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Dossier : L’éducation a-t-elle un genre ?

À quoi sert la mixité filles/garçons à l’école ?

© Wikipédia/CC/Chabe01
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Malgré des écoles mélangeant filles et garçons, il existe encore des métiers où l’on trouve près de 100 % de femmes, d’autres 100 % d’hommes. Pourtant, l’égalité passe par la mixité des carrières et des filières. Faire advenir cette mixité nécessite de s’interroger en profondeur sur les facteurs responsables de cette situation.

Parlons du genre !
« Pour débattre sereinement du genre, il importe d’accepter que se confrontent des visions différentes de ce que faire société veut dire. C’est ce que nous avons voulu faire avec ce numéro. » Aurore Chaillou, rédactrice en chef adjointe de la « Revue Projet »
Retrouvez l’édito « Parlons du genre ! » présentant la démarche de notre question en débat « L’éducation a-t-elle un genre ? ».

« De toutes les révolutions pédagogiques du siècle, la mixité est l’une des plus profondes. Elle oppose l’école de notre temps à celle de tous les siècles précédents1 ». Pourtant, au moment où la mixité est rendue obligatoire par la loi Haby en 1975, la décision suscite bien peu de réactions, car elle existe, de fait, dans nombre d’établissements depuis une dizaine d’années, essentiellement pour des raisons financières (un gros établissement scolaire mixte est moins cher que deux petits établissements non mixtes). Ainsi, au niveau de l’Éducation nationale, cette révolution pédagogique n’est pas allée de pair avec un projet de société ou un projet d’égalité entre les sexes. Pourtant, le débat sur la mixité se réactive régulièrement autour de deux questions : l’école mixte est-elle plus efficace que l’école unisexe ? Permet-elle aux garçons et aux filles de mieux se connaître pour mieux se comprendre ?

La mixité est l’école de la vie

À partir de la fin du XIXe siècle, l’introduction de la mixité est portée par les défenseur.e.s de l’éducation nouvelle : un courant pédagogique selon lequel la mixité aurait des vertus éducatrices. Elle permettrait aux filles et aux garçons de se rencontrer et de se découvrir, en apprivoisant sans crainte et sans violence la sexualité. Le postulat est que si l’école publique doit être l’école de la vie, comme la vie est mixte, l’école doit être mixte.

Au moment où la mixité commence à se généraliser dans les années 1960, elle donne lieu à très peu de controverses. Aujourd’hui, il lui est prêté deux vertus partiellement contradictoires. En effet, elle serait tour à tour « “neutralisante”, obéissant à la nécessité de combattre les stéréotypes réducteurs [et] “rassemblante”, postulant les bienfaits de l’interaction entre deux populations assez distinctes pour pouvoir s’enrichir mutuellement2 ».

Une condition nécessaire à l’égalité des sexes

Les premières auteures à travailler sur la question de la mixité en France ont surtout traité de la question des apprentissages3. Elles ne remettaient pas en cause le principe de la mixité, mais demandaient que celle-ci bénéficie d’un accompagnement réflexif et formateur, arguant que la mixité limitée à une coprésence des sexes dans la classe ne pouvait, à elle seule, produire de l’égalité. Et l’analyse des interactions entre élèves dans des classes mixtes le montre encore aujourd’hui : des relations essentiellement unisexuées produisent une « mixité de surface », correspondant à une simple juxtaposition des sexes4.

La sociologie de l’éducation a souligné qu’il ne suffisait pas de mélanger les classes sociales pour produire une éducation égalitaire et que de nombreuses stratégies permettaient aux élèves des milieux favorisés de se retrouver entre eux5. Il n’y avait aucune raison qu’il en aille différemment avec l’égalité entre les sexes… surtout si on ne se préoccupait pas activement de la faire advenir.

L’orientation, « butoir ultime de la mixité »

Dès qu’une marge de liberté apparaît dans le cursus, on constate que les élèves se répartissent dans les options selon une distribution qui ne doit rien au hasard. Si chaque élève dispose du même enseignement jusqu’à̀ 15 ou 16 ans, chacun et chacune n’en fait pas le même usage ou n’en tire pas le même profit. Françoise Vouillot le rappelle : « La division sexuée de l’orientation est une anticipation de la division sexuée du travail (extérieur et domestique) qui historiquement la précède. En retour, les orientations différenciées des filles et des garçons maintiennent la division du travail6 ». Dans l’enseignement technique, la mixité fait figure d’exception : beaucoup de filières accueillent environ 90 % d’un sexe pour 10 % de l’autre.

Ces orientations différenciées sont aussi des orientations inégales : en effet, les filières dans lesquelles les filles se retrouvent majoritaires sont celles qui ne seront pas, par la suite, les plus porteuses d’emploi et les mieux rémunérées. S’il y a 55 % de filles dans l’enseignement supérieur, la part des femmes en école d’ingénieurs atteint tout juste la barre des 30 % alors qu’elles sont plus de 70 % en lettres et langues7.

Des avantages peu clairs du côté de l’école non mixte

À partir des années 1980, un certain nombre de rapports (en général anglo-saxons) font état de résultats moins bons aux examens pour les filles scolarisées dans les écoles mixtes, en particulier dans des disciplines comme les mathématiques ou la physique. Mais ces résultats doivent être interprétés avec précaution. Gaël Pasquier remarque : « Les recherches qui dressent un bilan positif des expériences de non-mixité omettent de prendre en compte trois éléments : le comportement et la réussite des élèves ayant connu des situations de non-mixité́ lors de leur retour dans un contexte mixte, l’origine sociale des élèves, souvent plus élevée dans les écoles non mixtes, et les rapports de domination intra-sexe dans les groupes non mixtes.8 »

En revanche, Marie Duru-Bellat9 signale que les filles se sentent plus en confiance en non-mixité : « Elles jugent l’ambiance de la classe plus propice au travail, plus détendue et plus confortable, dès lors que les garçons ne sont plus là pour monopoliser l’espace. » Les garçons, en revanche, trouvent l’ambiance entre garçons « plus compétitive, plus brutale, plus agitée aussi ». En somme, il s’avère que « même si la mixité ou la non-mixité n’affecte pas de manière marquée les performances scolaires, elle module sensiblement le quotidien des classes et les attitudes des élèves ».

Le fantasme de la complémentarité

En 2008, la loi rouvre la porte à la non-mixité à l’école : « Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est interdite en matière d’accès aux biens et services et de fourniture de biens et services. Ce principe ne fait pas obstacle […] à l’organisation d’enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe10. » À la suite de quoi, le collège parisien Stanislas propose de nouveau des classes non mixtes. La direction de l’école explique sa position : « la fille doit être élevée pour être une femme et le garçon pour être un homme » et « on ne peut pas éduquer une fille à sa féminité et un garçon à sa virilité avec les mêmes méthodes11 ». En somme, une des questions récurrentes des formations en non-mixité est de présupposer qu’il existe une différence irréductible et naturelle au niveau des compétences et aptitudes entre les sexes même si toutes les études convenablement étayées de psychologie sociale prouvent le contraire12. Il est en outre facile d’imaginer l’inconfort d’une fille ou d’un garçon dans une classe non mixte qui ne se sentirait pas en phase avec les attendus sociaux liés à son sexe. En préjugeant d’aptitudes différentes entre les garçons et les filles, ne les fait-on pas advenir ? L’effet Pygmalion est un phénomène bien connu et mesuré en sciences de l’éducation qui montrent que les élèves tendent à devenir tels que les enseignant.e.s les perçoivent.

Quand bien même s’agirait-il d’une non-mixité militante, qui choisirait de séparer les sexes dans l’espoir de tenir à l’écart les stéréotypes discriminants, Gaël Pasquier note que les enseignant.e.s ont tendance « à opter pour une simplification des contenus d’enseignement et une baisse des exigences dans certaines matières, pour les filles comme pour les garçons, sans pour autant en être conscient.e.s13 ».

Égalité, équité ou complémentarité des sexes ?

La réussite de chaque élève, quel que soit son sexe (mais aussi son origine ethnique et sa classe sociale) est au cœur de la mission de l’école. Mais sur cette base commune, des concepts très différents sont mobilisés. Tout d’abord, l’Éducation nationale « n’a jamais choisi explicitement entre la perspective différentialiste promotrice d’une “égalité dans la différence”, et la perspective universaliste dans laquelle tous les humains sont égaux, en dépit de la différence des sexes14 », c’est-à-dire la définition de l’égalité que l’on retrouve dans la Déclaration universelle des droits humains. « L’égalité dans la différence », qui active l’idée d’une complémentarité entre les sexes, masque en fait tout un possible d’inégalités. Être complémentaire ne veut pas dire être égal : 2 et 8 sont complémentaires à 10, mais ne sont en rien égaux. Il ne faut pas généraliser la complémentarité biologique qui existe au niveau des gamètes (ovule et spermatozoïde) à une complémentarité des individus qui les produisent ! En tout cas, spéculer a priori des compétences distinctes pour chaque sexe est une manière de décréter que la biologie doit présider à votre destin : c’est un désaveu du pouvoir de l’éducation.

Néanmoins, on ne doit pas se méprendre sur le sens du terme « égalité ». Tout d’abord, il ne veut pas dire « identité » : dire que les humains naissent libres et égaux n’a jamais signifié qu’ils naissaient identiques ! Ensuite, dans un retournement un peu paradoxal, l’égalité est vue comme inéquitable, dans le sens où donner strictement la même chose à des personnes totalement inégales, ce n’est pas faire preuve d’égalité. Le but à atteindre (l’égalité) ne se confond pas avec le moyen de l’atteindre, qui peut utiliser des mesures d’équité. Toutefois, si les mesures d’équité rendent le système moins injuste, transformer le système afin qu’il ne discrimine plus aucun groupe social est le seul moyen d’obtenir une égalité durable. Et c’est alors qu’on peut repenser à la mixité…

Essayons réellement la mixité !

La plupart des enseignant.e.s croient profondément dans la mission émancipatrice de l’école. C’est pour cela qu’elles et ils sont souvent convaincu.e.s que leur cours est neutre et sera reçu de la même manière par les garçons et les filles. Mais la plupart d’entre elles et eux n’ont jamais eu de formation sérieuse à la question du genre et ne savent rien des enjeux de la mixité. Ce que l’on constate en classe, c’est une juxtaposition des sexes : les élèves se chahutent, se séduisent, se harcèlent ou se défient entre groupes de sexe, mais ne travaillent pas ensemble, ne se côtoient pas réellement. Alors, pour savoir si la mixité est plus ou moins efficace en termes de résultats, il faudrait réellement la mettre en œuvre : d’une part, en faisant travailler filles et garçons ensemble (groupes de travaux mixtes, plan de classe où les élèves sont mélangés, prises de parole en classe mieux équilibrées), d’autre part, en réinjectant de la mixité dans les contenus d’enseignement (redonner leur place aux femmes dans l’histoire, les lettres et les sciences, veiller à ce que les exemples utilisés dans les exercices et illustrations soient mixtes et non stéréotypés, s’assurer que les albums comportent une ou plusieurs héroïnes…). Si l’on souhaite que l’école permette aux garçons et aux filles de mieux se connaître pour mieux se comprendre, elle doit faire vivre la mixité dans le quotidien de la classe. Pour le moment, force est de constater que l’Éducation nationale propose bien une école de la vie : on y apprend la hiérarchie entre les sexes et la complémentarité des rôles sociaux. On peut tout aussi bien y apprendre l’égalité entre les filles et les garçons et la grande variété des compétences, d’un élève à l’autre, au-delà de sa catégorie sociale, ethnique ou de sexe.

 

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1 Antoine Prost, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France. L’école et la famille dans une société en mutation depuis 1930, tome IV, Tempus Perrin, 2004.

2 Corinne et Martine Chaponnière, La mixité. Des hommes et des femmes, Infolio éditions, 2006.

3 Cf. Liliane Kandel, « L’école des femmes et le discours des sciences de l’homme : de quelques obstacles appelés “épistémologiques” », Les temps modernes, n° 333-334, 1974 ; Marie Duru-Bellat, L’école des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ?, L’Harmattan, 2004 [1990] ; Nicole Mosconi, La mixité dans l’enseignement secondaire : un faux-semblant ?, Puf, 1989.

4 Cendrine Marro et Isabelle Collet, « Les relations entre filles et garçons en classe. Qu’en disent-elles ? Qu’en disent-ils ? », Recherches et éducations, n° 2, 2009, pp. 45-71.

5 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Les Éditions de Minuit, 1964.

6 Françoise Vouillot, « L’orientation, le butoir de la mixité », Revue française de pédagogie, n° 171, 2010, pp 59-67.

7 « Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur », rapport des ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 2018.

8 Gaël Pasquier, « Les expériences scolaires de non-mixité : un recours paradoxal », Revue française de pédagogie, n° 171, 2010, pp. 97-101.

9 Marie Duru-Bellat, « Ce que la mixité fait aux élèves », Revue de l’OFCE, n° 114, 2010, pp. 197-212.

10 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, art. 2, Journal officiel, n° 0123, 28 mai 2008, p. 8801.

11 Isabelle Collet, « Mixité, gémination, coéducation » dans Jean-Luc Villeneuve (dir.), Filles-garçons en famille et à l’école : reproduction des inégalités ou éducation à l’égalité ?, Le Manuscrit, 2012, pp. 137-186.

12 Cf. Lise Eliot, Cerveau rose, cerveau bleu, Robert Laffont, 2011 : une importante compilation de recherches sur les différences entre les sexes (hormones, gènes et capacité cognitive). Il en ressort en substance que les différences entre les sexes sont minimes (outre les éléments biologiques en lien avec les fonctions reproductives du corps) et que la plasticité cérébrale balaye les possibles différences qui auraient pu préexister.

13 G. Pasquier, op. cit.

14 Muriel Salle, « À l’école de la République, de “l’égalité filles/garçons” à la “culture de l’égalité” », Tréma, n° 46, 2016, pp. 5-13.


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