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Dossier : La représentation en question

Fragile représentation syndicale

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Les syndicats français sont-ils encore représentatifs ? Et de qui ? Si les réformes successives ont simplifié les instances représentatives, elles ont aussi réduit le nombre de représentants, tout en les éloignant de leur base.


Les paradoxes du syndicalisme français sont bien connus. Alors que le taux de syndicalisation est particulièrement faible – quelque 11 % de la population active –, les syndicats conservent une réelle capacité de mobilisation des salariés comme en ont attesté les grands mouvements sociaux de 2016 contre la loi travail ou ceux de l’hiver 2019-2020 contre la réforme des retraites. L’implantation syndicale dans les entreprises est surtout très contrastée. Les données recueillies par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) permettent d’établir que 35 % des établissements de plus de onze salariés disposaient en 2017 à la fois d’élus dans les instances représentatives du personnel et de délégués syndicaux. La présence syndicale se concentre dans des établissements appartenant en majorité à des entreprises de plus de 500 salariés. La même enquête montre que 28,9 % des établissements ne disposent que d’instances élues, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de délégué syndical, même si des représentants élus peuvent bien sûr être affiliés à un syndicat. Surtout, 33,6 % des établissements enquêtés n’ont pas mis en place d’institutions représentatives du personnel : principalement des entreprises de petite taille, avec moins de cinquante salariés.

Dans les secteurs où le taux de syndicalisation est plus important que la moyenne nationale, une activité syndicale demeure, mais est concentrée sur un cercle restreint de militants.

Ces quelques données révèlent trois types de configurations. La première se rencontre dans les fonctions publiques, mais aussi dans l’industrie, dans les assurances et les banques ou encore dans les transports, pour prendre ici des secteurs où le taux de syndicalisation est plus important que la moyenne nationale. Une activité syndicale y demeure, mais elle est concentrée sur un cercle restreint de militants. Ceux-ci assument le plus souvent plusieurs mandats1 et sont très engagés dans des activités chronophages de négociation ou de représentation dans différentes instances. Ils éprouvent des difficultés à faire participer les « simples » adhérents et plus encore les autres salariés dont ils sont finalement assez éloignés car pris par de multiples réunions à l’échelle de leur établissement ou du groupe. Une deuxième configuration peut être repérée dans des entreprises de taille plus réduite, filiales de grands groupes ou sous-traitants : les équipes syndicales y sont beaucoup plus réduites. Les salariés qui acceptent de prendre des mandats dans des secteurs comme le commerce, la logistique, l’aide à domicile ou les établissements privés de santé (comme les Ehpad, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), se retrouvent très souvent isolés, confrontés à des politiques de discrimination et de répression de la part des directions. Il leur est difficile de « tenir » dans la durée s’ils ne sont pas soutenus par des militants extérieurs à leur lieu de travail, actifs dans les unions locales ou départementales des syndicats. Enfin, dans toute une série d’entreprises, PME de l’industrie et des services, commerces franchisés, il n’y a pas de présence syndicale. Cette troisième configuration, que l’on retrouve particulièrement dans les zones semi-rurales, a bien été mise au jour par le mouvement des Gilets jaunes, tant celui-ci a impliqué, pour partie, des travailleurs très éloignés du syndicalisme.

Les implantations syndicales sont ainsi concentrées dans les grands établissements mais aussi au sein des composantes les plus stables du salariat. Si certaines d’entre elles sont très impliquées dans des mobilisations de salariés précaires – femmes de chambre dans l’hôtellerie, travailleurs du nettoyage, salariés des centres d’appels ou des entrepôts d’Amazon –, les organisations syndicales peinent à organiser ces derniers et à les garder dans leurs rangs.

Des réformes successives

Or cette faiblesse structurelle du syndicalisme français, installée depuis maintenant trois décennies, a alimenté plusieurs réformes du côté des pouvoirs publics. La plus connue est celle des règles de la représentativité syndicale, lancée avec une première loi en 2008, qui fait des résultats électoraux obtenus lors des élections dans l’entreprise un critère décisif (avec un seuil à 10 %) pour pouvoir désigner un délégué syndical et signer des accords (avec un seuil à 50 %). Sans revenir en détail sur cette réforme, il est important de rappeler que la finalité en était de renforcer la légitimité des syndicats en la faisant reposer sur leur audience électorale2.

Le syndicat est moins vu comme un outil animé collectivement par les salariés que comme une instance spécialisée qui prend en charge les activités de négociation avec la direction.

Le lien de représentation était ainsi repensé : le syndicat est moins vu comme un outil animé collectivement par les salariés que comme une instance spécialisée qui prend en charge en particulier les activités de négociation avec la direction et qui se présente devant les salariés pour faire valider (ou non) ses choix. Un rapprochement avec le champ politique s’est ainsi opéré, d’autant plus que plusieurs dispositifs conduisent à penser l’action syndicale comme une activité professionnalisée (qu’il s’agit ensuite de pouvoir valoriser dans la carrière professionnelle ultérieure). La réforme de la représentativité syndicale s’est aussi inscrite dans une dynamique de très forte décentralisation de la négociation au niveau des entreprises, au détriment des autres niveaux de régulation des relations sociales, comme la branche professionnelle ou le niveau national. Les ordonnances « Macron » de septembre 2017 ont modifié les conditions de l’action syndicale dans les entreprises, reconfigurant complètement les institutions représentatives du personnel. Les délégués du personnel – qui assumaient une fonction d’expression des problèmes ressentis au quotidien dans le travail –, les comités d’entreprise et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été fondus en une seule instance, le comité social et économique (CSE). Dans l’idée de simplifier l’architecture institutionnelle de la représentation dans les entreprises (demande exprimée depuis longtemps par le patronat), les ordonnances ont mis en place une instance unique qui n’est pas toujours facile à manier, que ce soit pour les directions des ressources humaines ou pour les élus : il s’agit de traiter de tous les sujets lors de très longues réunions (conditions et organisations du travail, santé, stratégie de l’entreprise, action sociale, etc.). Des mandats dits « de proximité » continuent à exister, en substitution donc aux délégués du personnel auparavant élus, mais ils sont facultatifs et dépendent des accords d’entreprise. Une forme de concentration de la représentation dans l’entreprise s’est produite, avec un éloignement parfois important des lieux de travail et des implications très fortes pour les élus en matière de disponibilité.

Professionnalisation

L’instauration des CSE contribue ainsi à professionnaliser encore plus l’activité de représentation sur laquelle se concentrent quelques salariés : les réunions exigent beaucoup de temps de préparation et l’acquisition de savoirs spécialisés. Auparavant, accepter de se présenter à un premier mandat de délégué du personnel ou au sein du CHSCT était souvent une façon pour des salariés sympathisants d’une organisation de franchir le pas de l’engagement syndical, de prendre sa carte. Mais cette démarche apparaît aujourd’hui bien trop coûteuse en temps et en investissement. Dans bien des entreprises, les syndicats peinent à établir des listes de candidats, même si l’instauration des CSE s’est traduite de façon générale par une réduction du nombre d’élus et d’heures de délégation. Ces réformes ont sans conteste complètement bousculé les syndicats. Il n’est pas certain qu’elles les aient aidés à renforcer le rapport de représentation qu’ils établissent avec les salariés, ni leur capacité à s’adresser aux travailleurs les plus éloignés d’eux.

Plusieurs tendances sont en effet à l’œuvre qui pourraient rendre la représentation syndicale encore plus exsangue qu’elle ne l’est déjà. La densification et la fréquence des négociations au niveau des entreprises comme les difficultés pour les équipes syndicales – qui sont donc des équipes d’élus – à s’adapter au fonctionnement du CSE risquent de contribuer à un enfermement encore plus grand de celles-ci dans les limites de l’entreprise. Finalement, encore moins de militants parviendront à dégager du temps pour s’investir dans les structures territoriales et interprofessionnelles des syndicats, comme les unions locales ou départementales.

Les militants ne parviennent pas à créer de nouvelles bases dans les entreprises franchisées et sous-traitantes.

Or ce sont ces structures qui sont le plus en contact avec les salariés des TPE et PME et avec les « faux » indépendants comme les travailleurs des plateformes. C’est principalement à partir d’elles – mais aussi des fédérations professionnelles – que se mène un lent travail de syndicalisation dans des secteurs précarisés. Ce sont, par exemple, les permanences juridiques organisées au sein des unions locales qui sont le plus fréquentées par les salariés précaires, désireux de trouver de l’aide et des conseils face à leur employeur. Confinés dans les grands établissements, ne parvenant pas à créer de nouvelles bases dans les entreprises franchisées et sous-traitantes, les militants syndicaux risquent par ailleurs d’être confrontés à une intégration encore plus forte du « dialogue social » au service des objectifs financiers de l’entreprise. La période ouverte par la crise sanitaire actuelle ne contribue-t-elle pas, en effet, à faire des CSE de simples chambres d’enregistrement de décisions prises par les directions ? Les ordonnances des 1er et 22 avril ont réduit les délais de convocation des instances, permettant dans certains cas aux employeurs de s’affranchir de la consultation préalable des CSE. Ces dispositions, qui sont censées être provisoires, vont dans le sens d’une domestication renforcée de l’action des représentants du personnel et de leur privation de toute forme de contre-pouvoir.

Se redéployer

La représentation syndicale est aujourd’hui très fragilisée. Si l’adossement de cette représentation aux résultats des élections professionnelles a clarifié les rapports de force dans bien des entreprises, elle n’a en rien permis aux syndicats de se redéployer et d’engranger de façon décisive de nouveaux membres. De fait, le nombre d’adhérents aux organisations syndicales est relativement stable : les départs à la retraite sont en partie compensés par les nouvelles adhésions, avec une lente érosion des effectifs. La CGT a déclaré environ 650 000 adhérents en 2018 et la CFDT 620 000. Pour augmenter leur nombre d’adhérents, les syndicats auraient davantage besoin de renforcer leur présence dans les entreprises et les territoires où ils sont le moins implantés, de disposer de droits et de moyens pour contribuer à faire émerger des collectifs dans des secteurs précarisés où l’organisation du travail, l’éclatement des horaires et la fragilité des statuts d’emplois isolent les travailleurs, voire les opposent les uns aux autres. À l’encontre de ce besoin, celui d’un syndicalisme tourné vers l’organisation de celles et ceux qui subissent le plus les formes d’exploitation au travail, d’un syndicalisme en lien avec d’autres formes de mobilisation, c’est plutôt le modèle d’une représentation syndicale intégrée dans l’ordre managérial des entreprises qui se trouve promu.

Pour aller + loin

Yolaine Gassier et Baptiste Giraud (dir.), Le travail syndical en actes. Faire adhérer, mobiliser, représenter, Presses universitaires du septentrion, 2020.

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