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Dossier : Social : réparer ou reconstruire ?

Pouvoir d’agir


Entretien - Pour José Dhers, membre du collectif d’animation Pouvoir d’agir, la participation est l’essence même du vivre ensemble. Différentes initiatives portent déjà des fruits. Reste à relier plus intimement les politiques publiques d’action sociale et les expériences locales d’« empowerment ».

« Réparer ou reconstruire ? » Quel est votre constat ?

José Dhers – Le paradoxe est que toute l’action sociale est organisée en « tuyaux d’orgue » (la famille, la jeunesse, le chômage, etc.) et le rôle des travailleurs sociaux, à partir de cette approche verticale, est bien d’ouvrir une dimension horizontale, pour reconstituer la personne, le groupe, la communauté. Faire en sorte qu’ils ne soient pas tronçonnés. Aujourd’hui, le constat est loin d’une construction : on fait du rattrapage.

Sans doute, affiche-t-on la volonté que les personnes en difficulté puissent elles-mêmes renouer des liens de solidarité malmenés, mais la pénurie financière conduit à instrumentaliser cette idée. Il ne faut pas être trop dupe du fourmillement de mesures et d’initiatives pour que tous soient acteurs de réponses nouvelles. Il traduit certes une mobilisation – de la part de professionnels mais surtout de citoyens –, mais il répond aussi à une sorte d’injonction à la participation. Ainsi, la dernière loi sur la politique de la ville institue des « comités citoyens », mais c’est une pâle copie des « Tables de quartier » de discussions, telles qu’elles existent au Québec. La reconnaissance des habitants, des locataires, comme participants eux-mêmes, prioritairement, à leur devenir n’est pas la préoccupation du législateur. Il en est de même pour les plans locaux d’aménagement, pour les rapports entre bailleurs sociaux et locataires, voire pour les centres sociaux dans les quartiers : l’aide de la Caf [caisse d’allocations familiales] leur est accordée « à condition » que les usagers participent. Ce qui est l’essence même du travail social est devenu une condition de financement. Pour autant, les initiatives pour construire un vivre ensemble sont là : dans les centres sociaux, qui sont un bon exemple, elles expriment la conviction que les usagers, les habitants, sont les co-décideurs des projets pour leur quartier.

L’action sociale articule trois dimensions : celle interindividuelle, qui inclut souvent une aide professionnelle, celle du groupe dans lequel se vit une entraide (la famille, les participants à une même activité), celle de la « communauté », qui se vit sur un territoire plus ou moins grand. On risque d’assister aujourd’hui à une dichotomie, où domine la relation individuelle. Elle se traduit au mieux par un soutien psychologique, le plus souvent par une réponse purement administrative. La possibilité est affichée de voir les citoyens se prendre en charge, individuellement, en groupe, sur un territoire, mais elle demeure souvent bien formelle. La loi prévoit ainsi qu’il y ait, dans les établissements, des « conseils de vie sociale », où sont présentes des personnes accueillies. S’agit-il toujours de vraies instances de participation ?

Dans les institutions sociales, comme dans les villes et les quartiers, il s’agit de reconnaître que les gens ne sont pas seulement des usagers, voire des « cas sociaux », mais des citoyens. Le collectif « Pas sans nous », regroupant des associations de terrain, s’est organisé en  2014 pour revendiquer une capacité de proposition et d’action lors de l’élaboration de la loi sur la politique de la ville.

La démocratie ne se réduit pas à la démocratie représentative. Celle-ci est essentielle pour traduire dans le droit les avancées d’un vivre ensemble, mais on en voit les limites quand montent l’abstention ou le vote protestataire. La démocratie participative offre la possibilité de mieux prendre en compte l’avis de ceux qui sont objets des politiques pour les faire devenir sujets. Mais il existe aussi une démocratie d’interpellation, celle que visent des initiatives comme « Pas sans nous ». Elles expriment le désir de citoyens non plus seulement d’analyser les politiques publiques mais d’y contribuer, en promouvant un lobbying afin de renouveler les réponses aux questions sociales.

La participation n’est pas à octroyer, elle est l’essence même du vivre ensemble de tous les citoyens, qu’ils soient ou non en difficulté.

Et cette interpellation n’a de sens qu’adossée à la quatrième dimension, fondamentale, de la démocratie : celle du vivre ensemble, qui correspond au sens politique du social. Il y a quelques années, à la suite d’un article de Claude Dilain, alors maire de Clichy-sous-Bois, plusieurs réseaux (dont ATD-Quart Monde, l’Inter-réseaux des professionnels
du développement social urbain, la Fédération des centres sociaux, etc.) se sont rassemblés pour engager une réflexion commune sur la question sociale dans les banlieues. Forts de la conviction qu’« on ne fait pas le bonheur des gens sans eux », ils savent que la participation n’est pas à octroyer, qu’elle est l’essence même du vivre ensemble de tous les citoyens, qu’ils soient ou non en difficulté. C’est ainsi qu’est né le collectif « Pouvoir d’agir ». Son souci constant est de mieux connaître et de soutenir les moments et les lieux où la citoyenneté est vécue, pour qu’elle soit davantage force d’interpellation. De multiples initiatives, avec les jeunes, les familles, les chômeurs ou des personnes en institutions demandent à être reconnues pour ce qu’elles inventent.

Ne facilitent-elles pas aussi un retrait de l’État, heureux qu’elles soient un facteur de paix sociale ?

Il ne faut pas se leurrer. Les pouvoirs publics comptent bien que cela leur reviendra moins cher. Il y a un aspect pervers dans cette attente de voir les gens se responsabiliser. Mais l’enjeu est bien d’en revenir au cœur du travail social et non pas d’instrumentaliser les gens.

Dans les établissements, les conseils de vie sociale témoignent-ils d’une véritable participation ? Ils accueillent deux ou trois personnes, mais choisies comment ? L’association « Dignité » a été créée par des personnes issues de la rue et des membres des conseils pour présenter des listes de candidats (comme cela est possible pour les salariés dans les entreprises, pour les locataires de HLM). Elle est ainsi entrée au conseil d’administration de la Fnars [Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale]. Pouvoir d’agir travaille avec eux : quand on est hébergé, quand on vient de la rue, la possibilité de prendre la parole demande à être soutenue. Une rencontre interrégionale de conseils représentatifs des personnes accueillies s’est réunie pour exiger que le budget qui leur est affecté corresponde à leur rôle en extension.

Le droit social s’est construit à partir de luttes, c’est non seulement un droit accordé pour telle ou telle cible, mais un droit pour tous. Voyez-vous des lieux où la démocratie d’interpellation a encore cet effet ?

Le réseau « Alerte » regroupe près de quarante associations ou organismes, avec de grandes institutions comme l’Uniopss [Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux], la Fnars, Emmaüs, l’Armée du salut, mais aussi de modestes associations comme le Comité chrétien de solidarité avec les chômeurs. Il manifeste l’importance d’une réflexion partagée. Il a surtout permis de faire pression sur le gouvernement dans la préparation du plan de lutte contre la pauvreté. Le réseau a pesé pour la refonte du RSA [revenu de solidarité active] et pour éviter la dispersion des prestations, où se perdent les ayants droit. Il a lancé un groupe de travail avec les partenaires sociaux (syndicats et employeurs), qui ne connaissaient jusqu’ici comme tiers que l’État et ignoraient complètement les autres acteurs.

Dans un autre domaine, Pouvoir d’agir a constitué un groupe de pression (où se retrouvent aussi bien l’IRDSU qu’ATD) à partir d’une recherche-action menée depuis cinq ans : « En associant les parents, tous les enfants peuvent réussir ». Une rencontre, le 11 avril dernier, a été l’occasion de faire remonter les initiatives engagées sur une vingtaine de territoires et d’interpeller la ministre de l’Éducation nationale. Comment prend-elle en compte cette démarche et comment faire en sorte que les parents, même les plus « éloignés » de l’école, même analphabètes, puissent entrer dans les établissements ? Il s’agit toujours de construire la citoyenneté à partir de lieux concrets.

On pourrait citer bien d’autres collectifs, comme celui des associations citoyennes. Des groupes se retrouvent, avec des professionnels issus de fondations ou d’institutions, qui aident des locataires, des femmes de ménage en entreprises, etc., à révéler leurs propres luttes pour mieux s’entraider.

Face au chômage, alors que la société semble en avoir pris son parti, des associations essaient de réagir, mais c’est souvent « au ras des pâquerettes ». Solidarité nouvelle face au chômage a certes touché quelque 20 000 personnes, mais bien d’autres sont facilement instrumentalisées : on leur demande surtout de « faire du résultat » ! Certaines pourtant, comme ATD-Quart Monde, ont l’ambition de proposer d’autres réponses : ainsi l’initiative « Territoires zéro chômeurs de longue durée »1. Il s’agit, sur un territoire, de se donner les moyens pour que des acteurs locaux rapprochent l’offre et la demande de travail et pour repenser la formation en ce sens. Les chômeurs sont aussi des citoyens. Un lobbying se poursuit avec eux pour que soient prises en compte les possibilités qui existent sur le terrain.

Depuis quelques années, des réseaux se forment qui manifestent un souci nouveau. Non seulement pour révéler la situation des personnes en difficulté, mais pour peser sur les pouvoirs publics, afin que le social ne soit pas que réparation. Mais il est vrai que tant que les politiques (et la formation des travailleurs sociaux) ne lanceront pas des ponts entre l’action sociale et l’empowerment territorial, cette construction restera incertaine.

Propos recueillis par Bertrand Cassaigne.

À lire dans la question en débat
« Social : réparer ou reconstruire ? »



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1 Cf. Patrick Valentin, « Pour des territoires ‘zéro chômeur de longue durée’ », Revue Projet, n°336-337, oct.-déc. 2013 [NDLR].


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