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Les observateurs des élections (présidentielle et législatives) du 28 novembre 2011 en République démocratique du Congo (RDC) ont déploré les défaillances de la Commission électorale nationale indépendante dans la maîtrise de la logistique et de l’administration du scrutin. Le désordre qui a suivi a ouvert la porte à de multiples irrégularités et des fraudes, provoquant des violences et jetant un discrédit sur ces élections.
En 2006, lors des premières élections libres, l’enthousiasme de la population est manifeste. 32 millions d’électeurs sont inscrits et la majorité vote (70 % au premier tour, 65 % au deuxième). Le scrutin a entre autres pour mission de départager les ex-belligérants qui, à l’issue de négociations politiques, s’étaient partagé le pouvoir et l’exerçaient comme par défi. Une même motivation anime les Congolais : l’espoir que le pays se remettra d’une guerre qui, en une décennie, a fait plus de 4 millions de morts et que les élus travailleront à l’amélioration de la condition sociale de la population. Ils se sont trompés…
Depuis 1960, la RDC n’avait pas connu de consultation multipartite. Au lendemain de l’indépendance, le pays bascule dans une grave crise politique pendant laquelle le Premier ministre élu, Patrice Lumumba, est arrêté, déporté et exécuté. Certains de ses partisans entrent en rébellion. Le chaos s’en suit et le 24 novembre 1965, Mobutu organise un coup d’État. Durant trente-deux ans (1965-1997), le pays est dirigé par une dictature kleptocrate, qui ruine un des pays prometteurs du continent. Quand en 1990 le vent de la démocratie souffle sur l’Afrique, les espoirs estompés des indépendances et les frustrations de la dictature sont ravivés. L’avenir est incarné par un mot magique scandé à toutes les occasions : démocratie. Pour beaucoup, cela signifie : « élections libres, démocratiques et transparentes ». L’Église catholique fait de l’éducation électorale sa priorité pastorale. La société civile met en place des coalitions pour un vote utile. Le nombre des partis politiques grimpe en flèche.
Mais les Congolais se rendent compte après 2006 que les élections ne suffisent pas à installer la démocratie et la bonne gouvernance. Vidées de leurs prérequis historiques, elles peuvent être une dangereuse formalité qui met en crise légalité et légitimité. L’analyse du vote montre qu’à côté des raisons exprimées – mettre fin à la guerre, sanctionner les responsables ou ceux considérés comme tels –, la plupart des électeurs s’étaient déterminés selon des accointances partisanes, leur appartenance régionale et par affinité tribale et ethnique1. Ainsi, au premier tour de la présidentielle en 2006, sur les 33 candidats, 25 n’obtenaient même pas 1 % au niveau national, mais recueillaient plus de 80 % dans leur territoire ou leur village. Ces élections témoignaient aussi d’une fracture entre l’Est et l’Ouest du pays. Joseph Kabila ralliait plus de 90 % des votants dans plusieurs provinces de l’Est, tandis que Jean-Pierre Bemba obtenait des taux allant de 60 % à 98 % à l’Ouest, dont 68 % dans la capitale Kinshasa.
Carte I : élection présidentielle 2006 . République démocratique du Congo
BBC et Wikipédia © Kingruedi et Projet
En 2011, les deuxièmes élections (présidentielle et législatives) ont souffert des mêmes maux. Le vote ne s’est pas fait en fonction d’un projet de société avancé par les partis politiques, ni d’un programme de gouvernement, encore moins du bilan des candidats. Et comme la situation sociale ne s’est pas améliorée, certains électeurs se sont montrés simplement pragmatiques, en accordant leur suffrage à ceux qui payaient le plus ou donnaient des cadeaux.
Le taux de participation est descendu à 58 % en 2011. Le retrait de beaucoup est motivé par la désillusion face au « vagabondage politique » (terme consacré depuis 1990, les acteurs politiques congolais passant avec une facilité déconcertante d’un parti à un autre). D’autres affirment que la démocratie ne sert à rien, car elle n’a aucun effet sur le quotidien des citoyens. Nombreux parmi ceux qui ont voté en 2011 n’ont choisi ni la compétence, ni l’expérience. Comme en 2006, Kabila a fait le plein des voix à l’Est. Tshisekedi est majoritaire au centre et à l’extrême Ouest, dans le Bas-Congo et la province de Kinshasa. La surprise est venue du Bandundu (Ouest), basculant dans le camp Kabila avec 73 %.
Il ne faut pas chercher là des forces sociales et politiques organisées, ni l’expression d’une popularité (ou impopularité) fondée sur les faits. Ce clivage révèle un vote non éclairé, un tribalisme primaire, un déficit criant de conscience nationale. De plus, l’inflation du nombre de partis en compétition (plus de 400) et celui de candidats aux législatives (19000 pour 500 sièges), suggère une dérive de la pratique démocratique. Dans ces « élections-loteries », des politiques de toutes les tendances recourent à la corruption et à la fraude pour augmenter leurs chances. La contestation des résultats, les appels à la grève et au boycott font partie des règles du jeu électoral. La confusion règne aux yeux d’une majorité de la population.
Les dernières élections en RDC ont confirmé les ratés de la démocratie en Afrique. Mal comprises, travesties, confisquées, elles sont, dans plus d’un pays, porteuses des gènes du conflit. De toute évidence, si l’on veut construire les nations au-delà des ethnies, une politique digne de ce nom reste à construire et la démocratie à réinventer. Ce chantier commence par une éducation civique et politique renouvelée. Et le chemin à parcourir est encore long et accidenté…