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Dossier : Religions, une affaire publique ?

L’expression des religions, une chance pour la démocratie


Un temps reléguées dans la sphère privée, les religions se font à nouveau plus visibles. La laïcité est-elle menacée ? À quelles conditions la vie de la cité peut-elle bénéficier de l’apport des religions ?

La place des religions dans la société et le débat public fait débat en France comme dans d’autres pays. Il y a un incontestable retour de la religion comme « problème » pour la société et les pouvoirs publics. Quatre facteurs expliquent ce « retour » sous forme de débats et de « problèmes » : une pluralisation externe accrue du paysage religieux des sociétés européennes, avec, notamment, la présence de fortes minorités musulmanes et la poussée du protestantisme évangélique ; la complexification interne de chaque monde religieux (catholique, protestant, orthodoxe, juif, musulman…), chacun de ces mondes étant traversé par des courants divers, des plus accommodants aux plus rigoristes ; la nature des questions qui arrivent à l’agenda de la décision politique : mariage pour personnes de même sexe, procréation médicalement assistée, gestation pour autrui, euthanasie, bioéthique… ; la multiculturalisation européenne des expressions religieuses. Non seulement avec les différenciations au sein du monde musulman (islams turcs, algériens, marocains, d’Afrique noire…), mais aussi avec, dans le domaine chrétien, l’importance prise par les christianismes d’expression africaine, antillaise, asiatique, tzigane…

Cette multiculturalisation est, bien sûr, favorisée par les mouvements migratoires qui, pour des raisons économiques, politiques, humanitaires, amènent des populations aux origines très diverses à frapper aux portes des démocraties européennes, dans l’espoir d’une vie meilleure. Ces quatre facteurs contribuent à rendre plus visibles et présentes les dimensions religieuses, même si, globalement, la proportion de « sans religion » augmente en France (50 % en 2008 contre 27 % en 1981) comme dans d’autres pays d’Europe. Plus visibles, en raison, notamment, d’engagements religieux qui correspondent à d’autres calendriers (fêtes juives et musulmanes) et qui se manifestent à travers des pratiques vestimentaires et alimentaires différentes ; plus présentes, à travers des mobilisations qui, telle la mobilisation catholique contre le mariage pour tous, révèlent que certaines évolutions séculières suscitent des oppositions religieuses et tendent à nouveau les relations entre religions et pouvoirs publics.

Par ailleurs, l’importance prise (au-delà du catholicisme, du protestantisme luthéro-réformé et du judaïsme) par d’autres expressions du religieux, en particulier musulmanes et évangéliques-pentecôtistes, pose la question des conditions d’exercice de la liberté de culte, notamment celle de la disponibilité d’édifices du culte (manque de mosquées et de temples permettant la pratique du culte dans des conditions décentes et problème de financement de nouveaux édifices). Les cultes reconnus avant 1905 bénéficiant de l’usage d’édifices dont les pouvoirs publics sont propriétaires, ils risquent d’apparaître privilégiés par rapport aux « nouveaux » cultes apparus depuis. Or la laïcité, c’est aussi un traitement équitable. C’est dans ce contexte que la laïcité se trouve questionnée et discutée. Elle est partagée entre des voix qui prétendent qu’elle est gravement remise en cause et d’autres qui estiment au contraire qu’elle vire à un laïcisme manifestant une attitude hostile aux religions. Au nom de la laïcité, certains réclament moins de place pour les religions alors que d’autres veulent leur en accorder plus.

Si la laïcité n’est pas, dans la conjoncture socio-religieuse actuelle, fondamentalement remise en cause, elle est questionnée dans la façon dont elle est comprise et appliquée. Ce qui engage débats et controverses sur les façons de concevoir la place et le rôle des religions dans des démocraties fondées aussi bien sur la séparation des Églises et de l’État que sur le respect de la liberté de conscience, de pensée et de religion.

Les fondamentaux de la laïcité

Un détour par le vocabulaire anglo-saxon et sa nette distinction entre « secularity » et « secularism », le « secular State » et le « secularist State » est utile. Alors que la « sécularité » de l’État et des pouvoirs publics est une composante essentielle des sociétés libérales, le « sécularisme » est une position idéologique cherchant à promouvoir un ordre séculier au nom des valeurs qui lui sont propres. Or la laïcité, ce n’est pas l’État séculariste, c’est l’État séculier (secular State), soit, dans les sociétés démocratiques, un État neutre et impartial par rapport aux religions et convictions de ses ressortissants, autrement dit, un État qui, en tant qu’État, ne professe ni une religion particulière, ni une quelconque philosophie athée de la vie. Cet État séculier, qui implique aussi le caractère séculier des institutions et des services publics (et de leurs agents), ne signifie pas que la société soit laïque. Les personnes qui composent cette dernière peuvent y avoir des options religieuses ou philosophiques très diverses et les États peuvent prendre en compte de diverses manières cette composante des sociétés civiles en intégrant leurs contributions à la vie publique. Cette laïcité principielle repose sur trois éléments : la liberté de conscience, de pensée et de religion qui inclut la liberté d’avoir une religion ou de ne pas en avoir, la liberté de changer de religion et de pratiquer ou non la religion de son choix (dans les seules limites du respect des lois, de la démocratie et des droits de l’homme) ; l’égalité de droits et de devoirs de tous les citoyens quelles que soient leurs identifications religieuses ou philosophiques, c’est-à-dire la non-discrimination par l’État et les pouvoirs publics des personnes en fonction de leurs appartenances religieuses ou philosophiques ; l’autonomie respective de l’État et des religions, ce qui signifie aussi bien la liberté de l’État par rapport aux religions que la liberté des religions par rapport à l’État (dans le respect des lois et des droits de l’homme en démocratie).

Les religions, un fait social

Pour les personnes qui y adhèrent, les religions constituent des ressources identitaires et éthiques, elles articulent l’individuel et le collectif, le local et le global. À l’heure de la mondialisation, qui peut entraîner le repli sur soi et la peur des autres, cela est loin d’être négligeable. Surtout, elles offrent du sens dans les trois acceptions de ce terme : des significations (de la vie et de la mort, du bonheur et du malheur), des orientations (de vie, des normes éthiques orientant le comportement), des sensations (des façons de sentir des émotions individuelles et collectives). Il s’agit donc bien de réalités sociales sui generis, même si, d’une époque à une autre, d’une aire culturelle à une autre, ces réalités évoluent et prennent des formes très diverses. Les phénomènes religieux constituent des infrastructures symboliques à travers lesquelles les êtres humains tentent de maîtriser symboliquement leur existence, de s’inscrire dans des espaces et des temps, dans une synchronie et une diachronie. Ces phénomènes donnent en particulier sens aux deux rapports sociaux fondamentaux que sont les rapports d’alliance (les conjugalités) et de filiation (les parentalités). Il s’agit donc d’un phénomène social et culturel qui requiert la mise en œuvre d’une laïcité d’intelligence du symbolique intégrant le fait que les êtres humains se nourrissent aussi de sens dans les trois dimensions rappelées ci-dessus.

La laïcité, c’est aussi une protection contre les religions lorsqu’elles veulent imposer par la contrainte leur normativité à leurs membres ou à toute la société.

Les groupements religieux mobilisent profondément les personnes qui y participent. Ils ont, comme les partis politiques, des dimensions affectives et militantes. Et comme toute réalité militante et convictionnelle, ils peuvent engendrer, dans certaines circonstances, des attitudes intolérantes, voire des fanatismes et des violences. La laïcité, c’est aussi une protection contre les menées cléricales et absolutistes que peuvent avoir les religions lorsqu’elles veulent imposer par la contrainte leur normativité à leurs membres (risque de cléricalisme interne et de dérives sectaires), voire étendre leur normativité à toute la société (risque de cléricalisme externe et de césaro-papisme). Les religions peuvent mener aux communautarismes si elles tendent à « enfermer » leurs membres dans leur réseau en les coupant le plus possible de la société environnante, voire à leur faire percevoir la société globale comme une réalité diabolique à fuir et à combattre. Reconnaissons qu’aujourd’hui, si ces risques sont réels et non virtuels dans de trop nombreux pays, ils sont faibles en France et dans l’Union européenne, même si quelques personnes en perte de repères peuvent être fanatisées par des meneurs religieux ou prétendus tels (comme certains ont pu l’être par des conceptions politiques radicales justifiant la violence). Autrement dit, dans les pays démocratiques, plutôt que de s’arc-bouter sur une conception défensive de la laïcité visant à protéger la société des religions, on peut plus facilement accueillir une conception proactive et inclusive de la laïcité qui, suffisamment assurée d’elle-même, prend positivement en compte les apports des composantes religieuses de la société. Façon de redécouvrir que les religions nourrissent aussi des engagements solidaires et profondément altruistes, qu’elles sont des réservoirs d’engagements et d’espérances qui peuvent socialiser les personnes, en particulier les jeunes, dans une normativité structurée et structurante, les prémunir contre le pessimisme et leur donner envie d’agir quelles que soient les difficultés du présent.

L’apport des religions au débat public

Il est fréquent, aujourd’hui, de voir des mobilisations religieuses en faveur de l’engagement civique (contre l’abstention électorale), les religions venant ainsi au secours d’un politique désenchanté et décrédibilisé. Face au risque de ne pas traiter humainement les réfugiés, les étrangers et les Français en situation d’extrême précarité (y compris les vieillards et les personnes handicapées), face aux risques de stigmatisation de certaines populations (comme les Roms), les autorités religieuses mobilisent l’éthique de la fraternité que promeut leur religion. Des militants associatifs puisent dans leurs ressources éthiques pour s’engager dans des actions de solidarité et interpeller les pouvoirs publics sur leur devoir d’humanité. Dans le domaine écologique, la nécessité d’instaurer des limites en matière d’exploitation des ressources et de sauvegarder un environnement vivable, y compris en préservant notre climat, incite des militants à rechercher le soutien des religions pour prôner une plus grande sobriété, y compris en passant par la pratique régulière du jeûne. Mais les religions n’interviennent pas seulement dans le domaine de l’éthique sociale, elles s’engagent également sur le terrain de la diversité culturelle et religieuse, en cherchant à faire de celle-ci un atout plus qu’un obstacle à l’intégration. Face à ceux qui brandissent un prétendu « clash des civilisations » qui opposerait les religions, notamment le christianisme et l’islam, les religions répondent par l’intensification des relations et le développement de dialogues interreligieux à l’échelon local, régional, stato-national (la Conférence des responsables de culte en France a été créée en 2010) et international. Ces initiatives sont accueillies positivement par les municipalités (autour du dialogue judéo-musulman et du vivre ensemble à Lyon, dans le IXe arrondissement), les régions (« Rendez-vous avec les religions » soutenu par la Région Alsace), les organismes internationaux (Conseil de l’Europe, Alliance des civilisations soutenue par les Nations unies…).

Les religions s’engagent sur le terrain de la diversité culturelle et religieuse, en cherchant à faire de celle-ci un atout plus qu’un obstacle à l’intégration.

Sur d’autres sujets, comme les questions relatives à la sexualité, au genre, à la filiation, la gestation pour autrui, la procréation médicalement assistée et le risque d’eugénisme, la fin de vie et le risque d’euthanasie, les religions font entendre leur voix et osent la controverse. Dans ce dernier domaine, tout spécialement, certaines voix laïques ont eu tendance à vouloir renvoyer les Églises dans leur sacristie en leur enjoignant de se limiter à ce qui les concernerait uniquement : les questions spirituelles et le culte. Comme si les religions se limitaient au for intérieur et à des pratiques au sein des édifices du culte ! N’aurait-on pas tendance à accueillir de façon sélective le rôle des religions dans l’espace public ? De façon positive dans certains domaines, notamment celui de l’éthique sociale, et de façon négative dans d’autres (notamment celui de l’éthique sexuelle et familiale) ? Or la participation des groupes religieux au débat public n’est pas à géométrie variable selon les sujets et sa légitimité ne dépend pas de son degré de conformité aux tendances séculières du moment. Une laïcité démocratique et non autoritaire ne doit pas disqualifier et délégitimer les interlocuteurs religieux au prétexte qu’ils seraient contre certaines évolutions, y compris si elles ont été légalisées. Si, par des voies de fait, empêcher des structures hospitalières de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse (IVG) est illégal, des acteurs religieux doivent pouvoir continuer à exprimer leur désaccord et même à militer pour un changement de loi s’ils ne troublent pas l’ordre public et n’empêchent pas l’application de la loi (dans le cas de l’IVG, les médecins peuvent d’ailleurs faire valoir leur liberté de conscience pour ne pas en pratiquer). La même logique prévaut pour le mariage de même sexe ; mais, dans ce cas, les officiers d’état civil ne peuvent pas faire valoir la clause de conscience pour ne pas célébrer des mariages de même sexe (des recours pour modifier cet état de choses ont été déposés auprès du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme). Quant à la condition genrée de l’être humain et à l’égalité des hommes et des femmes, il y a différentes façons de les concevoir et il n’y a aucune raison qu’un État séculier excommunie certaines conceptions au profit d’autres. Autrement dit, des tensions sont inévitables entre les religions et les évolutions dominantes dans la société. Ces tensions sont, non seulement, inévitables, mais elles sont structurelles et témoignent d’une bonne santé de la laïcité. C’est en effet le devoir de la laïcité de permettre loyalement l’expression de ces tensions plutôt que de vouloir les annihiler au seul profit d’un des deux pôles du débat : le séculier et le religieux (d’autant plus que le débat a lieu au sein même des mondes religieux comme au sein des mondes séculiers). C’est ce que Paul Ricœur appelait « une laïcité positive de confrontations » qui rend justice à la diversité de la société civile.

Le retour de la visibilité du religieux

Les Trente Glorieuses et les optimismes séculiers qui les ont accompagnées, la perte d’emprise du religieux sur les sociétés et les individus, c’est-à-dire dire la sécularisation, ont eu tendance à rendre invisible le religieux, à le placer aux marges de la société. Paradoxalement, celles et ceux qui ont refusé cette ghettoïsation cultuelle en valorisant les engagements séculiers au nom de leur foi ont renforcé cette invisibilisation par une sécularisation interne au christianisme. C’est le cas des stratégies d’enfouissement dans le séculier et d’engagement dans l’action sociale et politique prônées dans les années 1960-1970 par les Églises chrétiennes (notamment par les militants clercs et laïcs des « gauches du Christ »), qui ont aussi renforcé la « mondanisation » du religieux : au nom d’un aggiornamento considéré comme impératif, on a prôné un religieux qui épouserait les aspirations « émancipatrices » séculières du moment et se confondrait avec le monde. Cette dissolution du religieux dans le séculier a été, pour certains, une voie progressive de sortie de la religion. Le retour de la visibilité du religieux et la réactivation de tensions avec les évolutions séculières viennent bousculer cette image d’un religieux peu visible, qui poserait d’autant moins de problèmes à la laïcité qu’il épouserait tranquillement son temps et resterait très discret. Or la laïcité implique-t-elle forcément un religieux sécularisé et discret ? La réponse est non, tant du point de vue des religions que du point de vue de la laïcité. C’est même parce que la société globale est plus radicalement sécularisée que les religions sont amenées à s’affirmer plus explicitement dans leur spécificité.

C’est parce que la société est plus radicalement sécularisée que les religions sont amenées à s’affirmer plus dans leur spécificité.

Pour les personnes attachées à une tradition religieuse, celle-ci ne constitue pas une dimension partielle de leur existence, mais un cadre enveloppant tous les aspects de leur vie (familiale, professionnelle, associative…). Toute théologie, tout discours sur Dieu est aussi une anthropologie, une façon de concevoir l’humanité de l’homme, y compris dans sa condition genrée et dans ses rapports de filiation. Or la pluralité contemporaine ne se limite pas à une diversité d’opinions métaphysiques et de pratiques rituelles qui, si elle a historiquement mis du temps à être pleinement reconnue, n’en reposait pas moins sur un large consensus en matière anthropologique : les versions juive, chrétienne et laïque de l’homme, y compris dans leurs dimensions machistes et occidentalo-centrées, concordaient globalement. Pour ce qui concerne le lien conjugal, on pouvait d’autant plus opter pour un mariage civil, suivi, si on le souhaitait, d’un mariage religieux dans la religion de son choix, que le mariage civil était une version sécularisée du mariage juif et chrétien (il y avait continuité entre le séculier et le religieux). La pluralité contemporaine, en s’étendant au domaine anthropologique, met en présence des conceptions différentes du genre et de la filiation, elle engage différentes conceptions de la vie bonne ; autrement dit, la diversité contemporaine n’est pas seulement religieuse et philosophique, elle est aussi anthropologique et axiologique. Dans une situation où les instances politiques, à travers les décisions qu’elles peuvent prendre en matière de mariage, de fin de vie, de procréation… peuvent engager une conception de l’être humain, peut-on (doit-on) s’étonner que des voix religieuses s’expriment dans un sens ou un autre ?

Des tensions légitimes

Précisément parce qu’il y a séparation des Églises et de l’État, autonomie respective des religions et de l’État, il est normal qu’il y ait des tensions entre autorités religieuses et autorités publiques. La laïcité, au-delà du respect des libertés qu’elle implique (liberté de conscience, de pensée et de culte), repose sur un double renoncement : le renoncement de l’État au pouvoir spirituel et le renoncement des autorités religieuses au pouvoir temporel. Par ce double renoncement, le politique nous protège des velléités cléricales des religions et les religions nous protègent des velléités totalitaires d’un État qui voudrait diriger les consciences et imposer une conception de la vie. Ce double renoncement introduit une tension structurelle entre l’État et les religions. L’État, en démocratie, n’est pas et ne doit pas être une Église. Il doit pouvoir autoriser et garantir la diversité des convictions religieuses et philosophiques des uns et des autres, mais aussi, dans certaines limites, les diverses façons de concevoir et de vivre une vie digne et bonne. Dans certaines limites, c’est-à-dire dans les strictes limites de l’État de droit, de l’ordre public en démocratie et des droits humains (incluant l’égalité homme-femme). En proposant, en 2012-2013, de réactualiser et de rendre plus cohérent « un enseignement de la morale laïque », l’Éducation nationale de la République était dans son rôle : il est important que l’école publique, comme école de tous, enseigne les valeurs communes et éduque aux normes élémentaires de la civilité et du vivre-ensemble. Mais il a été judicieux d’évoluer d’un « enseignement de la morale laïque » à « un enseignement laïque de la morale ». Car il ne s’agit pas d’enseigner une morale particulière, « laïque », qui viendrait se poser en alternative, voire en opposition par rapport à d’autres morales (notamment religieuses), mais d’enseigner une morale commune qui doit convenir aussi bien aux enfants et familles athées qu’aux enfants et familles catholiques, protestantes, musulmanes, juives… Cette morale commune exclut les options intégristes et fondamentalistes des religions qui contreviennent aux droits de l’homme et du citoyen en démocratie (les droits humains incluant l’égalité des hommes et des femmes) et les options sécularistes qui considèrent que seule l’absence de religion permettrait de concevoir cette morale commune.

Entre la sectarisation communautaire des identités religieuses et un espace public qui ne serait universel que par abstention des identités, il y a place pour une reconnaissance citoyenne et laïque des religions dans la sphère publique. Les valeurs de la démocratie, en particulier celle des droits de l’homme, sont fragilisées si elles ne sont pas résolument transmises et légitimées à travers des cultures particulières, qu’elles soient religieuses ou philosophiques, et portées par des organisations ayant une large base sociale. « L’heure n’est plus où la communauté des citoyens devait être conquise en émancipant les individus de leurs ancrages symboliques ; aujourd’hui c’est bien plutôt ces ancrages symboliques qui peuvent contribuer à former des communautés de citoyens alors que celles-ci sont menacées par les effets croisés de l’individualisation et de la mondialisation. » Si l’humanisme démocratique s’est souvent construit en opposition aux religions, ces dernières pourraient, dans un monde séculier désenchanté, en devenir de précieux garants.

À lire aussi dans la question en débat
« Religions, une affaire publique ? »

Dans nos archives



Strasbourg consortium, « Secularism vs. secularity in Europe », www.strasbourgconsortium.org, 2011.

Cf. Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012.

J.-P. Willaime, « Reconfigurations ultramodernes », Esprit, n°3-4, mars-avril 2007, p.155.

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