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Comment en êtes-vous venu à travailler sur la question minière en RDC?
Rigobert Minani – À l’époque de Mobutu [1965-1997], les élections libres étaient un doux rêve. Nous étions alors nombreux à être investis dans l’éducation civique et la défense des droits de l’homme. S’en est suivie la guerre, entre 1996 et 2003, puis la mise en place d’un gouvernement d’union nationale qui a organisé les premières élections libres de l’histoire du pays, en 2006. Pour ma génération, ces élections marquaient une ouverture fantastique : enfin nous allions être représentés par un gouvernement et des parlementaires élus, donc redevables envers la population. Mais la désillusion fut grande : le pouvoir politique n’a fait que des promesses, et lui-même a été dupé par celles de la communauté internationale en matière de remises de dettes et de soutien financier. Les trois quarts de l’économie héritée de la colonisation étaient basés sur l’extraction minière, donc nous avons voulu y travailler pour que cette activité bénéficie à la population et à la reconstruction du pays. Or l’essentiel de la production avait été aliénée à travers des contrats léonins.
Qu’avez-vous découvert en cherchant à obtenir la renégociation des contrats miniers ?
Rigobert Minani – Une bonne partie des contrats étaient illégaux. Ils avaient été signés pendant la guerre par des pouvoirs sans légitimité et selon des termes extrêmement déséquilibrés en contradiction avec tous les principes de l’OCDE. Nous avons réussi à faire renégocier 62 contrats, avec le soutien de la société civile internationale. On nous disait que nous allions perdre notre temps et notre argent, mais nous y sommes parvenus. Nous voulions être partie à la renégociation des contrats. Le gouvernement était d’accord, car il y trouvait son avantage, mais les compagnies s’y sont opposées. Finalement, nous avons été présents comme observateurs. Les compagnies n’avaient pas d’argument juridique à opposer car elles n’avaient pas respecté les clauses. Certaines ne disposaient même pas d’un pas-de-porte. La plupart des contrats utilisés avaient été rachetés sur le marché de Londres auprès de petites entreprises qui s’étaient octroyé le droit d’exploiter les minerais, notamment le cobalt et le cuivre du Katanga, en signant avec des acteurs armés sans légitimité. Sur les 62 contrats dénoncés, 46 sont pratiquement tombés d’eux-mêmes, tellement la faiblesse de leur fondement juridique était manifeste. De notre côté, nous avons étudié de près les réserves en cause, la teneur en minerai pour chaque contrat et nous avons publié le résultat de cette enquête. Ce travail nous a permis de suivre la renégociation de façon plus qualifiée. À ce jour, deux contrats sont encore devant les tribunaux, dont l’un avec First Quantum, dont le siège est au Canada. Dans l’ensemble, les nouveaux contrats nous paraissent acceptables. Encore faudrait-il que la RDC soit capable de gérer sa propre fiscalité. Or celle-ci est archaïque et l’on ne parvient pas toujours à faire entrer les recettes. Rien n’est informatisé; l’argent circule de poche en poche. Il faudrait qu’on sache où passe l’argent. C’est le combat que nous menons avec la campagne « Publiez ce que vous payez » : il est aujourd’hui impossible de tracer ce que l’État reçoit, sans parler de la corruption.
Quelle était la part des entreprises multinationales dans ces contrats ?
Rigobert Minani – Pour se financer, pendant la guerre, les rebelles ont bradé les mines. Puis, par-derrière, les multinationales rachetaient les contrats en bourse. Ainsi, une petite mine peut valoir 300 à 500 millions de dollars, mais la rébellion l’aura bradée à 50 millions, ce qui pour elle représente déjà une somme colossale. On trouve une kalachnikov pour 20 dollars, et il faut compter 5 dollars par jour pour un enfant soldat, donc une concession minière peut permettre de monter une armée de 10000 personnes.
L’exploitation minière est-elle à l’origine, selon vous, d’une privatisation de la violence ?
Rigobert Minani – De façon générale, les gens riches ont de plus en plus recours à des groupes de sécurité privée, en particulier le G41. Autour des minerais, le rapport de l’Onu en 2001 parlait carrément d’une criminalité organisée ayant pour enjeu l’or, l’argent… Ces groupes sont toujours présents dans l’est du pays. Il y a une forte implication des réseaux mafieux du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda. Le Desk Congo est au service direct de Paul Kagamé [président du Rwanda], mais il est aujourd’hui exilé en Afrique du Sud. En Ouganda, le président Museveni avait donné à ses généraux des droits d’exploitation en RDC, notamment le monopole sur Kisangani! Les accords de paix ont été signés en 2003, mais les groupes rebelles se sont multipliés. À présent, nous sommes dans une situation de « ni paix, ni guerre ». Et les États de la région nourrissent cette instabilité. On s’étonne que le Rwanda soit devenu le plus grand exportateur d’or de la région, alors qu’il n’en a pas dans son sous-sol! Nous cherchons aujourd’hui à améliorer la traçabilité des minerais, afin de lutter contre les « ressources de conflit ». On note quelques progrès, par exemple l’« Obama Bill »2. Mais les sentiers sont sinueux à travers les montagnes, ce qui rend la traçabilité pour le moins aléatoire.
Quelle appréciation portez-vous quant au rôle de l’État dans la gestion de ces richesses ?
Rigobert Minani – L’État peut être perçu comme l’instrument de captation de la richesse par une minorité : certains groupes s’enrichissent considérablement. On n’a pas réussi à en faire un outil au service de l’intérêt général. Il souffre de détournements massifs. Le niveau de vie de la population continue de diminuer, malgré les allègements de dette, malgré les rentrées induites par l’exploitation minière. Les dépenses politiques dépassent les dépenses pour la population. La corruption est endémique, et les entreprises profitent de cette faiblesse étatique. Elles entretiennent des amitiés personnelles. Ainsi, l’entreprise américaine Tenke Fungurume Mining a engagé l’ancien conseiller politique de Désiré Kabila et ancien ambassadeur de la RDC aux Nations unies… ainsi que le conseiller politique de l’ambassade américaine à Kinshasa.
Diriez-vous, dans ce contexte, que la mondialisation est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la RDC ?
Rigobert Minani – La mondialisation est une très mauvaise nouvelle. Elle se traduit par une ruée vers les ressources naturelles. Les investisseurs étrangers cherchent à engranger des gains toujours plus importants, tout en diminuant les coûts, les investissements, en contournant les normes sur le rapatriement des bénéfices… Les codes miniers ne sont pas respectés. L’impact environnemental est trop souvent ignoré. Les évaluations censées être réalisées ex ante ne le sont pas, ou les études sont biaisées. In fine, les retombées pour la population locale sont minimes.
Ce schéma d’une Afrique réservoir de matières premières pour le reste du monde renvoie à l’époque coloniale. Le rapport de force n’a-t-il pas évolué en faveur des dirigeants africains, qui peuvent mettre en concurrence les puissances étrangères ?
Rigobert Minani – Le pouvoir de négociation des États africains s’est en effet renforcé par rapport au passé, grâce à l’apparition sur la scène internationale de nouveaux interlocuteurs : la Chine, la Corée… Mais ce n’est que la moitié du chemin si on ne contraint pas l’État à investir pour la population. Par exemple, la rente pétrolière de l’Angola est confisquée par les chefs militaires; au Nigeria le partage n’a jamais été fait; le Congo-Brazzaville s’est hissé au troisième rang de la production pétrolière en Afrique subsaharienne, mais la pauvreté continue… En réalité, ce pouvoir des dirigeants africains est un pouvoir par procuration. Certains Ivoiriens appellent leur nouveau président, Alassane Ouattara, le « gouverneur ». Mais la procuration n’est plus celle donnée par des États. Il existait en France un « Monsieur Afrique ». Aujourd’hui, ce sont les multinationales qui imposent leur point de vue. L’intervention française en Côte d’Ivoire me semble d’ailleurs être une grosse erreur, dans un conflit à plusieurs paramètres : elle rend le pays ingouvernable. Nous en avons fait l’expérience en RDC. Quant à la motivation de l’intervention française, j’estime que chaque fois qu’un État mobilise des moyens militaires, y compris son armée, ce n’est pas par charité.
Avec la raréfaction des ressources, la ruée vers les matières premières dont est victime la RDC risque de s’accélérer. La dépendance aux ressources naturelles est-elle inéluctable ?
Rigobert Minani – Je ne vois guère d’amélioration à l’horizon. Au Cepas [Centre d’études pour l’action sociale ], après notre désillusion sur ce que pourraient apporter les ressources minières dans un environnement de globalisation, certains collègues pensent que l’on devrait orienter l’effort de la population et du gouvernement dans l’agriculture pour atteindre la sécurité alimentaire. Cette approche me laisse dubitatif. La globalisation est une force qui influence tous les domaines. Actuellement, à Kinshasa, le riz de Thaïlande coûte moins cher que celui du Manièma au centre du pays, où les paysans ont dû arrêter la production. Selon moi, il faut d’abord créer un État effectif et performant capable de négocier avec les puissances internationales d’argent. La RDC a les capacités de devenir un État émergent, il faut qu’elle s’en donne les moyens. Mais pour que les pouvoirs publics négocient pour le bien des populations, il faut faire progresser la démocratie et d’abord les valeurs démocratiques elles-mêmes : dire aux populations leurs droits, afin qu’elles puissent se défendre. Les États ne le feront pas.
Croyez-vous à l’émergence d’une société civile capable de faire contrepoids aux multinationales ?
Rigobert Minani – Les assassinats de militants des droits humains, de journalistes et de leaders d’opinion sont de plus en plus courants dans nos pays. Le 9 avril 2009, au Burundi, Ernest Manirumva a été assassiné. Il dénonçait un réseau de corruption. Le 2 juin 2010, ce fut le tour de Floribert Chebeya, connu pour son combat pour les droits humains en RDC. Au Katanga, la société civile de Kitwe a intenté un procès contre la compagnie canadienne Envil mining, qu’elle accuse d’avoir fourni la logistique pour assassiner des paysans… C’est un combat à haut risque, mais c’est le mien depuis plus de vingt ans. L’enjeu est de former une société civile capable d’accompagner les combats de la population et son aspiration à plus de justice. Faute de quoi, il n’y a pas d’avenir. Au niveau international, on voit se lever un mouvement dans ce sens. Le printemps arabe fera des émules si le déséquilibre mondial continue. Face à une population organisée, les multinationales sont faibles. Jusqu’à présent, elles menacent de se délocaliser si elles sont coincées. Mais viendra un moment où il n’y aura plus de pays où se réfugier.
Propos recueillis à Genève par Jean Merckaert, le 26 août 2011.
1 / . G4S, Group 4 Securicor, multinationale britannique née de la fusion des entreprises groupe 4 Falck et Securicor plc, est un des leaders mondiaux des services de sécurité. Elle emploie plus de 430 000 employés dans 110 pays [ndlr].
2 / . En référence à la loi Dodd-Frank, adoptée en juillet 2010 par le Congrès américain, qui oblige les entreprises qui acquièrent des minerais en provenance de RDC à s’assurer qu’ils ne servent pas à financer des groupes armés [ndlr].