Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Les femmes, omniprésentes dans l’Église catholique, restent invisibles dans les lieux de décision. Malgré les difficultés et les résistances, une évolution semble pourtant se dessiner.
Parler de la représentation des femmes dans l’Église catholique, dans un dossier qui aborde surtout le fonctionnement de la démocratie, ne va pas de soi1. L’Église n’est pas une démocratie, elle cherche à vivre la communion. Communion à l’intérieur d’une communauté, communion des prêtres avec leur évêque, communion des évêques entre eux et avec l’évêque de Rome, le pape. Est-ce que cela suffit pour congédier la question de la représentation ? Celle-ci oriente vers les modalités de l’exercice du pouvoir. Une question à laquelle l’Église ne peut se dérober, au moment où le pape François rappelle que les abus sexuels sont des abus de pouvoir et de conscience. Un vaste chantier s’ouvre donc pour l’Église et le rôle des femmes n’en est qu’un aspect.
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, les écrits du Magistère vont se multiplier pour célébrer « le génie féminin ». Mais cela reste des voix d’hommes qui parlent des femmes ou de la femme idéalisée.
Leur exclusion des instances décisionnelles et plus largement de toute autorité ecclésiale s’explique par une double évolution historique. Les exégètes et historiens montrent aujourd’hui que la nouveauté du Christ, qui ne traitait pas différemment les femmes et les hommes, n’a pas résisté aux traditions patriarcales qui prévalaient dans la plupart des sociétés. L’Église a bien continué à affirmer l’égalité entre homme et femme devant Dieu. Mais cette égalité se situait dans son âme spirituelle et ne semblait pas devoir se traduire dans la vie sociale. Il en va ainsi chez les Pères de l’Église aux premiers siècles, mais il n’en va pas différemment dans la pensée sociale de l’Église qui défend avant tout le rôle de la mère au foyer. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, les écrits du Magistère vont se multiplier pour célébrer « le génie féminin ». Mais cela reste des voix d’hommes qui parlent des femmes ou de la femme idéalisée. Les femmes elles-mêmes peinent toujours à se faire entendre.
La seconde raison de cet état de fait provient de la cléricalisation progressive de l’Église. Avec le développement des communautés chrétiennes, l’Église s’organise et met en place les ministères d’évêque, de prêtre et de diacre. L’écart entre ces clercs et l’ensemble des fidèles se creuse au fil des siècles pour aboutir à une vraie séparation, avec la réforme grégorienne au XIe siècle. Il y aura finalement deux Églises, celle qui enseigne (ecclesia docens) et celle qui doit apprendre (ecclesia discens). Il en résulte que toute autorité, tout exercice du pouvoir, toute prédication, tout enseignement de la théologie sera pendant des siècles aux mains des clercs et donc exclusivement des hommes.
Bien sûr, les choses ont aujourd’hui changé. De nombreuses responsabilités sont confiées désormais à des laïcs, hommes et femmes, ces dernières étant bien plus nombreuses à s’investir dans l’Église. Cela n’empêche que la séparation entre clercs et laïcs demeure, ce qui veut dire que la parole d’autorité, la prédication, les décisions au niveau de l’Église universelle restent masculines. Et cela finit par porter atteinte à la crédibilité même du message évangélique.
D’abord, en raison du décalage par rapport à la société où l’égalité des sexes est acquise depuis longtemps, même si elle reste à parfaire dans la réalité. Peu importe si les arguments théologiques qui s’opposent à l’accès des femmes aux ministères sont pertinents ou non. La société est passée à une autre phase et ne comprend plus les atermoiements de l’Église. Il s’agit là de signes des temps que l’Église n’a pas su lire.
Se privant de la participation des femmes à la prédication et à la gouvernance de l’Église, elle prive l’Évangile d’un témoignage vivant indispensable.
Plus grave encore, la foi chrétienne se fonde sur l’Incarnation. Plus qu’un enseignement théorique, sa transmission demande l’incarnation du message dans la vie de chacun. Dans des vies féminines aussi bien que masculines, dans des vies de couples aussi bien que de célibataires. Se privant de la participation des femmes à la prédication et à la gouvernance de l’Église, elle prive l’Évangile d’un témoignage vivant indispensable.
Enfin, les situations d’abus et d’emprise ont pu prospérer sur une certaine forme de cléricalisme et d’entre soi. Pour le pape François, la réforme passe par la mise en place d’une Église synodale. C’est une Église de l’écoute, où chacun a à apprendre de l’autre, et une Église du service, où personne n’est au-dessus de l’autre. Lancée dès 2015 et mise en pratique dans les différents synodes, l’idée bouscule les habitudes et ne progresse que lentement. Le pape vient d’annoncer pour 2022 un synode sur la synodalité ! Il sera précédé par une consultation des laïcs et ce sera l’occasion pour tous, et en particulier pour les femmes, de dessiner le nouveau visage de l’Église pour les décennies à venir.
1 Cet article, mis en ligne en avant-première, est extrait du dossier "En notre nom : la représentation en question" (n°378) qui sera publié en octobre 2020.