Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Maxime s’installe devant son ordinateur, ouvre sa session puis sa messagerie. Il est gestionnaire des achats dans l’entreprise « Hortus Lyon ». Son chef de service lui a envoyé ce matin des emails lui demandant de créer, sur le progiciel de gestion intégré Open ERP, une commande de trois palmiers et deux hortensias destinée au fournisseur « Touvert ». Un autre message lui demande de réaliser un tableau avec un graphique sur les achats des trois derniers mois de son entreprise sur tableur Excel. Il doit encore rédiger un email destiné au fournisseur « Aufleur » pour lui indiquer une erreur de livraison. Pour réaliser ces tâches, Maxime a des fiches procédures et des modes opératoires propres à chaque logiciel. Il doit mettre le travail réalisé dans un dossier destiné au chef de service qui le contrôle régulièrement. Si le travail est professionnel (sans erreur), il sera classé. Sinon, il devra être modifié. Maxime a deux collègues : un gestionnaire des ventes et un responsable administratif. Ils ont tous des tâches différentes à effectuer en respectant un délai défini. Hortus Lyon est une filiale du groupe « Hortus France » qui chapeaute neuf filiales, comprenant trois employés chacune.
Ma collègue enseignante et moi-même sommes ainsi à la tête du groupe Hortus France : une société virtuelle qui permet à nos vingt-sept élèves d’être en situation professionnelle. Grâce à cette simulation, les élèves sont actifs en cours. À eux de se prendre en main pour aller lire leurs messages, effectuer les tâches en consultant les fiches ressources sur les logiciels et rendre le travail demandé. Comme ils sont là pour apprendre, leur travail n’est pas noté mais modifié. Lors de la séance suivante, ils devront reprendre les éléments à améliorer et arriver petit à petit à un travail professionnel. Ce scénario se développe sur quatre à cinq semaines et les rôles changent. Sur une année scolaire, chaque élève peut ainsi répondre aux situations professionnelles visées par le référentiel du bac professionnel « gestion administration ».
Pour chaque activité, l’élève rédige une fiche pour la décrire et l’analyser : contexte, moyens, démarche, résultat obtenu, difficultés rencontrées. Ces fiches sont réalisées sur un logiciel, Cerise Pro, qui regroupe toutes les compétences acquises par l’élève pendant ces trois années de formation dans un passeport professionnel. Quant un scénario s’achève, chaque élève nous remet un dossier papier comprenant tous les travaux réalisés accompagnés des fiches descriptives. Ce dossier est évalué.
L’élève « joue » avec son ordinateur, simule un rôle futur, pour acquérir petit à petit une attitude professionnelle.
Cette nouvelle pédagogie bouleverse la fonction traditionnelle de l’enseignant : il n’est plus celui qui transmet le savoir, celui qui parle et que l’élève écoute. Fini le temps des livres, des « Faites-moi l’exercice page tant ! », des leçons à apprendre et à réciter… L’élève « joue » avec son ordinateur, simule un rôle futur, pour acquérir petit à petit une attitude professionnelle. Il découvre des logiciels, il apprend à lire des consignes et à réaliser des travaux concrets (commande, email…). Un courrier avec des fautes n’est pas acceptable. Le professeur de français est parfois présent pour aider l’élève à repérer ses lacunes en orthographe et en syntaxe. Petit à petit, le lycéen devient un « pro ». C’est possible ! Avec ma classe de Terminale (vingt-trois élèves), nous sommes arrivés cette année à une relative autonomie des élèves. Mais que d’énergie !
Pour que les élèves deviennent autonomes, il faut savoir prévoir les pannes d’ordinateur, d’imprimante, les problèmes avec les logiciels (les élèves savent mieux que nous gérer l’informatique et « créer » des bugs). Pour qu’ils rentrent dans leur rôle, nous devons nous adresser à eux comme s’ils étaient des employés. Mais ils restent encore jeunes ! Il faut gérer l’absentéisme et surtout créer des situations professionnelles concrètes, différentes et évaluables. Car la difficulté de cette pédagogie est l’évaluation. On ne peut pas se leurrer : les élèves ne travaillent que s’ils sont notés ! Mais comment évaluer un travail réalisé plus ou moins en groupe, quand certains savent très bien avoir recours au « copié collé » via internet ? Comment savoir si la compétence est vraiment acquise ou s’il elle est « bidouillée » ? Les élèves apprécient cette méthode d’apprentissage plutôt ludique – même si certains regrettent le temps où ils pouvaient dormir à côté du radiateur. Est-elle efficace ? Je manque encore de recul pour le dire. Mais j’ai acquis une certitude : le rôle de l’enseignant change, il faut être en veille permanente afin de s’adapter à une nouvelle forme d’esprit.