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En réponse à ses principes de liberté, de respect des droits de l’homme et de libre circulation à l’intérieur de ses frontières, l’Union européenne tend à uniformiser les règles d’attribution du droit d’asile entre les États membres. Avec de nettes améliorations, mais aussi le risque qui demeure de les durcir…
L’Union européenne (UE) travaille à l’harmonisation des règles de l’asile depuis 1999, année où le Conseil européen a décidé d’instaurer une politique commune d’asile et de migration. Pour l’UE, fondée sur les principes de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme, disposer de règles communes sur la manière de décider si les citoyens non européens ont besoin de protection est à la fois une question de valeurs et un besoin pratique. Protéger les personnes qui fuient les persécutions et les conflits est pour elle une obligation morale et légale et il est logique que les États membres le fassent de la même manière. Par ailleurs, la nécessité de règles de l’asile communes n’est pas sans lien avec l’objectif principal de l’UE : garantir la liberté de circulation et éliminer les frontières intérieures. Obtenir une protection et donc la possibilité de séjourner légalement dans un État membre de l’UE signifie que l’on peut circuler dans toute l’Union, sans contrôle aux frontières. Les gouvernements souhaitent dès lors veiller à ce que les autres États membres évaluent les demandes d’asile selon les mêmes modalités qu’eux-mêmes.
Les règles communes pour décider qui a droit à la protection dans les États membres de l’UE se trouvent dans une directive adoptée en 2004, et révisée en 2011. Un de ses résultats les plus importants est l’introduction de la notion de protection subsidiaire, un statut protégeant les personnes fuyant les conflits armés et la violence aveugle. Avant son entrée en vigueur, les États européens n’étaient pas tenus par le droit international de protéger les personnes fuyant la guerre : le statut de réfugié ne concerne que les persécutions individuelles liées à des raisons politiques, raciales, religieuses ou d’appartenance à un groupe social spécifique. Au début des années 2000, seuls certains États européens avaient des statuts de protection pour les personnes qui fuyaient les conflits armés, et ces statuts variaient énormément. La protection subsidiaire a donc apporté une amélioration indispensable.
La directive européenne a précisé que les personnes persécutées pour des raisons liées à leur genre ou à leur orientation sexuelle devraient être reconnues comme des réfugiés.
En outre, la directive a contribué à harmoniser l’interprétation de nombreux éléments dans la définition du réfugié international. Elle a précisé, par exemple, que les personnes persécutées pour des raisons liées à leur genre ou à leur orientation sexuelle devraient être reconnues comme des réfugiés et que la violence sexuelle et les actes liés au genre ou aux enfants peuvent caractériser une persécution. Ces clarifications sont bienvenues sur des questions sur lesquelles les pratiques des États membres divergeaient considérablement et permettent de protéger de nombreuses femmes et jeunes filles de pratiques néfastes, telles que les mutilations génitales féminines, ou de mariages forcés, ainsi que de nombreuses personnes LGBTQI +, craignant toujours pour leur vie, dans de nombreux endroits du monde.
Cela signifie-t-il cependant que, de nos jours, les personnes ayant des besoins de protection similaires bénéficieront de la même protection, quel que soit l’État membre dans lequel elles la demandent ? D’après les statistiques, c’est loin d’être le cas. En 2019, par exemple, presque toutes les décisions prises en Italie en réponse à des demandes d’asile par des Afghans ont octroyé un statut de protection (94 %), contre 63 % en France et seulement 32 % en Belgique (selon Eurostat). Recevoir une protection internationale en Europe demeure malheureusement encore une loterie.
Cette harmonisation de la législation de l’asile en Europe a cependant aussi permis aux États membres de renoncer à leur responsabilité de protéger.
Cette harmonisation de la législation de l’asile en Europe a amélioré plusieurs normes de protection, mais elle a par ailleurs permis aux États membres de renoncer à leur responsabilité de protéger : il leur est ainsi possible de refuser cette protection si une personne peut raisonnablement être en mesure de trouver une situation sûre dans une autre partie de son pays d’origine (ou « alternative de fuite interne »). L’utilisation de ce concept peut conduire à des conclusions très discutables, comme considérer Kaboul comme un lieu sûr pour les Afghans menacés par les talibans et utiliser cet argument pour leur refuser une demande d’asile.
De même, d’autres textes législatifs de l’UE, tels que la directive européenne sur les procédures d’asile, incluent des éléments qui aboutissent à une harmonisation moins protectrice des pratiques des États. Par exemple, des concepts tels que celui de « pays tiers sûrs » ou de « pays d’origine sûr » peuvent être utilisés pour refuser sans plus de considération les demandes de personnes qui viennent ou ont transité par certains pays dits « sûrs ». Et déclarer un pays généralement sûr pour toutes les personnes est, en tant que tel, en contradiction avec la nécessité d’évaluer la peur individuelle de la persécution. D’autant plus qu’une telle décision peut facilement être influencée par des intérêts politiques et diplomatiques. On pense ici à la Turquie : malgré les preuves de la situation problématique des droits de l’homme dans ce pays (aussi bien pour les citoyens turcs que pour les réfugiés), les pays de l’UE ne cessent de chercher des subterfuges pour pouvoir dire que le pays est sûr et pour y renvoyer les demandeurs d’asile, un grand nombre de demandeurs d’asile arrivant dans l’UE après avoir traversé la Turquie.
Certes, le processus d’harmonisation de l’asile au sein de l’UE a évolué dans la bonne direction pendant plusieurs années, quoique lentement. Mais des différences importantes subsistent. Et, si l’Europe veut être fidèle à ses valeurs, une harmonisation plus poussée sera nécessaire à l’avenir.
Malheureusement, le climat politique actuel n’offre pas un environnement favorable pour une harmonisation qui assurerait la protection. À la suite des réactions de panique face à l’augmentation du nombre d’arrivées en Europe en 2014-2015, l’objectif des dernières propositions de révision du régime d’asile commun s’est clairement déplacé. Après avoir cherché à offrir la même protection à tous, l’Europe cherche désormais à offrir le moins de protection possible à chacun. Dès lors, plutôt que de pousser à davantage de réformes législatives, la voie aujourd’hui à suivre est de consolider les acquis du passé.
Article traduit de l’anglais par l’équipe de rédaction.