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Dossier : Face au mur. Entreprises et écologie

Électroménager Obsolescence déprogrammée

Cheikh est salarié en insertion chez RépareSeb. © Jonathan Reiss/RépareSeb
Cheikh est salarié en insertion chez RépareSeb. © Jonathan Reiss/RépareSeb

En 2020, la France a produit 849 097 tonnes de déchets électroménagers. Certains grands groupes s’engagent sur la réparabilité de leurs produits, mobilisant associations et pouvoirs publics. Une collaboration qu’illustre l’atelier-boutique RépareSeb.


Derrière le comptoir de la boutique de RépareSeb, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, une équipe de travailleurs en insertion répare des appareils électroménagers des marques du groupe SEB, tandis qu’une autre remet en service des produits issus du service après-vente, avant de les revendre sur place à 40 % du prix neuf. Le site accueille aussi un service de location d’appareils électroménagers et un incubateur de start-up de l’économie circulaire. La remise en service n’est pas étrangère à l’histoire de la Société d’emboutissage de Bourgogne (SEB). Son fondateur, Antoine Lescure, était rétameur ambulant, avant de fonder son atelier de ferblanterie à Selongey, en Côte d’Or, en 1853.

RépareSeb est né de l’alliance entre trois partenaires : SEB, leader mondial du petit électroménager, Ares, le premier groupe d’insertion par l’activité économique d’Île-de-France, et la mairie de Paris. Entre des acteurs aux rôles si différents, cette logique collaborative ne va pas de soi.

Mais la structure juridique de la joint-venture sociale, entre Ares et SEB, permet de pérenniser le projet au-delà d’une simple expérimentation. SEB s’engage, en effet, à soutenir RépareSeb jusqu’à l’atteinte de son seuil de rentabilité et à fournir les produits. Ares, de son côté, s’occupe des équipes. La mairie de Paris, quant à elle, soutient la dimension immobilière dans le cadre de la réhabilitation du quartier. Le projet RépareSeb peut ainsi s’inscrire dans la durée : initié en 2016, il a été lancé en 2018 avec un démarrage opérationnel en 2020 et une ouverture en 2021.

« Ici, je répare des hommes », nous dit l’un des chefs d’atelier.

Sa visée est environnementale et sociale : il s’agit à la fois d’allonger la durée de vie des produits et de favoriser le retour à l’emploi de personnes qui en sont éloignées, souvent après avoir dû quitter leurs pays d’origine. « Ici, je répare des hommes », nous dit l’un des chefs d’atelier. Ce projet inédit implique aussi de changer les pratiques : « Avant, les produits rapportés par les clients étaient démontés et recyclés. Aujourd’hui, ils sont remis en service. (…) Le plus important, c’est la qualité du travail qu’on fait. »

La stratégie commerciale classique consiste à vendre un maximum de produits sans se préoccuper de leur durée de vie, voire, parfois, en la limitant (en tablant sur l’obsolescence, programmée ou non, de certains composants). A contrario, maximiser la durée de vie des produits grâce à l’écoconception, au maintien d’un stock de pièces détachées et d’un réseau de réparateurs permet d’envisager le réemploi. Ces deux logiques, l’une centrée sur la croissance du chiffre d’affaires et la réduction des coûts, l’autre sur l’allongement de la durée de vie des produits, semblent à première vue antinomiques.

RépareSeb vise, à terme, l’accompagnement d’une trentaine de salariés en insertion professionnelle par an.

Même s’il est aussi fonctionnel et garanti qu’un produit neuf, un produit issu du réemploi est toujours vendu moins cher. Pour le producteur, la réparabilité du produit représente pourtant des coûts supplémentaires de conception et de gestion des stocks de pièces détachées. S’il faut payer une éco-contribution pour faire recycler ou détruire un produit, elle demeure dérisoire par rapport au coût réel de la réparation. Aujourd’hui, la réparation n’est pas profitable. Aussi la plupart des réparateurs de quartier ont-ils fermé : il n’en reste que deux à Paris. « L’un des objectifs du projet est de remettre des réparateurs au cœur des villes », explique Olivier Leduc, le directeur du site.

Avancées législatives

Les réglementations européenne et française incitent à adapter les modes de production pour protéger l’environnement. La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (loi Agec), votée en 2020, favorise justement le réemploi, la réparation et l’allongement de la durée de vie des produits. Depuis le 1er janvier 2021, les magasins et sites de vente en ligne d’équipements électriques et électroniques affichent un « indice de réparabilité » pour certaines catégories de produits (lave-linge, smartphones, ordinateurs portables, téléviseurs et tondeuses à gazon).

Cet indice permet d’évaluer, au moment de l’achat, dans quelle mesure un produit est réparable. Les critères sont la disponibilité de la documentation technique, la durée de disponibilité des pièces détachées, leur délai de livraison et leur prix. C’est le maintien d’une documentation technique précise et accessible et d’une large gamme de pièces détachées qui permet à SEB de réparer ses produits et de répondre aux exigences légales.

En 2019, seulement 28 % des produits de petit électroménager tombés en panne ont été confiés à un réparateur.

Les appareils électriques et électroménagers font partie des filières où la responsabilité des producteurs est élargie (filières REP). Depuis début 2022, les produits invendus dans une filière REP doivent être prioritairement réemployés, réutilisés ou recyclés et ils ne peuvent plus être détruits. Les acteurs publics doivent aussi acheter des biens issus du réemploi ou composés d’une part de matières recyclées. Toutes ces mesures, même si elles sont encore peu contraignantes, donnent un signal qui favorise la prise de conscience de tous les acteurs.

Cependant, malgré l’entrée en application de la loi Agec, l’engagement reste une affaire de pionniers. D’après une étude de l’Institut national de l’économie circulaire (Inec) d’avril 2021, même si 85 % des industriels interrogés considèrent l’économie circulaire comme une véritable opportunité, seuls 36 % intègrent réellement la circularité dans leur stratégie. En 2019, seulement 28 % des produits de petit électroménager tombés en panne ont été confiés à un réparateur (Ademe/Harris-Interactive/Fnac-Darty).

Pourtant, une personne sur deux serait prête à faire réparer, s’il y avait un atelier ou un réparateur près de chez elle. Plusieurs écoles de formation ont été créées récemment pour pallier ce manque : la Murfy Academy, créée en 2018 par la start-up du même nom, spécialisée dans la réparation, et la Tech Academy, créée par Fnac Darty en collaboration avec un centre de formation d’apprentis (CFA). RépareSeb devrait accueillir 250 travailleurs en insertion, dont une part essentielle se forme à la réparation.

La filière réparation reste à reconstruire, en matière de vente et d’approvisionnement, mais surtout de compétences.

Toute la filière de la réparation reste néanmoins à reconstruire. En matière d’approvisionnement en produits et de flux de vente, mais aussi (et surtout) de compétences. Même s’il bénéficie du réseau du groupe Ares pour recruter des techniciens très motivés et compétents, RépareSeb a toujours des difficultés à recruter des chefs d’ateliers pour développer son activité.

Des partenariats circulaires inédits entre des industriels, des clients et des distributeurs attentifs à leur empreinte environnementale, ainsi qu’une réglementation plus contraignante figurent parmi les facteurs favorisant la mise en place de filières plus sobres en énergie et en matières. Mais la bascule vers une économie qui préserve l’environnement repose sur notre capacité à éviter au maximum le déchet : la réparation et le réemploi sont les meilleurs outils à notre disposition pour y parvenir.

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