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La conférence sur le climat de Marrakech (Cop22), fin 2016, a vu la communauté internationale réaffirmer, dans un contexte dominé par l’élection de Donald Trump, les engagements pris un an plus tôt à Paris. La France s’est montrée offensive pour faire adopter une déclaration contenant un message directement adressé aux États-Unis. L’attitude des Américains sera d’autant plus décisive qu’ils ont, plus que d’autres, un gros effort à fournir pour décarboner leur économie. Pour autant, l’Europe n’est plus aussi exemplaire qu’elle a pu l’être après l’accord de Kyoto de 1997. Quant à la France, si elle continue à parler haut et fort, ce qu’on ne saurait lui reprocher, on peut se demander si les décisions de nos dirigeants sont à la hauteur de leurs discours.
On peut se demander si les décisions de nos dirigeants sont à la hauteur de leurs discours.
Le gouvernement met en avant la loi d’août 2015 sur la transition énergétique, qui réaffirme les objectifs de réduction des émissions déjà fixés lors du Grenelle de l’environnement (le fameux « facteur 4 ») et détaille une liste imposante d’actions dans plusieurs domaines (énergies renouvelables, économies d’énergie, agriculture, transports, etc.). Mais l’affichage d’une liste d’objectifs et de mesures suffit-il ? Toutes les simulations montrent que les objectifs climatiques fixés à l’horizon 2050 ne seront pas atteints par le seul effet du progrès technique : il faut compter sur l’évolution des comportements (consommation, alimentation, mobilité...) et sur la mobilisation d’un grand nombre de leviers d’action publique. Ce que confirme un rapport de l’OCDE de juin 20151 : la lutte contre le changement climatique exige d’« aligner » l’ensemble des politiques en vue de la transition vers une économie bas carbone, y compris les politiques qui « ont été formulées sans tenir compte des incidences possibles sur les émissions de gaz à effet de serre ». Aussi un effort rigoureux est-il requis pour mettre en cohérence l’ensemble des politiques publiques et évaluer leur impact réel sur les émissions de gaz à effet de serre. De ce point de vue, nous sommes loin du compte.
Pour en prendre la mesure, il suffit de constater l’absence de dispositif de suivi et d’évaluation de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) publiée à la veille de la Cop21. Outre 200 pages, ce document constitue la réponse de la France aux engagements de transparence contenus dans l’accord de Paris. Il détaille la trajectoire prévue de réduction des émissions et les moyens pour s’y conformer. Ces derniers ne se limitent pas aux politiques spécifiques, telles que le développement des énergies renouvelables, l’amélioration de l’efficacité énergétique (isolation des bâtiments, amélioration des process industriels), la taxation des énergies fossiles. Ils concernent l’ensemble des secteurs de l’action publique. La SNBC expose les stratégies qui en résultent, notamment dans des domaines à forts enjeux climatiques : transports, bâtiment et habitat, urbanisme, agriculture et forêt, production d’énergie...
Un grand nombre de décisions prises sans égard pour leurs conséquences climatiques
Mais un grand nombre de décisions continuent d’être prises sans égard pour leurs conséquences climatiques. C’est flagrant pour les transports : « la lecture des prévisions de consommation énergétique du secteur des transports [le SNIT, NDLR](…) fait apparaître d’ici à 2025 une quasi-stabilité ou une très légère baisse des émissions de gaz à effet de serre : la hausse prévue des trafics est à peu près compensée par la baisse des émissions unitaires dues au progrès technique, un léger progrès supplémentaire étant dû à l’effet propre du Schéma national des infrastructures de transport. Pour l’Autorité environnementale, ce résultat pose plusieurs questions, concernant la mise en cohérence entre la politique des transports et celle de la lutte contre le changement climatique et ses effets2. » Or, aucune conséquence n’a été tirée de cet avis. Et l’on pourrait multiplier les exemples dans presque tous les domaines. Compte tenu de la diversité légitime des objectifs de l’action publique, cette situation n’est guère surprenante.
Insuffisance des dispositifs d’évaluation de l’impact carbone des décisions
Ce qui choque davantage, c’est l’insuffisance des dispositifs d’évaluation de l’impact carbone des décisions. Une étude en cours de l’inspection générale du ministère de l’Écologie pose sur ce point un diagnostic préoccupant. Alors qu’au plan international, des efforts sont entrepris pour harmoniser la mesure des émissions globales sur un territoire, les données produites, en France, sur les émissions générées par chacune des politiques nationales, manquent singulièrement de cohérence ! Ainsi, pour un enjeu aussi crucial que celui des économies d’énergie dans le bâtiment, il n’existe pas de dispositif global de retour d’expérience permettant de mesurer l’efficacité réelle des travaux d’isolation à l’échelle du pays… Le rapport devrait recommander la mise en place d’un dispositif de pilotage de la mise en œuvre de la SNBC et diverses mesures d’amélioration et d’harmonisation des outils de mesure de l’impact carbone.
1 OCDE, Aligner les politiques au service de la transition vers une économie bas carbone, juin 2015
2 Extrait d’un avis sur le SNIT rendu en 2010 par l’Autorité environnementale : une instance indépendante, chargée de valider les évaluations environnementales des plans, programmes et projets d’infrastructures.