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Dossier : Quel travail sans croissance ?

Réinventons notre modèle social

©Aurore Chaillou/Revue Projet
©Aurore Chaillou/Revue Projet
On ne travaille pas assez ? Les règles sont trop protectrices ? Les chômeurs coupables ? Les 35 heures un échec ? L’Europe doit se plier aux impératifs de l’austérité et se serrer la ceinture ? Anousheh Karvar bat en brèche ces idées reçues. Et appelle à tirer parti de la crise pour réinventer ensemble une économie de modération et de partage.

La réduction du temps de travail est sortie des radars du débat public. Pourtant, les statistiques publiques sont formelles : elle est à l’œuvre en France (la réduction des salaires aussi), mais de manière « sauvage ». La dernière livraison de l’enquête « Emploi et salaires » de l’Insee dresse un tableau édifiant de la situation : état très dégradé du marché du travail, pertes importantes d’emplois marchands, ralentissement salarial et baisse du pouvoir d’achat (y compris des fonctionnaires), développement de la précarité de l’emploi des seniors, déclassement des agents de l’État... L’Unédic (chargée de gérer l’assurance chômage) indique qu’environ 50 % des chômeurs indemnisés alternent périodes de chômage et d’activité réduite. Sur 35 millions de déclarations d’embauche en 2011, l’on compte 20 millions de contrats de travail temporaire (intérim) et 10 millions de CDD. Les statistiques révèlent ainsi des frontières de plus en plus poreuses entre travail et inactivité. Une main-d’œuvre fragilisée, en attente de travail, grossit chaque jour les rangs du « précariat », nouvelle armée de réserve du capitalisme postindustriel1.

Bienvenue dans l’ère du précariat

Avec un chômage moins visible mais plus insidieux, les intérimaires sont les variables d’ajustement des cycles de l’activité économique. La durée moyenne de leurs missions reste inférieure à neuf jours, un quart d’entre elles ne dépassant pas la journée. Si, pour ces salariés jetables, la probabilité de conserver son emploi d’une mission à l’autre était de 80 % lors de l’embellie économique de 2011, elle est tombée à 76 % entre le deuxième et le troisième trimestre 2012. CDD et contrats en intérim sont les premiers à ne pas être renouvelés en cas de ralentissement. La proportion faussement rassurante de 98 % des CDI conservant leur poste d’une année à l’autre dissimule de nombreux contrats de chantier et autres CDI temporaires, pour lesquels moins de 20 % des titulaires se retrouveraient un an plus tard dans un emploi permanent.

Une main-d’œuvre en attente de travail grossit chaque jour les rangs du « précariat », nouvelle armée de réserve du capitalisme postindustriel.

À ce tableau s’ajoutent les salariés à temps partiel : environ 19 % en 2011, soit près de 4,2 millions de personnes, principalement des femmes (8 sur 10) travaillant dans le tertiaire (9 sur 10). Un salarié à temps partiel sur trois déclare travailler moins (23 heures par semaine en moyenne) faute d’avoir trouvé un temps complet (39,6 heures en moyenne). Plus faiblement diplômés, plus jeunes et occupant des postes non qualifiés, les salariés « contraints » au temps partiel connaissent aussi une plus forte récurrence du chômage et un moindre accès à la formation. En revanche, ceux qui ont « choisi » d’exercer leur temps partiel ont des conditions d’emploi proches des salariés à temps complet. Les deux catégories perçoivent bien sûr de moindres rémunérations. Ils ne parviennent pas toujours à accéder à l’assurance maladie ou à valider des trimestres pour leur pension de retraite. Les banques leur ouvrent difficilement l’accès au crédit et les bailleurs celui au logement locatif.

L’insécurité dans l’emploi, qui touchait hier les secteurs sensibles aux variations de la conjoncture comme le bâtiment et l’industrie, s’étend progressivement aux salariés du commerce. Ceux-ci pratiquent des amplitudes horaires importantes pour satisfaire les clients, que ce soit dans les centres d’appels, les services à la personne (comme celles des assistantes maternelles) ou encore des services à horaires décalés (nettoyage par exemple).

La précarité reste toutefois concentrée sur la classe d’âge des 20-24 ans, notamment les 20 % de cette catégorie sortis de l’école sans diplôme ni qualification. Quand ces jeunes, à qui aucun mécanisme de rattrapage n’est proposé, finissent par accéder à l’emploi, la plupart rejoignent les rangs des actifs peu qualifiés et des travailleurs pauvres dont on peut prévoir l’augmentation continue en raison de la persistance du chômage. Dans un pays où le lien entre statut social et réussite scolaire est très étroit, obtenir un diplôme après avoir quitté le système scolaire est rare. Quand ces bataillons de salariés précaires pourront-ils espérer décrocher le sésame d’un CDI à temps plein ? Le témoignage de David, jeune ouvrier intérimaire d’un sous-traitant de Peugeot, est relaté par Florence Aubenas dans Le Monde : « C’est con comme le loto, mais on se dit pourquoi pas moi ? » Et Aubenas de conclure : « Ce qui était une fatalité pour les pères, devient un rêve pour les fils. »

Salariés sous pression

Au travail, les salariés sont soumis à des exigences de productivité de plus en plus fortes. À l’usure du corps du travail manuel ou physique s’ajoutent les « soucis » des activités de service. L’intensification du travail se traduit par une augmentation des cadences et des problèmes que chacun doit résoudre, une demande de responsabilité croissante engendrant le sentiment d’être seul2, de « ravaler » son métier et de bâcler le travail.

L’enquête « Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels » réalisée par le ministère du Travail a, pour la première fois en 2010, évalué à 12 % la proportion des salariés qui, au cours des douze mois précédant l’enquête, ont interrompu ou refusé une tâche pour préserver leur santé ou leur sécurité. Les mêmes sont exposés à davantage de risques professionnels et ont plus d’accidents de travail. Pour les auteurs de l’enquête, ces situations tiennent tout autant à la nature du poste qu’à l’organisation du travail et aux relations sociales avec les collègues, les supérieurs hiérarchiques ou le public. Les interruptions ou le refus d’une tâche pour des raisons de sécurité surviennent dans tous les secteurs, concernent tous les statuts d’emploi, toutes les catégories socioprofessionnelles.

Les interruptions ou le refus d’une tâche pour raison de sécurité concernent tous les secteurs et toutes les catégories socioprofessionnelles.

Les plus exposés sont des salariés exerçant de façon isolée des métiers de service physiquement et psychologiquement exigeants ; des salariés harcelés qui se sentent mal dans leur travail, en conflit avec leur hiérarchie ou leurs collègues ; ceux du secteur de la santé, de l’action sociale ou de la sécurité qui, en contact avec le public, se sentent agressés ; les ouvriers de métier exerçant des métiers pénibles et dangereux, des OS fragilisés effectuant un travail industriel et très encadré ; des salariés stressés subissant les revers de l’autonomie et des responsabilités ; enfin, catégorie plus floue, ceux peu exposés, déresponsabilisés ou limités dans leurs activités à cause d’un problème de santé…

Insécurisés, les salariés se sentent aussi vulnérables face aux changements d’organisation. La crainte du licenciement, des délocalisations ou simplement de changements d’horaires les empêche de se projeter dans l’avenir. Une impossibilité source de démotivation et de désinvestissement.

Sortir du discours culpabilisateur

Fortement fragilisées dans l’emploi comme au travail, ces franges de nos concitoyens sont aussi déstabilisées par le discours ambiant sur la crise. La croissance ne repart pas ? La faiblesse de leur consommation est en cause. Les entreprises n’arrivent pas à s’approvisionner en crédits ? Leur comportement d’épargne en est l’origine. Pis, dans la « guerre économique » qui nous oppose aux pays émergents et autres pays exportateurs, ces salariés seraient un handicap majeur pour l’économie française. Les plus âgés seraient bardés d’avantages acquis et peu enclins au changement pour aider à se positionner sur les segments les plus productifs. Les plus jeunes, incapables de réussir à l’école, seraient peu motivés à investir davantage le travail. Pères comme fils, ils ne seraient pas adaptables aux besoins de la concurrence internationale. Ils seraient pessimistes alors qu’on leur demande de se battre. Ils seraient déboussolés alors qu’ils devraient reprendre leur destin en main et se lancer à la conquête des marchés… Bref, tout un pan du corps social serait sans élan vital et traumatisé par la mondialisation. La rigidité des règles qui le protègent serait même un facteur essentiel de la dégradation de la compétitivité française, de son manque d’attractivité pour les investisseurs étrangers. Pour les salariés français, habitués à un État-providence généreux, serait donc arrivée l’heure des réformes structurelles courageuses et des choix douloureux mais inévitables…

En sécurisant le retour sur investissement des actionnaires à des niveaux élevés, l’entreprise reporte les risques de son activité sur les salariés.

Cette dégradation des formes d’emploi et des conditions de travail, assortie d’un discours dominant guerrier et culpabilisateur, trouve ses origines dans la financiarisation de l’économie. Celle-ci a modifié la fonction de l’entreprise, devenue l’outil de rémunération des actionnaires. La priorité à la rentabilité immédiate influence le choix des productions et des services. Elle provoque la compression des coûts du travail et réduit le pouvoir de négociation des travailleurs pour réclamer de meilleures conditions d’emploi et un meilleur salaire. En sécurisant le retour sur investissement des actionnaires à des niveaux élevés, l’entreprise reporte les risques de son activité sur les salariés. Les conséquences en termes de transferts sociaux (assurance chômage, assurance maladie, minima sociaux), dont le financement est intrinsèquement lié au travail, sont supportées, en fin de compte, par l’ensemble de la société.

Les politiques, y compris les partisans d’une économie régulée, semblent impuissants face à cette tendance de fond. Pourtant, comment ne pas voir, dans la déferlante des crises depuis 2008, l’incapacité du marché à structurer, par sa dynamique propre, l’ensemble de l’organisation matérielle de nos sociétés ? Comment ne pas voir, dans la persistance et l’approfondissement de ces crises, une invitation à cesser de regarder le travail comme le carburant d’une consommation qui, en réalité, détruit la planète ? Une incitation à imaginer des solutions originales à la dégradation des situations et des conditions du travail ? Quelques jalons permettent d’ores et déjà d’esquisser ce new deal dans une économie de modération et de partage.

Pour un partage ordonné du travail

Le « travail décent » est un concept avec lequel l’Organisation internationale du travail propose un cadre de régulation sociale valable pour les pays en développement comme pour les démocraties avancées. Il s’agit de garantir à tout salarié la possibilité d’exercer un travail productif et convenablement rémunéré, assorti de conditions de sécurité sur le lieu de travail et d’une protection sociale pour sa famille. Le travail décent donne aux individus la possibilité de s’épanouir et de s’insérer dans la société, ainsi que la liberté d’exprimer leurs préoccupations, de se syndiquer et de prendre part aux décisions qui auront des conséquences sur leur existence. Il suppose une égalité de chances et de traitement pour les femmes et les hommes. L’économie de marché se trouverait ainsi encadrée par des normes sociales fondamentales, complétée par le droit du travail issu d’une juste articulation entre la loi et la négociation collective au niveau de chaque pays3.

Pour se conformer à cet agenda du travail décent, un partage « ordonné » du travail pourrait offrir un horizon prometteur. Un détour par la mise en œuvre des 35 heures s’avère nécessaire. Les lois Aubry (1998 et 2000), en incitant les entreprises à la création de nouveaux emplois en contrepartie de la réduction du temps de travail de leurs salariés, ont donné corps à un partage offensif. Entre 1998 et 2002, la durée du travail effective a baissé d’un peu plus de 6 %. Sur la même période, l’équilibre créé par cette baisse, la modération salariale, les gains de productivité et les aides de l’État a conduit à la création de 350 000 postes, « sans déséquilibre financier apparent pour les entreprises4 ».

Mais la seconde loi Aubry (2000) de généralisation des 35 heures, en réduisant la pression sur la création d’emplois et en autorisant la modulation du temps de travail sur tout ou partie de l’année, a eu pour corollaires l’intensification du travail et l’accroissement de la flexibilité, l’augmentation des plages horaires et la désarticulation entre temps de travail et rythmes de la cité. Dans leurs premières évaluations de la RTT, des chercheurs soulignent la dégradation des conditions de travail des ouvriers et des employés notamment, confrontés à l’introduction de la flexibilité, et pour certains à la diminution de leur rémunération, du fait des politiques de modération salariale5.

Pour réinvestir la question du partage du travail, il convient de reprendre à nouveaux frais l’évaluation des 35 heures.

Pour réinvestir la question du partage du travail, il convient de reprendre à nouveaux frais l’évaluation des 35 heures en France, comme il convient, dans un scénario de plus en plus probable de croissance atone et de faible productivité des pays de la zone euro à l’horizon 2020, d’évaluer les politiques réussies de partage du travail dans d’autres pays européens : chômage partiel en Allemagne, temps partiel aux Pays-Bas (surtout féminin) reposant sur des choix individuels, marchés transitionnels dans les pays scandinaves avec le recours aux demandeurs d’emploi pour remplacer des salariés en congés sabbatiques, congés de formation ou pour raisons familiales…

Ces expériences nous invitent à réfléchir aux façons de redonner du pouvoir aux citoyens sur les temps de leur vie, par un partage du travail dynamique et réversible tout au long de la vie. Le temps ainsi libéré pourra être employé à un retrait du marché du travail. Dans un cadre à définir par négociation collective et en tenant compte des intérêts des parties prenantes, ce retrait servira à acquérir une formation qualifiante, à prodiguer des soins aux proches, à mener à bien un projet personnel… La place libérée momentanément par un salarié sera accessible à ceux provisoirement exclus du marché. Cette démarche conduirait à une redistribution des temps sociaux, plurielle et choisie, tenant compte des potentialités économiques des pays à produire des richesses durables, comme des capacités et des désirs des citoyens à s’investir au travail ou dans d’autres activités à forte « valeur ajoutée » sociale.

Le ralentissement économique de la zone euro offrirait ainsi une opportunité inespérée de redistribution du travail, utile à la réduction du chômage et à la préservation des ressources naturelles.

Les atouts de l’Europe

Ceux des pays européens qui partagent une monnaie unique connaissent une récession et les institutions présidant à leur destin commun montrent des signes inquiétants d’impuissance, que l’on espère provisoires, car avec plus de cinquante ans d’histoire commune de paix et de prospérité, un parlement élu au suffrage universel, l’Europe reste à ce jour le modèle le plus abouti d’intégration régionale. Elle peut se prévaloir de la longévité de sa construction (qui a notamment permis d’expérimenter des mécanismes de rattrapage facilitant l’inclusion rapide de pays peu développés), de son exemplarité politique (avec la plus forte concentration de régimes démocratiques à l’échelle mondiale), de son haut niveau de développement économique et social (qui ouvre la voie à un rapport plus apaisé à la croissance, et plus favorable à la prise en compte des problématiques liées à la protection de l’environnement).

Notons enfin que la zone euro compte pour plus d’un cinquième dans le produit intérieur brut mondial, se situant en deuxième position derrière les États-Unis. Elle occupe la première place dans le monde pour les exportations et les importations de biens et de services. Elle dispose donc de moyens suffisants pour développer un modèle social se caractérisant par un haut niveau de protection des personnes contre les aléas de l’existence. Elle en porte même la responsabilité vis-à-vis du reste du monde : si nous, Européens, renonçons aux institutions qui donnent corps au travail décent, alors quel horizon pour les autres ? L’ensemble des forces sociales et les experts les plus rompus les y invitent : les pays de la zone euro doivent renoncer aux politiques d’austérité budgétaire. Ils seraient plus avisés de donner une impulsion vigoureuse à l’émergence d’un nouveau contrat social, plus adapté aux nouveaux visages du monde du travail, et à mettre ainsi fin aux incompréhensions mettant à l’épreuve la solidarité des peuples. Trois principes pourraient présider à ce new deal européen : travailler à la « décroissance » des inégalités en instaurant un « revenu maximum acceptable » et une « dotation inconditionnelle d’autonomie »6 ; assurer à tous des droits de tirage gratuits sur des biens essentiels et des services publics ; associer enfin des protections universelles à tous les travailleurs, quel que soit leur statut à l’égard de l’emploi.

Il est important de revigorer les institutions du marché du travail et de la sécurité sociale, par une participation informée des citoyens et des acteurs de la société civile.

Un changement de modèle de cette ampleur contribuera au ré-encastrement de l’activité productive dans des choix de société et dans les contraintes liées à l’environnement et à la préservation de la planète. Il revient aux politiques que nous choisissons et à nos institutions démocratiques d’en assurer les conditions de possibilité, en s’écartant des discours belliqueux de compétition généralisée et de culpabilisation des travailleurs, des chômeurs, des jeunes... D’où l’importance de revigorer les institutions du marché du travail et de la sécurité sociale, par une participation informée des citoyens et ceux des acteurs de la société civile qui travaillent à l’innovation et à la solidarité, pour imaginer collectivement les choix possibles et pour avoir confiance en notre capacité à les faire exister.


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1 L’image est employée par Philippe Askenazy et Rokhaya Diallo (dir.), « Face à la précarisation de l’emploi, construire des droits pour tous », Terra Nova, avril 2013 [en ligne sur www.tnova.fr].

2 Cf. le dossier « Le travail, facteur d’isolement ? ». Projet, n°323, octobre 2011.

3 L’Union européenne, elle aussi, a retenu six dimensions pour consolider dans une approche multidimensionnelle la qualité du travail : santé et sécurité au travail et conditions de travail, rémunération attachée à l’emploi, organisation du temps de travail et conciliation entre travail et vie personnelle, sécurité de l’emploi et protection sociale, dialogue social et relations professionnelles, formation tout au long de la vie. Pour améliorer le bien-être des salariés au travail, ces dimensions devraient figurer parmi les indicateurs de mesure de la richesse de nos sociétés.

4 Alain Gubian et al., « Les effets de la RTT sur l’emploi : des simulations ex ante aux évaluations ex post », Économie et statistique, n° 376-377, 2004, pp. 25-54.

5 Philippe Askenasy et al., « La réduction du temps de travail 1997-2003 : dynamique de construction des lois ‘Aubry’ et premières évaluations », Économie et statistique, n° 376-377, 2004, pp. 153-171.

6 Comme le proposent Vincent Liegey et al., Un projet de décroissance. Manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autonomie, Les éditions Utopia, 2013.


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1 réactions pour « Réinventons notre modèle social »

Jacques BOUTBIEN
21 January 2014

Bonjour

Anousheh Karvar était selon vos dires la N°2 de la CFDT. Est ce à dire qu'elle n'est plus N°2 et qu'elle a quitté la CFDT ? En tout cas pour ma part c'est ce que j'ai fait en mars dernier après 32 années de cotisations car je suis en désaccord avec l'évolution de la CFDT.
Je vous joins ci-dessous ma lettre de démission adressée à Laurent Berger laquelle lettre rentre en résonance avec les propos qu'elle tient dans son article.

Laurent BERGER
Secrétaire Général
de la CFDT
4 boulevard de la Villette
75955 Paris CEDEX 19



Trégueux, le 30 mars 2013

Pourquoi je quitte la CFDT après … 32 ans d’adhésion ?
Bonjour
En juin prochain j’aurais pu entamer ma 33ème année d’adhésion et de cotisation à la CFDT. Un long bail en effet mais qui va s’arrêter … dans les tous prochains jours car j’ai décidé de rendre ma carte d’adhérent et de quitter la CFDT. Cette décision n’a pas été prise sur un coup de tête mais bien au contraire elle est le fruit d’une décision mûrement réfléchie.
Autant le dire d’emblée cela fait déjà un petit moment que je pense à prendre cette décision, elle ne remonte pas à l’actualité des dernières semaines même si la signature du dernier accord avec le MEDEF a sans aucun doute été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ».
Je voudrais donc tout simplement par cette lettre expliciter et préciser les raisons qui me poussent à quitter la CFDT.
La première raison trouve sa source … dans la lecture et la relecture de livres de militants et de responsables de la CFDT des années 70. Je me suis en effet replongé il y a quelques mois dans des livres écrits par d’anciens responsables de la CFDT, Edmond Maire et Pierre Rosanvallon entre autres, (cf respectivement « CFDT : Pour un socialisme démocratique » et « l’âge de l’autogestion ») et j’ai pu ainsi mesurer l’ampleur du changement idéologique intervenu au sein de cette organisation qu’est la CFDT. Lorsque l’on lit ces livres, ce qui saute aux yeux avant tout, c’est qu’à cette époque - au début des années 70 donc - l’objectif qui était affiché c’était bien de véritablement changer la société et - disons-le clairement - de proposer une autre voie propre à changer le système capitaliste. Et que pour ce faire les militants et les responsables de l’organisation s’étaient forgés une doctrine* c-a-d un corpus de références, de principes d’actions et d’outils sur lesquels ils pouvaient s’appuyer pour tendre vers cet objectif.
Ainsi en était-il de l’autogestion et de la planification démocratique. Au travers de ces outils il était clairement dit que le changement de la société et des rapports sociaux passait par la modification des relations de pouvoir dans l’entreprise et par des modifications profondes concernant le droit de propriété**
Bref à cette époque on n’hésitait pas à se poser les questions essentielles et « à mettre ainsi sur la table » les problèmes de fond dans la société en général et dans le monde du travail en particulier.
Aujourd’hui à la CFDT, force est de constater que l’on a évacué ces questions essentielles. Parler d’autogestion, de socialisme et de planification*** démocratique, de partage de pouvoir, du droit de propriété c’est désormais quasiment tabou. Un adhérent qui oserait utiliser ce vocabulaire passerait vite pour un gauchiste acoquiné au « Front de gauche » !
Bref une évolution ou … une révolution à 180° qui a tourné le dos à un mouvement comme celui du CNR ( Conseil National de la Résistance) et à des hommes politiques et à des penseurs tels que Jean Jaurès, Marc Sangnier, Emmanuel Mounier et bien d’autres qui avaient bien compris que tant que les principes démocratiques resteraient « à la porte de l’entreprise » on serait dans une démocratie dévoyée et inachevée.
On voit pourtant le résultat de cette régression de la pensée depuis 30 ans avec un rapport de force entre les actionnaires et le monde du travail qui n’a jamais été aussi défavorable aux salariés.
Les syndicats et en particulier la CFDT n’ont pas encore bien saisi les conséquences de la nature du capitalisme financier.
La dérégularisation aidant, les entreprises se sont conformées de plus en plus aux règles induites par le capitalisme anglo saxon. Ainsi les PDG et les dirigeants ont été avant tout choisis uniquement pour la défense des intérêts des actionnaires pour ce que l’on appelle maintenant la création de la valeur. En contrepartie d’une allégeance sans faille, les actionnaires ont accordé d’immenses avantages financiers à ces dirigeants tout aux ordres de leurs mandants. C’est d’ailleurs depuis la naissance de ce pacte que les rémunérations ont atteint des sommets astronomiques. On connait la suite. Ce pacte s’est fait sur le dos des salariés
Devant cette situation qu’a fait la CFDT ? Pas grand-chose. Et pour la simple raison qu’elle ne veut pas remettre … en question le système de pouvoir actuel au sein de l’entreprise. Un comble pour une organisation qui 40 ans auparavant se faisait le chantre de l’autogestion et voulait conquérir le pouvoir au sein de l’entreprise. Qu’il est loin en effet l’esprit qui animait les conflits de Lip et du Joint Français.
Imprégnation au goutte à goutte des idées dominantes du libéralisme, défaut d’analyse juridique, paresse d’esprit, fuite devant les responsabilités sont les principales raisons de l’impuissance actuelle de la CFDT.
Au nom d’un soit disant réalisme la CFDT s’est contentée de gérer sur la défensive des droits sociaux. A contrario elle n’a pas voulu vraiment se préoccuper d’obtenir et de gérer des droits économiques si bien que le syndicalisme salarié n’a aucunement entamé d’un pouce le pouvoir du capital et des actionnaires.
Ainsi, en refusant de combattre sur le terrain du partage du pouvoir, les syndicats ont fini par être totalement démunis et impuissants lorsque les actionnaires décident de délocaliser une usine en s’accaparant la totalité du patrimoine et des outils ( cf brevets, savoir-faire et machines) résultat du travail collectif des salariés. (Cf le conflit de Chaffoteaux et Maury dans la région de Saint Brieuc qui a été illustratif de l’impuissance des syndicats et des … élus ).

Concernant l’accord du 11 janvier dernier signé par la CFDT j’ai toujours pensé que parler de compétitivité et de flexibilité dans le monde économique sans poser la question du partage du pouvoir entre les deux composantes de l’entreprise était une faute inexcusable et une démarche vouée à l’échec. Lors de la dernière négociation entre les syndicats et le MEDEF il aurait été logique de prendre en compte le royal bénéfice sous forme de crédit d’impôts de 20 milliards d’euros qu’avait décidé d’accorder le gouvernement aux entreprises dans « le cadre du choc de compétitivité » et exiger une véritable contrepartie à la mesure de cette attribution sans précédent. Et ce dans le cadre d’une véritable participation aux décisions dans l’entreprise que ce soit au niveau des conditions de travail, des rémunérations mais aussi au niveau des orientations stratégiques de l’entreprise. Résultat on accorde une représentation très minoritaire aux représentants des salariés au sein des conseils d’administration dans les entreprises de plus de 10000 salariés dans le monde et 5000 en France !!!
Cela va toucher un nombre extrêmement restreint d’entreprises. Ainsi en Bretagne on peut penser qu’aucune entreprise ne sera concernée !!! Bref un enfumage auquel participe malheureusement la CFDT. C’était pourtant à mon sens un point capital qui avait été relevé- il faut le reconnaitre - dans le rapport Gallois. Cela nécessitait en conséquence d’introduire des principes démocratiques au sein de l’entreprise en faisant participer activement les salariés aux décisions par une présence significative voire égalitaire dans les conseils d’administrations y compris dans les PME.
Peut-on en effet continuer à regarder l’entreprise simplement comme un objet de propriété** ? Peut-on assimiler la possession d’un bien, telle une maison d’habitation - résultat d’un travail personnel - à un autre bien qui résulte de l’appropriation d’un travail socialisé dont le développement résulte avant tout de l’accumulation des efforts de milliers de salariés ?
Dans une économie fondée avant tout sur la connaissance et le savoir-faire des salariés peut-on également se satisfaire en 2013 d’un code du travail qui admet que l’apporteur du travail est juridiquement dans une relation de subordination permanente et … de servitude volontaire vis-à-vis de l’apporteur de capital au nom du pouvoir que confère la propriété des moyens de production et ce, après la signature en 1948 par notre pays de la déclaration universelle des Droits de l’Homme ?
C’est sur ces fondamentaux là que j’aurais voulu que la CFDT et ses responsables se battent et annoncent vraiment la couleur.
Le moment n’est-il donc pas venu d’élaborer un véritable « droit de l’entreprise » représentant l’ensemble des intérêts des différentes composantes de cette entité au lieu et place du « droit de société » représentant les seuls intérêts des actionnaires ? C’est un combat que la CFDT aurait pu mener. Pourquoi ne l’a-t-elle pas lancé ???
A l’image de la poursuite de la conquête de l’égalité des droits de la femme par rapport à l’homme ne serait-il pas grand temps de reconsidérer ce rapport illégitime entre les apporteurs de travail et les apporteurs de capital ? Il n’est en effet plus acceptable que celui qui est le vrai créateur de richesse soit le seul à ne pas participer à sa gestion et à son partage en contradiction avec le préambule de notre Constitution dans son article 8 :
« Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués . . . à la gestion des Entreprises ».


Certes je suis conscient que cette critique est sans concession et que la charge est sévère. Mais elle est avant tout le résultat d’une profonde déception et disons-le aussi d’une colère vis-à-vis de nombreux hauts responsables de la CFDT qui n’ont pas hésité au fil des ans « à passer par-dessus bord » tout une pensée forte et structurée - et je pourrais presque dire un patrimoine intellectuel, idéologique plus moderne qu’on ne le pense - qui pourrait redonner de l’espoir à des millions d’hommes et de femmes déboussolés.
Pour finir j’ai toutefois une pensée pour plusieurs militants(es) de la CFDT qui a l’image d’un homme comme Edouard Martin dans le conflit « Arcelor Mittal » font honneur au syndicalisme mais qui au fond d’eux-mêmes doivent bien se rendre compte que les solutions et la stratégie générale adoptée par la confédération de leur organisation ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés et par voie de conséquence ne sont pas à même de modifier le rapport de force défavorable aux salariés.
Je te prie de bien vouloir - malgré tout - accepter mes cordiales salutations.


* La CFDT n’a plus de doctrine à l’image d’un parti socialiste qui lui aussi a renié hélas en grande partie les fondamentaux du socialisme portés par un Jean Jaurès et pourtant issus du monde du travail au 19ème siècle. Il ne suffit pas d’avoir une boite à outils, il faut une doctrine et une pensée forte, « un véritable souffle » pour emporter l’adhésion des citoyens.
** Le droit de propriété se définit par « l’usus, le fructus et … l’abusus
*** Les seules qui utilisent aujourd’hui la planification désormais ce sont les multinationales en particulier dans le domaine fiscal !!! On considère en effet qu’elles paient entre 2,5 et 5% d’impôts sur leurs bénéfices …

Jacques Boutbien
adhérent depuis 1980

Extrait du livre de M Aglietta et de A Rebérioux
« Dérives du capitalisme financier » publié en … 2004.

« Il ne fait aucun doute qu’en l’absence d’un changement profond dans la gouvernance, les désordres financiers vont continuer à se déchaîner, les malversations à prospérer, les inégalités sociales à enfler, la démocratie à dépérir. La seule solution pour réduire les deux maux qui minent les démocraties occidentales, la mauvaise maîtrise des risques collectifs et le désengagement des citoyens, est de faire pénétrer la démocratie dans l’entité collective qui est au cœur des sociétés contemporaines : l’entreprise. »

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