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Dossier : Savons-nous encore débattre ?

Débat public : les leçons de la Commission

Débat animé par la Commission nationale du débat public à Bagnols-sur-Cèze © CNDP
Débat animé par la Commission nationale du débat public à Bagnols-sur-Cèze © CNDP

Permettre un débat serein sur des sujets qui divisent, en favorisant la participation citoyenne : la Commission nationale du débat public a des objectifs ambitieux. D’autant qu’elle doit faire face à beaucoup de méfiance quant à son utilité…


Le principe d’une participation du public aux projets à forte incidence socio-économique ou environnementale est relativement récent1. Pionnière, la France confie dès 1995 le soin d’organiser et de garantir le processus de participation publique à une nouvelle institution : la Commission nationale du débat public (CNDP). Mais, depuis plus de vingt ans, la confusion est courante quant aux ambitions de la participation. L’objectif est d’abord de contribuer à l’information du public, en portant à sa connaissance des projets qui le concernent. Mais il est aussi de permettre à chacun d’exprimer son point de vue de manière argumentée, afin d’éclairer le décideur et d’influer sur ses choix. Ce n’est donc pas une simple consultation, et cela ne prétend pas non plus être, ce qui serait plus ambitieux, une co-construction ou une co-décision : le décideur est seulement tenu d’indiquer les conclusions qu’il tire de cette participation. De fait, les deux enjeux majeurs de ce processus sont la confiance et l’utilité. L’on manque de confiance si l’on soupçonne que toutes les informations ne sont pas diffusées et que le recueil de la parole publique est entaché d’une certaine partialité ; le doute plane également fréquemment sur l’utilité d’une prise de parole qui n’aurait pas de poids sur la décision finale.

Ce sont les décideurs qui peuvent apporter la garantie de l’utilité de la participation, par leur engagement à respecter cette parole, à répondre aux arguments.

Autorité indépendante et garante du droit à l’information et à la participation du public, la CNDP a clairement établi les principes incontournables de cette participation : l’indépendance de l’autorité organisatrice à l’égard de toutes les parties prenantes, sa neutralité absolue – qui exige que jamais elle ne se prononce elle-même sur le bien-fondé du projet –, la transparence, l’égalité de traitement des opinions, avis ou arguments exprimés et le souci de ne prendre en compte que les contributions argumentées. De tels principes sont la nécessaire garantie de la confiance. Mais ce sont les décideurs qui peuvent apporter la garantie de l’utilité de la participation, par leur engagement à respecter cette parole, à répondre aux arguments. La CNDP ne s’est vue attribuer aucun pouvoir dans ce domaine : si le Parlement français a été précurseur, il aurait pu être plus ambitieux…

Le cas des déchets radioactifs

L’histoire de la CNDP a été marquée par des critiques récurrentes. Ainsi lui a-t-on reproché en 2013 de n’avoir pu organiser en toute sérénité le débat autour du projet Cigéo, le centre de stockage profond de déchets radioactifs. Aucune réunion publique, en effet, n’a pu se tenir jusqu’à son terme sans que les opposants n’empêchent les personnes de s’exprimer. Dès lors, la Commission a choisi de privilégier une conférence de citoyens et le débat numérique au lieu de réunions publiques. Mais ce choix fut interprété comme un renoncement car, d’ordinaire, les portes des réunions ne sont jamais fermées. La CNDP avait-elle failli? Il ne lui était pas reproché de porter atteinte aux principes d’indépendance, de neutralité, d’égalité ou d’argumentation, mais de ne pas relever un manque de transparence dans les informations fournies par le gouvernement sur le volume de déchets concernés.

Mais au-delà de la question de la confiance, c’est celle de l’utilité qui fondait la position des opposants. De fait, un précédent débat, organisé par la CNDP en 2005-2006, avait déjà conclu à la nécessité d’étudier, outre la solution du stockage profond, celle d’un entreposage pérenne des déchets radioactifs en surface. Or celle-ci avait été finalement écartée dans la loi de 2006 relative à la gestion des déchets radioactifs2, sans que ce choix ne soit explicité. Pour les opposants, preuve était faite que tout était décidé par avance et qu’il ne servait à rien de participer à ce nouveau débat public.

La critique quant à l’inutilité de la participation est récurrente lorsque le décideur semble ne pas écouter la parole publique (ici, sur le nucléaire) ou lorsqu’il évite de prendre une position claire, comme ce fut le cas depuis les années 1980 sur le projet Notre-Dame-des-Landes. Le débat public devient alors le lieu d’une contestation radicale, tant d’un projet que d’un mode de décision publique. De tels exemples sont bien la démonstration qu’il ne saurait y avoir de participation réussie si le décideur n’apporte pas la preuve de son engagement sincère dans ce processus.

Ouvrir le débat pour ne pas le tuer

À l’inverse, nombre de débats publics ont été utiles et riches en enseignements. En 2018, la Commission organisait le premier débat sur la programmation pluriannuelle de l’énergie qui doit décliner les objectifs des lois énergétiques. Il était à craindre que ce débat, conclu en juin 2018, ne soit le lieu d’une grande conflictualité à propos du nucléaire, le nouveau gouvernement ayant décidé d’en reporter l’objectif de réduction. À l’inverse, il a permis d’identifier plusieurs points délicats de la politique énergétique, en particulier à travers l’expression de nos concitoyens d’un fort sentiment d’injustice quant au prix à payer pour la transition écologique. Celui qui était alors le président de la Commission et qui était en charge de ce débat avait lui-même parlé d’un risque de « jacquerie fiscale ». Certes, l’alerte n’a pas été entendue par les décideurs, mais nombre d’observateurs ont relevé que le débat avait été l’occasion d’un processus d’identification des écueils dans la transition énergétique. L’efficacité du débat a tenu ici aux choix de la CNDP. Elle avait cerné, lors de la préparation, le fort risque de « noyautage » de la part des « pro » comme des « anti » nucléaire et elle a voulu donner des garanties de neutralité supplémentaires, multipliant les outils participatifs. Réunions d’initiatives locales, débats mobiles, conférences citoyennes, questionnaires, débats numériques…

Les débats ne sont utiles et efficaces que s’ils permettent d’ouvrir le champ des questionnements.

La palette d’outils d’expression a été extrêmement variée. Aucune partie prenante ne pouvait exclure les autres. Étaient aussi garantis la neutralité et le principe d’égalité, particulièrement sensibles dans le domaine de l’énergie. La CNDP a également fait le choix de ne pas se limiter aux questions posées par le gouvernement et de rouvrir tous les champs de questionnement, y compris sur l’opportunité que représente ou non le nucléaire. Là encore, on constate que les débats ne sont utiles et efficaces que s’ils permettent d’élever les questionnements et d’en ouvrir le champ. Limiter ex ante la parole publique est toujours interprété comme un déni de participation, voire de démocratie.

Il ne faut pas avoir peur de se confronter à la parole du public, quitte à remettre en question ses projets. Ceux qui ne voient dans la participation qu’un moyen de convaincre ou une pédagogie seraient surpris de constater que, en réalité, ce n’est pas tant le décideur que le public qui en est le véritable auteur.

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1 Cette ambition est contemporaine de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (1992) puis de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (1998).

2 Loi n° 2006-739 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, Journal officiel, n° 149, 29/06/2006.


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