Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Pouvez-vous présenter vos différents lieux d’engagement aux côtés des chômeurs ?
Paul Israël – Aujourd’hui, je fais partie de deux associations : le Comité chrétien de solidarité avec les chômeurs et les précaires, et Solidarités nouvelles face au chômage. Je suis également membre bénévole d’une mission locale. Le Comité chrétien de solidarité avec les chômeurs et les précaires a été créé il y a plus de trente ans pour que cette question du chômage ne tombe pas dans les oubliettes. Il cherche à donner de la place aux expériences de terrain et surtout à donner la parole aux chômeurs à travers son bulletin trimestriel Vaincre le chômage.
Solidarités nouvelles face au chômage, association fondée par Jean-Baptiste de Foucauld il y a une trentaine d’années, propose un accompagnement en binôme à ceux qui ont perdu leur emploi ou qui peinent pour en trouver. Il s’agit d’écouter, de ne pas juger, de prendre le temps. Nous accompagnons depuis deux ans un homme d’une cinquantaine d’années qui n’a quasiment jamais travaillé de sa vie. Depuis un an, il a commencé à avoir des missions d’une semaine, deux semaines, voire un mois. La semaine dernière, il nous a annoncé qu’il avait obtenu un CDD de cinq mois. Ce n’est pas rien pour quelqu’un qui, depuis vingt-cinq ans, n’avait jamais réussi à remettre le pied à l’étrier.
Au sein de la mission locale, je suis parrain bénévole, c’est-à-dire que j’aide des jeunes à construire leur CV, à écrire une lettre de motivation ou bien je réalise des simulations d’entretien d’embauche. C’est souvent un accompagnement ponctuel, quand il leur manque telle ou telle clé pour entrer dans le marché du travail. Actuellement, par exemple, j'accompagne une jeune femme qui se prépare au concours d'auxiliaire de puériculture.
À quels obstacles sont confrontées les personnes que vous accompagnez dans leur recherche d’emploi ?
Paul Israël – La difficulté principale à laquelle je pense, c’est le manque d’accès à l’information : à qui s’adresser ? Où s’adresser ? Dernièrement, j’ai rencontré un jeune qui devait trouver un stage pour valider son diplôme d’usinage de pièces aéronautiques. On a travaillé ensemble pour corriger son CV et le déposer sur le site d’une entreprise de ce secteur. J’ai alors découvert qu’il n’avait pas d’ordinateur chez lui. La fracture numérique est un véritable frein. Aujourd’hui, si l’on ne sait pas utiliser un ordinateur ou si l’on n’en a pas, il est difficile de s’inscrire à Pôle emploi, de mettre son CV en ligne…
« La difficulté principale à laquelle je pense, c’est le manque d’accès à l’information : à qui s’adresser ? Où s’adresser ? »
Depuis quelques années, j’ai noué des relations avec des familles issues d’un bidonville. La plupart des adultes sont illettrés. Avec une association, nous les avons accompagnés sur le chemin de l’insertion professionnelle : inscription à Pôle emploi, recherche d’emploi, parfois accompagnement jusqu’à la porte de l’entreprise, car se repérer dans nos zones industrielles est bien complexe. Aujourd’hui, les hommes de ces familles travaillent dans le bâtiment, le nettoyage, certains en CDI, d’autres en intérim. Ils sont fiers de faire vivre leur famille et ont retrouvé une dignité.
Un autre frein que j’ai rencontré, c’est la lassitude, le découragement, le manque de confiance en soi. Quand on vit une longue période de chômage, la confiance en soi s’érode. Par exemple, j’ai rencontré une famille vénézuélienne au RSA depuis quatre ans. Aucun des parents n’avait de travail alors qu’ils avaient des diplômes. Ils ont passé quelques jours à la montagne, avec d’autres. Là, ils ont vécu des moments de convivialité. Et un mois après ce séjour, ils ont trouvé du travail. Cette expérience fraternelle leur avait permis de retrouver un dynamisme.
Un autre obstacle pour trouver un travail est celui des transports : nous rencontrons des gens qui ont reçu une proposition d’emploi mais qui ne savent pas comment s’y rendre. Alors nous faisons un repérage de terrain avec eux, la veille de l’entretien d’embauche. J’accompagne aussi une jeune femme qui voulait postuler pour un service civique auprès de sa ville. Nous avons décrypté ensemble le poste et je lui ai dit que, pour ce travail, elle serait sûrement amenée à se rendre à Paris. Or elle n’avait jamais pris le RER ! Elle ne sortait jamais de la ville, à peine du quartier. Il y a enfin les personnes qui n’ont pas de moyen de locomotion, or notre département [l’Essonne, NDLR] a de nombreuses zones rurales mal desservies.
Pourquoi cet engagement aux côtés des chômeurs ?
Paul Israël – Ce qui structure l’homme, c’est l’activité. Quand on travaille, on a une activité, mais on a aussi une rémunération, une reconnaissance et une dignité. On participe à la vie de la société. On a besoin d’une activité qui nous épanouisse. Je suis un farouche défenseur de la réduction du temps de travail : 30 heures de travail par semaine pour tous, cela permettrait de redonner une activité à ceux qui n’en ont pas et d’alléger la charge de ceux qui en ont trop. Les gens les plus précaires que je rencontre ont d’abord besoin d’un travail et d’un CDI, pour avoir accès au logement.
« Ce dont ont le plus besoin les hommes et les femmes que je rencontre, c’est de personnes qui soient des passerelles et qui les aident à rentrer dans le droit commun. »
La question du chômage touche à ce qui unifie l’homme, à tous les domaines de la vie. À mon sens, le mot-clé, c’est le mot « accompagnement ». Ce dont ont le plus besoin les hommes et les femmes que je rencontre, c’est de personnes qui soient des passerelles et qui les aident à rentrer dans le droit commun, à retrouver une assise, un sens à leur vie, à être pleinement insérés dans la société. C’est à cette condition que peut se réaliser la recomposition du lien social.
Certaines évolutions du monde du travail vous inquiètent-elles ?
Paul Israël – Il y aurait beaucoup de choses à dire. J’en retiens une : si nous avons abordé, dans nos échanges, la souffrance de ceux qui n’ont pas de travail, on ne peut ignorer la souffrance de ceux qui en ont un, « la souffrance au travail », sujet longtemps tabou, qui a émergé il y a une quinzaine d’années. Elle nécessite, pour la combattre, des outils que le législateur a progressivement mis en place. Elle exige aussi que dans chaque entreprise, chaque être humain, quelle que soit sa fonction, quel que soit son statut, soit respecté et pris en compte dans sa singularité.
Dans le domaine de l’emploi, la réduction drastique des contrats aidés, sans rien prévoir en échange, constitue à mon sens une erreur. Il y a des gens qui ne peuvent trouver du travail qu’en accédant à ces dispositifs. C’est une marche pour eux vers l’insertion professionnelle. Ce qui se fait dans le secteur de l’insertion par l’activité économique va dans le bon sens. On y trouve de vraies réponses, car l’on prend l’homme dans toutes ses dimensions. On ne met pas suffisamment en valeur ces structures qui sont des lieux où l’on peut reconstruire la personne humaine.
Propos recueillis par Aurore Chaillou le 19 septembre 2017.