Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Comment relégitimer l'impôt ?

La douce musique de l’impôt

Manifestation pour un impôt juste, Paris, décembre 2013 © Aurore Chaillou/Revue Projet
Manifestation pour un impôt juste, Paris, décembre 2013 © Aurore Chaillou/Revue Projet

Placardée sur un fond bleu-blanc-rouge, l’image d’un gros moustique, sous laquelle on peut lire : « RSA : 10 milliards €. Fraude fiscale : 50  milliards €. Alors, c’est qui le parasite ? » La question est provocante. Mais que vient donc faire le Secours catholique, auteur en 2012 de cette campagne d’opinion, sur un terrain aussi polémique ?

Le débat public sur le rôle de l’État est saturé par deux voix qui se répondent. D’un côté, on stigmatise les « assistés » : ces cohortes d’individus qui feraient délibérément le choix de vivre aux crochets de la société. Le Secours catholique peut témoigner au quotidien de la perversité d’un tel discours, qui ajoute chez celles et ceux qu’accueille l’association, un sentiment de honte et de culpabilité à la misère et l’exclusion subies. En contre-chant, on arbore un bonnet rouge, le costume du pigeon, sinon celui de l’homme politique responsable, pour brocarder le « trop d’impôt ». La critique, fondée ou non, fait le lit de tous ceux qui font le choix de s’affranchir, dans le cadre ou en marge de la loi, de leur contribution à la charge commune.

L’hostilité à l’impôt n’est pas neuve. Que l’on songe au « vampire aux doigts crochus » évoqué par Robert Goupil dans sa « Réponse au percepteur » : « D’ici quelque temps, chacun devra déclarer les poils qu’il a sur les bras, les jambes ou l’estomac », s’inquiétait le chanteur en 1933. Mais trois phénomènes renouvellent le paysage. La multiplication des dérogations nuit à la lisibilité de la politique fiscale. Surtout, elle octroie aux plus fortunés un pouvoir démesuré dans l’orientation de la dépense publique (cf. K. Weidenfeld). Fût-ce au nom de l’intérêt général, comme dans le cas des fondations (cf. M. Calame). Les techniques de contrôle conduisent les autorités à se montrer implacables envers les petits fraudeurs, mais plus conciliantes avec la grande fraude, difficile à déceler (cf. A. Spire). Enfin, la libre circulation des capitaux fait vaciller l’impôt sur son fondement, le territoire, et basculer la charge fiscale des plus mobiles – souvent plus riches – vers les immobiles (cf. J. Merckaert).

L’administration fiscale n’en constate pas moins un très fort consentement à l’impôt aujourd’hui (cf. N. Delalande). Si l’impôt déçoit, c’est fondamentalement parce qu’il peine à honorer ses promesses. Relégitimer l’impôt, c’est d’abord répondre aux enjeux de l’époque. À commencer par celui du détournement par les multinationales des richesses produites sur les territoires où elles opèrent. Faut-il les imposer sur leur profit mondial ou continuer de les considérer comme autant d’entités séparées qu’il revient à chaque État de taxer ? Le débat ne fait que commencer (cf. P. Saint-Amans et S. Picciotto). Et les ajustements juridiques ne suffiront pas, si les entreprises conservent pour seul cap l’abaissement des charges : l’enjeu appelle une réponse éthique dans la gouvernance même des entreprises (cf. H. Singer). L’explosion des inégalités représente un autre défi majeur, au point qu’il inquiète les médecins (cf. R. Wilkinson). Or cette inégalité est d’abord celle des patrimoines : ce sont eux qu’il faut prioritairement imposer si l’on aspire à une société plus juste (cf. T. Piketty). Enfin, l’inversion des raretés – le facteur travail étant désormais abondant tandis que les ressources naturelles s’amenuisent – invite à un basculement de la fiscalité. Encore faut-il emporter la conviction (cf. J.-C. Hourcade).

Le « ras-le-bol fiscal » serait-il le signe d’un délitement de notre sentiment d’appartenance ? Certains y voient leur intérêt. Mais le requiem du contrat social n’a pas sonné. Simplement, une autre musique reste à inventer. En 1933, répondant à Goupil, Georges Milton entonnait gaiement cet hymne au civisme fiscal : « Bien des gens, paraît-il, ne payent pas leurs impôts. (...) Moi, je n’approuve pas ça, j dis qu’ ce n’est pas permis. Et constamment j’ demande aux parents, aux amis : As-tu déclaré ton salaire ? As-tu déclaré tes r’venus ? » Y aurait-il des volontaires, aujourd’hui, pour répondre à nos artistes qui confondent évasion fiscale et « liberté de penser » ? Le bourdonnement du moustique n’a rien d’agréable.

À lire dans la question en débat
« Comment relégitimer l’impôt ? »

J'achète Le numéro !
Comment relégitimer l'impôt ?
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

« Les inégalités nous rendent malades »

Entretien – Les inégalités finiraient par bénéficier à l’ensemble de la société ? L’idée a profondément imprégné les esprits. Dans un best-seller, Richard Wilkinson démontre tout le contraire, données sociales et sanitaires à l’appui : plus une société est inégalitaire, plus elle est malade. Comment expliquez-vous l’engouement qu’a connu votre livre Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous1? Faut-il mettre en évidence la dimension sanitaire d’un enjeu comme celui des inégalités pour que l’opin...

Imposer les multinationales, une gageure ?

Débat – Les pays du G20 commencent à reconnaître combien il est difficile de taxer les profits des entreprises multinationales, qui jouent des failles du système fiscal en délocalisant artificiellement leurs profits offshore. Pour mettre fin à ces pratiques, ils ont donné mandat à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mais s’agit-il d’ajuster les règles existantes ou d’en changer ? La question fait débat. On observe un grand écart entre la réalité de l’activité de...

L’écotaxe, un combat désespéré ?

Tous les arguments sont réunis, mais la fiscalité verte n’avance pas. On a voulu l’imposer à l’insu de la population, ou sans répondre aux craintes légitimes de déclassement social. Or le basculement d’une fiscalité sur le travail vers une fiscalité sur les émissions polluantes doit devenir le socle d’un nouveau contrat social. Un article de plus sur l’éco-fiscalité ? J’ai d’abord résisté à la proposition… Comment ne pas en désespérer quand on a vécu l’échec de la taxe mixte européenne en 1992, ...

Du même auteur

Chocolat amer

L’or brun. En Côte d’Ivoire, les fèves de cacao font vivre une bonne partie de la population. Mais elles aiguisent aussi les appétits. Non sans conséquences sur les fuites de capitaux, l’impossibilité de déloger la classe dirigeante et la violence  armée. C’est ce que révèle cette enquête… au goût amer. Un seul pays d’Afrique est leader mondial dans l’exportation d’une matière première a...

Pour une économie relationnelle

« On peut en savoir beaucoup sur quelqu’un à ses chaussures ; où il va, où il est allé ; qui il est ; qui il cherche à donner l’impression qu’il est ». À cette observation de Forrest Gump dans le film éponyme1, on pourrait ajouter : « Quel monde il invente ». Car l’analyse du secteur de la chaussure, objet du quotidien s’il en est, en dit long sur notre système économique. Un système qui divise. À commencer par les humains : quel acheteur est capable de mettre un visage derrière la fabrication ...

Libérons-nous de la prison !

Nous aurions pu, comme en 1990, intituler ce numéro « Dépeupler les prisons » (Projet, n° 222). Car de l’inventaire dressé alors, il n’y a pas grand-chose à retirer. Les conditions de vie en détention, notamment pour les courtes peines et les détenus en attente de jugement, restent indignes d’un pays qui se veut « patrie des droits de l’homme ». Mais à la surpopulation carcérale, on préfère encore et toujours répondre par la construction de nouvelles prisons. Sans mesurer que plus le parc pénit...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules