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Dossier : Savons-nous encore débattre ?

Vive la controverse !

© Beatrice Mamdy / CCFD-Terre Solidaire
© Beatrice Mamdy / CCFD-Terre Solidaire

Réinventer le débat, est-ce faire le deuil d’un consensus à tout prix ? Le CCFD-Terre Solidaire se risque à de nouvelles formes de discussion, en faisant confiance à l’intelligence collective. Retour d’expérience.


Quels sont nos grands questionnements et comment devons-nous en débattre pour préparer l’avenir ? Pour orienter son action, le CCFD-Terre Solidaire cherche à bâtir une méthode de débat la plus participative possible, fondée sur l’intelligence collective. Nous sommes accompagnés, à cette fin, par un prestataire extérieur, l’Institut des futurs souhaitables. Cette démarche innovante, initiée en 2018, doit aboutir, fin 2020, au nouveau rapport d’orientation de l’association qui guidera notre action pour les six ans à venir. Pendant six mois, des ateliers ont été organisés avec les bénévoles, salariés, partenaires et services d’Église liés à l’association, pour converger vers neuf grandes questions précises, stratégiques et polémiques (voir encadré).

Lors de notre dernière assemblée générale, en mai 2019, nous avons présenté et expérimenté la démarche. Pendant près de deux heures, les militants, répartis en groupes de douze, ont débattu d’une question, choisie parmi les neufs. Le programme est ambitieux et les sujets font l’objet de controverses, voire de polémiques… Le terme de « controverse » n’est d’ailleurs pas sans interpeller : dans une organisation où les débats sont animés et ouverts mais où le consensus reste souvent la finalité, parler de controverse est inhabituel.

Bienveillance et humilité

Animatrice d’un des groupes, je commence par poser le cadre du débat et les principes à respecter. Collectivement, nous nous mettons dans une posture d’écoute et de bienveillance pour éviter toute censure et libérer la parole. Chacun part de lui-même, de son histoire, de son expérience et est légitime à exprimer un avis. J’observe le regard de Marie, bénévole en Île-de-France. Elle paraît sceptique quant à sa capacité à répondre à une question qu’elle trouve complexe : le CCFD-Terre Solidaire peut-il agir à la fois en collaboration et en conflit avec les pouvoirs économiques ? Malgré les hésitations, je sens un appétit à débattre et une curiosité quant à la forme proposée. Vient alors la première étape : la recherche d’un positionnement individuel. Chacun se demande ce qui le pousse à répondre oui ou non à la question et travaille ses arguments. S’ensuit un échange par deux, où l’on doit, tour à tour, écouter silencieusement la position de l’autre. Très vite, les participants sont tentés d’intervenir, d’influencer, de marquer les accords et les désaccords. Je l’observe avec Damien et Aurélie, tous deux salariés au CCFD-Terre Solidaire : cette posture d’écoute et d’accueil de la parole est difficile !

9 questions polémiques
pour le CCFD-Terre Solidaire

Pendant six mois, au CCFD-Terre Solidaire, nous avons organisé des sessions de travail entre bénévoles et salariés pour aboutir à neuf questions stratégiques et polémiques. Elles correspondent à des questionnements que notre association estime pertinent d’aborder pour l’aider à définir ses orientations. 

  1. Au CCFD-Terre Solidaire, devons-nous formaliser notre propre modèle de société, notre propre utopie ?
  2.  Sommes-nous responsables de l’évolution de l’Église catholique ?
  3.  Pouvons-nous appeler à la désobéissance civile ?
  4.  Pouvons-nous agir à la fois en collaboration et en conflit avec les pouvoirs économiques ?
  5.  Au CCFD, la lutte contre le patriarcat est-elle plus prioritaire que la lutte contre la faim ?
  6.  Devons-nous intégrer systématiquement la protection de la planète dans toutes nos actions ?
  7.  Devons-nous intégrer systématiquement une dimension spirituelle dans toutes nos actions ?
  8.  Devons-nous mener des projets de transformation économique, écologique et/ou sociale en France ?
  9.  Devons-nous prendre des positions sur des questions franco-françaises ?

Ce n’est qu’ensuite que vient un tour de parole pour exprimer son point de vue et ses arguments. Les participants identifient alors les éléments sur lesquels ils sont collectivement d’accord et ceux sur lesquels ils divergent. Cette deuxième étape ne semble pas aisée pour tous : le plus souvent, en effet, nous débattons pour trouver une réponse dont tout le monde se satisfait, même sans nécessairement parvenir à l’unanimité. Or, ici, le débat ne se clôture pas par un consensus. La « confrontation » conduit à définir son opinion profonde, dépasser ses idées reçues et mieux s’approprier les avis divergents. Elle permet d’être exposé, dans un cadre bienveillant, à des opinions parfois contraires aux nôtres et de voir potentiellement sa pensée évoluer. Nous parvenons finalement à une mosaïque de positions, avec lesquels les participants se sentent à l’aise. Il est nécessaire de faire vivre ces controverses au sein de notre organisation : c’est à partir de toute la matière recueillie que nous serons en capacité de décider en assemblée générale des orientations stratégiques. Ainsi, l’enjeu de l’agrégation des controverses n’est pas de définir les avis majoritaires mais de donner à voir la pluralité d’arguments à verser au moment du discernement collectif.

Notre « unité diverse »

Mouvement citoyen avec, au cœur de son action, l’éducation populaire, notre association souhaite s’appuyer sur son réseau de 15 000 bénévoles et de plus de 150 salariés pour écrire son avenir et son projet commun. Notre pari est d’insuffler au sein de la structure une nouvelle manière de débattre et de prendre des décisions plus horizontales. Nous souhaitons éviter la construction d’un projet qui serait déconnecté de ce qui nous constitue. Notre réseau forme une « unité diverse ». C’est cette multiplicité d’expériences, d’âges, d’expertises, que nous souhaitons rassembler pour mener à bien notre mission de solidarité internationale.

D’autres modes de gouvernance sont possibles, à nous d’en faire la preuve !

Ce choix d’associer étroitement les militants est en résonance avec l’état de nos démocraties. Légitimer à nouveau la parole des citoyens, créer des espaces d’expression avec des modes de gouvernance plus démocratiques, tels sont les défis majeurs d’institutions internationales et de pays où l’on observe une crise de la représentation politique et une montée des populismes. En tant qu’organisation de la société civile rassemblant des milliers de citoyens en faveur d’un monde plus juste et plus solidaire, nous devons en prendre la mesure : d’autres modes de gouvernance sont possibles, à nous d’en faire la preuve !

À travers ces lignes, je voudrais partager mon enthousiasme pour cette démarche inclusive et une certaine fierté à voir mon organisation mettre entre les mains de ses militants le choix de son orientation sans en préfigurer le résultat. L’un des mots d’ordre est bien sûr l’humilité : un processus est amorcé, en espérant qu’il « prenne ». Certes, il peut susciter des craintes : nous ne savons pas ce qui va ressortir des échanges. Nous pouvons parfois présager que l’un des sujets est « mûr » et va aboutir, comme le fait que le CCFD-Terre Solidaire s’investisse sur des modes de désobéissance civile. Mais c’est peut-être faux ! L’un des enjeux majeurs de la démarche réside dans la façon de recueillir toute la richesse des controverses, sans les dénaturer, et d’accompagner le discernement collectif, afin que l’assemblée générale puisse trancher. Car ne doit-on pas avoir sa propre photographie pour décider de l’avenir en conscience ?

 

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