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Dossier : Pourquoi vote-t-on encore ?

Le politique n'est pas soluble dans la communication


RésuméEntretien – Pour quoi vote-t-on à la présidentielle : pour un projet, une personne, un rêve? « Cette élection, majeure chez nous, est la plus difficile de toutes. J’admire les personnalités qui se soumettent à cette épreuve. Et les Français s’y intéressent. Non seulement parce qu’ils aiment la politique, mais parce qu’ils y croient. Même si le résultat est toujours plus décevant que les promesses, ils pensent que cela peut changer les choses. Ce qui est formidable, c’est que lorsqu’une génération est fatiguée par la politique, la suivante prend le relais. »

Pour quoi vote-t-on à la présidentielle : pour un projet, une personne, un rêve?

Dominique Wolton – Cette élection, majeure chez nous, est la plus difficile de toutes. J’admire les personnalités qui se soumettent à cette épreuve. Et les Français s’y intéressent. Non seulement parce qu’ils aiment la politique, mais parce qu’ils y croient. Même si le résultat est toujours plus décevant que les promesses, ils pensent que cela peut changer les choses. Ce qui est formidable, c’est que lorsqu’une génération est fatiguée par la politique, la suivante prend le relais. Or tant qu’il y a des affrontements idéologiques, ce moteur ne s’arrêtera pas. C’est le fondement de la vie sociale.

Si la présidentielle se réduisait à un catalogue de propositions dont la crédibilité dépendait de leur chiffrage, ce serait une tragédie. Qu’une certaine rationalité budgétaire s’impose, soit, mais si les candidats s’interdisent toute proposition utopique sur d’autres registres – les rapports humains, familiaux, l’âge, l’urbanisation, la vie à la campagne, la régulation de la mondialisation… –, la politique aurait été phagocytée par l’économie. Or elle consiste à relancer en permanence des utopies! Cette élection va servir de test. Depuis trente ans, les « lois » de l’économie s’imposent à la politique. On voit le résultat… Il faut l’inverse.

L’appétit pour la politique risque-t-il de faiblir en période de crise?

Dominique Wolton – Je ne crois pas. La baisse de participation s’interprète de trois manières. Les plus pauvres et les immigrés, exclus du champ médiatique et politique, ne sont plus représentés. D’autres peuvent se retirer ou se retrouver « ailleurs », parce qu’écœurés par le décalage entre les promesses et les résultats. L’abstention est enfin une manière de manifester une opposition à la politique existante.

La politique est surtout le fait des classes moyennes. Or une période de crise suscite une colère sociale immense, jusqu’à présent mal relayée. Paradoxalement, Marine Le Pen s’en est mieux emparée que les autres candidats, qui affichent un petit côté nanti. Si un homme politique de droite, du centre ou de la gauche républicaine n’est pas capable de couvrir tout le champ de la société, y compris les plus pauvres et les exclus, le risque est grand d’une société à deux vitesses et d’une abstention généralisée. Mais je suis optimiste : la colère grandissante contre les banquiers et les économistes peut appeler au contraire plus de politique.

Quelle attention les électeurs accordent-ils aux enjeux de fond par rapport à la personnalité des candidats?

Dominique Wolton – Il ne faut jamais prendre les électeurs pour des imbéciles. Ce sont eux qui votent. Pourquoi fonde-t-on la légitimité sur leur vote si on pense qu’ils sont manipulés? La personnalisation du débat est inévitable compte tenu de la complexité des problèmes, mais elle n’exclut pas l’affrontement idéologique. Depuis 1962, la présidentielle française a toujours donné lieu à ce type d’opposition. Par moments, la personnalisation semble l’emporter, mais quand il y a une crise, on retrouve assez vite les axes idéologiques. Encore faut-il qu’on évite de brouiller les cartes. Nicolas Sarkozy s’y est essayé, sans grand succès : les frontières idéologiques ne se franchissent pas si facilement. Les vieux pays démocratiques ont créé un vocabulaire permettant à leurs citoyens de se retrouver dans certaines valeurs (laïcité, justice sociale) qui structurent le champ symbolique et politique.

En revanche, je suis sévère à l’égard du populisme. L’Europe compte 18 partis de ce type : les trois premiers sont dans le nord de l’Europe, le Front national est le 4e. Le populisme ne peut se développer que sur le terreau de l’abandon des milieux populaires par la droite et par la gauche. Populaire et populisme ne sont pas synonymes. L’électorat populaire est au fondement de la société, il a sa culture, ses valeurs et ses traditions. Le populisme, c’est l’exclusion, le rejet, la stigmatisation d’un camp ennemi. Il se nourrit d’une révolte, mais d’une révolte négative. Il n’y a plus de participation possible. Aujourd’hui, il est compliqué à comprendre et à combattre. Le condamner est également insuffisant. Le populisme, dans sa lenteur à se former, à s’exprimer et la difficulté à être combattu, rappelle l’importance du temps dans la politique.

Depuis la première élection présidentielle au suffrage universel, comment évolue le paysage de la communication politique ?

Trois logiques se croisent : les médias, l’opinion publique et les acteurs politiques. Depuis cinquante ans, on assiste à la baisse d’influence de ces derniers. Les médias ont pris beaucoup de pouvoir, avec un triste paradoxe : plus ils sont nombreux, plus ils disent la même chose. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de « tuyaux », y compris sur internet, mais pas plus de diversité! La concentration des médias et la « pipolisation » du journalisme y sont pour beaucoup. Les acteurs politiques, pourtant les seuls à avoir la responsabilité de l’action, n’ont plus qu’un centre d’intérêt : les sondages. Les sondeurs ont pris une influence excessive. Aujourd’hui, le triangle est déséquilibré. C’est au moment où la politique est le plus nécessaire qu’elle est la plus fragilisée. Il est urgent de la revaloriser.

Votre regard sur les médias est sévère…

Dominique Wolton – La presse a tous les droits… La défendre depuis trente ans n’interdit pas un regard critique! Les médias s’intéressent trop à eux-mêmes. Les journalistes sont placardés dans toutes les villes. Pourquoi les plus connus cumulent-ils les « éditos » de plusieurs médias à la fois? Pour le lancement de la version française du Huffington Post [le 23 janvier 2012], il y avait 250 journalistes, dont 50 étrangers, à la conférence de presse d’Anne Sinclair. Voyez aussi tous ces journalistes qui pensent que Twitter est incontournable. La force de Twitter, c’est d’envoyer encore plus vite un plus grand nombre d’informations (144 caractères maximum) au plus de destinataires possibles. Mais cette obsession de la réaction en direct est un non-sens. Réagir à chaud vous fait-il avoir une meilleure intelligence de la situation? Le direct est un progrès, mais aussi une tyrannie. Ce jeu, au bout d’un moment, intoxique tous ceux qui y cèdent. Au meeting de François Hollande au Bourget, 60 % des gens du « carré VIP » passaient leur temps à « tweeter », la plupart du temps pour réagir à leurs propres « tweets ». Il y a une idéologie de la vitesse qui tourne au narcissisme le plus débridé. Comme si tout ce que pense chacun était intéressant à dire tout de suite à tout le monde! Par définition, la réflexion demande du temps, du décalage, du silence. Que nous apprennent l’histoire et les militaires? Qu’on ne voit rien quand on a le nez sur l’événement. On est dans l’idéologie inverse : plus on a le nez sur l’événement, plus on pense que l’on comprend.

Quelle distinction faites-vous entre les différents médias?

Dominique Wolton – Tout le monde s’est emballé pour les nouvelles technologies. Mais comme elles relèvent d’une logique individualisée, elles ont segmenté et fragmenté. S’exprimer et critiquer plus facilement est un progrès, à condition de maintenir l’idée que produire de l’information est un autre métier. Le journaliste ne peut pas passer son temps derrière l’ordinateur et le citoyen-critique n’est pas pour autant un citoyen-journaliste. Et attention à cette idéologie du justicier. La radio, la télévision et la presse généralistes ont le mérite de faire coexister dans les programmes des goûts différents. Les Français, d’ailleurs, plébiscitent la radio [43 millions l’écoutent quotidiennement en 2011] – nos radios généralistes privées et publiques sont parmi les meilleures au monde! Mais la radio et la télévision n’ont jamais été jugées « légitimes », hélas. Les élites sont les premières à les critiquer et à adorer internet, même si elles ne refusent jamais une invitation à la radio ou à la télévision. Penser que l’on serait passif avec la radio et la télé et actif sur internet relève du contresens. Lire le journal, écouter la radio, regarder la télévision ou être sur un clavier, cela fait toujours réfléchir. L’idéologie actuelle ne valorise que ce qui est sur écran. On a pourtant besoin de tous les médias pour créer du lien social, et surtout pour faire cohabiter des milieux sociaux différents, pour s’ouvrir sur le monde et comprendre des sociétés de plus en plus complexes et qui changent très difficilement.

Internet ne permet-il pas cependant de s’affranchir du formatage des campagnes électorales, lié au rôle accru des agences de communication?

Dominique Wolton – Certains voudraient tout savoir sur les coulisses de l’élection présidentielle. Mais il n’y a pas de secret caché! Les candidats sont des personnes qui se battent pour le pouvoir. Mais, paradoxe, plus nous avons accès à l’information publique, plus nous soupçonnons qu’il y a une information secrète que l’on nous cache! L’homme est un animal méfiant. L’extension de l’information démocratique amplifie la vision paranoïaque du monde au lieu de la calmer.

Il ne faut pas surestimer non plus le rôle des agences de communication. Une élection présidentielle est un exercice très compliqué. Les électeurs vont-ils se déplacer? Le communicant doit rester modeste. Ce n’est pas la com’ qui fait adhérer au programme de tel candidat. C’est l’impression que ce candidat incarne les valeurs que nous portons et peut aborder honnêtement les problèmes du moment. Penser que les agences de com’ font l’élection, c’est prendre les gens pour des imbéciles. D’ailleurs, il faut réhabiliter la notion de communication. Je lutte contre l’idéologie de certains journalistes qui estiment l’information, mais considèrent la communication méprisable. On ne peut pas les dissocier : l’information, c’est le message et la communication, c’est la relation à l’autre. Quand un journaliste essaie d’être clair et compris, il fait de la communication. Vous n’avez pas de relation sans message, encore moins de message sans relation. En plus, le mot communication a une résonance politique forte : communiquer, c’est faire confiance à l’autre. C’est exactement la définition du citoyen.

Le formatage de la communication n’a-t-il pas atteint son apogée avec Nicolas Sarkozy, ou quand les agences canalisent les images de François Hollande?

Dominique Wolton – En meeting, vous ne pensez pas à la com’ : vous essayez d’être bon. Mais il n’est pas normal que le Parti socialiste et l’UMP revendent leurs propres images. C’est une déformation et une illusion de contrôle. Produire vos images ne garantit pas que les millions de spectateurs les croiront davantage! Il y a un problème de territoire et de légitimité : produire de la communication et la distribuer, c’est le rôle des médias, pas celui des acteurs politiques. Quant à Nicolas Sarkozy, c’est un extraverti qui s’est réalisé dans la communication. Les agences ont pu lui donner des conseils, mais à la marge. Et voyez l’effet boomerang. Son élasticité de conviction est faible. La confiance est le mystère et le capital de la politique. Elle ne se gagne pas par la com’, qui au contraire peut contribuer à la détruire. À droite, comme à gauche. Verdict dans les urnes le 6 mai prochain.

Plus largement, lors d’une campagne, on ne sait pas par avance si ce sont les acteurs politiques, l’opinion ou les médias qui vont l’emporter, et encore moins sur quels thèmes l’affrontement va se condenser. Une présidentielle peut se jouer sur des questions mineures. Certains thèmes peuvent d’abord s’imposer, puis tomber dans l’oubli. Un dérapage verbal, un événement peut surgir. Voilà le mystère : sur quoi se cristallise l’affrontement? Aujourd’hui [24 janvier 2012], ni les candidats, ni les spécialistes en com’, ni les médias ne savent sur quoi l’élection va se jouer. D’autant que pour Raymond Aron : « Le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable. » Faire de la politique est un exercice extrêmement ardu dès lors qu’il faut tenir le cap dans un environnement totalement incertain. Et beaucoup plus qu’hier, car tout le monde voit et critique tout. En cela les médias sont impitoyables.

Les acteurs politiques prêtent attention aux sondages, c’est vrai. Cependant, la grandeur du métier de l’homme politique, comme celle du journaliste, ce n’est pas de dire aux gens ce qu’ils veulent entendre, mais d’oser aller à leur encontre. Rappelons le choix de François Mitterrand d’imposer l’abolition de la peine de mort. Le démagogue, lui, ne peut faire illusion qu’un temps, mais pas dans la durée. La politique, c’est avant tout du courage, car c’est toujours l’enjeu de la paix et de la guerre.


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