surtout quand on est déjà pas mal cassé.

Si tu veux changer le monde, commence par te changer toi-même. La place c’est celle qu’on nous donne… ou pas… Mais c’est aussi celle que nous cherchons à prendre nous-mêmes.

On est d’accord que c’est aussi à chacun de se bouger, d’agir, de prendre la parole. Il est important de ne pas rester passif : si tu veux changer le monde, commence par te changer toi-même. La place c’est celle qu’on nous donne… ou pas… Mais c’est aussi celle que nous cherchons à prendre nous-mêmes.

On se sent prêts à le faire. Notre groupe les « Fous d’art solidaires » nous aide pour ça. Et pour nous, c’est super important. C’est une famille qui permet de grandir, de découvrir ses talents, de s’entraider. C’est un point fixe dans nos vies, quelque chose qui tient, un lieu auquel on peut se raccrocher. J’y ai trouvé l’amour, la joie, la synergie et l’harmonie d’un groupe solidaire et fraternel, permettant de faire des choses ensemble. Tout seul, on va parfois plus vite, mais ensemble, on va plus loin !

Il faudrait plus de lieux de rencontre entre « inclus » et « exclus », pour casser la glace, éviter la peur, transformer le regard des deux côtés, réduire la distance entre ceux qui décident et ceux qui peinent. Cela passe par la création de lieux de rencontre, en direct, avec le maire, des élus. Qu’ils viennent écouter vraiment. Nous pouvons leur montrer qu’il y a des choses qui marchent, sur le terrain.

Notre part, c’est de réfléchir, d’agir en tant que citoyen. C’est ce que nous essayons de faire à Magdala. On ne se sent pas jugé, on peut s’entraider, chacun est utile. Alors on peut s’en sortir. Cela nous permet de passer de la culpabilité à la responsabilité.

Ré-enchanter la solidarité, vivre la fraternité, c’est d’abord prendre des moyens pour se rencontrer et se découvrir frères les uns des autres. Ce n’est pas seulement la solidarité qui serait à « ré-enchanter », c’est la fraternité qui reste non pas à réapprendre, mais à apprendre à vivre.

L’accès à la culture, à l’art est super important : cela éclaircit le cœur, cela ouvre l’esprit. Pour moi, l’art est le reflet de la beauté qui m’apaise et me procure du bien-être. L’art m’a apporté une partie de rêve. Tout le monde peut rêver, créer, inventer, s’exprimer, et donc un peu commencer aussi à réinventer sa vie.

Ça serait bien qu’il y ait beaucoup plus de groupes comme ça, mais ça ne suffira pas forcément pour faire repartir l’escalator dans l’autre sens.

Même en vivant la galère, on reste des êtres humains. Chacun a des richesses. Personne n’est trop pauvre pour ne pas avoir des choses à apporter aux autres. Tout être humain, même cassé, sali, froissé, abîmé par la vie, garde toujours toute sa valeur !

Raphaël, Tello, Marie, Vincent, Patrick, Paulette, Arnaud, Daniel, Benoît, Cyril, Cathy, Gilbert, Farid, Soraya, Roman, Brigitte, Bruno, Marie-Thérèse ont participé à une réflexion autour du thème : « Ré-enchanter la solidarité ». Propos recueillis par Jean-Marc Boisselier.

À lire dans la question en débat
« Social : réparer ou reconstruire ? »

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