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Dossier : Quels pouvoirs ont les victimes ?

Le pouvoir de la non-violence

"Œil pour œil rendra le monde aveugle." Citation de Gandhi - Photo credit: duncan on Visual hunt / CC BY-NC
Les victimes peuvent se rendre complices, malgré elles, de leurs oppresseurs. Refuser de collaborer en s’affirmant non-violent, c’est faire un pas vers la liberté.

« Une na­tion de 350 millions de personnes n’a pas besoin du poignard de l’assassin, elle n’a pas besoin de la coupe de poison, elle n’a pas besoin de l’épée, de la lance ou de la balle de fusil. Elle a seulement besoin de vouloir ce qu’elle veut et d’être capable de dire ‘Non’, et cette nation apprend aujourd’hui à dire ‘Non’. » Gandhi

Le réalisme conseille aux victimes de choisir la non-violence ! La capacité de violence des oppresseurs, en effet, est toujours démesurément plus grande que celle des opprimés. En choisissant la violence, ces derniers ne feront que provoquer un surcroît de répression de la part des oppresseurs en les enfermant dans leur logique de violence. Pour lutter contre leur oppression, c’est un impératif catégorique pour les opprimés de déjouer la répression des oppresseurs.

Un « Non ! » qui défie la réalité

Pour Gandhi, la puissance de l’empire britannique aux Indes ne tenait pas tant à la capacité de violence des Anglais qu’à la capacité de soumission des Indiens. « Ce ne sont pas tant les fusils britanniques qui sont responsables de notre sujétion que notre coopération volontaire. » Pour se libérer du joug qui pesait sur eux, les Indiens devaient cesser toute coopération avec un gouvernement qui les opprimait. » Le gouvernement n’a aucun pouvoir en dehors de la coopération volontaire ou forcée du peuple. La force qu’il exerce, c’est notre peuple qui la lui donne entièrement. Sans notre appui, cent mille Européens ne pourraient même pas tenir la septième partie de nos villages. (...) La question que nous avons devant nous est par conséquent d’opposer notre volonté à celle du gouvernement ou, en d’autres termes, de lui retirer notre coopération. Si nous nous montrons fermes dans notre intention, le gouvernement sera forcé de plier devant notre volonté ou de disparaître. »

Il arrive souvent que les victimes deviennent elles-mêmes les acteurs des maux qu’elles endurent.

De fait, il arrive souvent que les victimes collaborent avec l’injustice qu’elles subissent et deviennent elles-mêmes les acteurs des maux qu’elles endurent. Devenus coresponsables de l’oppression, les opprimés se trouvent ainsi enfermés dans un processus de « victimisation », regardant leur oppression comme une fatalité face à laquelle ils ont le sentiment d’être totalement impuissants. Le premier acte de la résistance est de refuser d’être victime, d’opposer à l’injustice un « Non ! » qui défie la fatalité.

La méthode de l’action non-violente suppose de se démarquer clairement de cette logique de victimisation. Celle-ci conduit à considérer ceux qui subissent l’injustice comme des individus sans responsabilité dans leur passé, leur présent et leur avenir. Elle en fait des assistés privés d’autonomie. Au contraire, une action non-violente ne saurait être une simple assistance des victimes, mais un accompagnement qui permet une coopération avec elles.

La victimisation enferme les victimes dans la peur. Elle entretient un sentiment d’impuissance qui conduit à la résignation. Dès lors que les victimes ont décidé de se moquer de leur peur et d’oser défier ouvertement les puissants qui les assujettissent, elles deviennent capables de prendre et d’exercer leur propre pouvoir. La route sera certes encore longue, mais la voie est ouverte à leur libération.

La victimisation enferme dans l’isolement. Or pour les victimes aussi, pour les victimes surtout, c’est l’union qui fait la force. Il importe qu’elles se rassemblent afin d’exercer la force organisée du nombre. Le 2 juillet 1964, Martin Luther King assistait à la Maison-Blanche à la signature par le président Johnson de la loi sur les droits civiques, qui, selon lui, « avait commencé à s’écrire dans les rues ». « Grâce aux manifestations, les Noirs ont appris que l’unité et le militantisme sont plus forts que les balles. Ils ont découvert que les coups de matraque, les piques électrifiées destinées au bétail et utilisées contre les manifestants ou les coups de poing, font moins de mal que les cicatrices de la soumission. Et les ségrégationnistes ont appris grâce aux manifestations que les Noirs, dressés à avoir peur, peuvent aussi apprendre à ne pas avoir peur. »

Le principe de non-coopération

Le principe essentiel de la stratégie de l’action non-violente est celui de non-collaboration, lequel repose sur cette analyse : dans une société, ce qui fait la force des injustices du désordre établi, c’est la complicité, la coopération passive, volontaire ou forcée de la majorité silencieuse des citoyens. La résistance non-violente vise à rompre cette complicité par l’organisation d’actions collectives de non-coopération avec les structures sociales, économiques ou politiques qui engendrent et maintiennent ces injustices.

Les puissants, pour imposer leur bon vouloir à un groupe social ou à une collectivité politique, n’ont de pouvoir que celui que leur donnent ceux qui, bon gré mal gré, coopèrent avec eux. Organiser la résistance, en appelant chaque membre de ce groupe ou de cette collectivité à retirer son soutien aux puissants, les prive ainsi des concours dont ils ont besoin pour assurer leur domination. La contrainte devient effective à partir du moment où les actions de non-coopération parviennent à tarir les sources du pouvoir des autorités établies qui n’ont plus les moyens de se faire respecter et obéir. Un nouveau rapport de force peut s’établir qui permet aux résistants de faire reconnaître leurs droits.

C’est ainsi que la stratégie de l’action non-violente vise à organiser des actions de non-collaboration avec les institutions, les lois, les idéologies, les régimes, les États qui portent atteinte aux libertés et aux droits de l’être humain. L’objectif est de paralyser les rouages essentiels des divers mécanismes d’exploitation ou d’oppression afin de rétablir l’État de droit.

L’objectif ? Paralyser les rouages essentiels des divers mécanismes d’exploitation ou d’oppression afin de rétablir l’État de droit.

Il est vrai que, face à l’injustice, les hommes sont beaucoup plus tentés de se résigner à la collaboration que de recourir à la violence. Le mot de collaboration évoque l’attitude de ceux qui pactisent avec l’ennemi, mais il convient de lui donner une acception beaucoup plus large : elle est l’attitude de tous ceux qui pactisent avec l’injustice du désordre établi. Aussi ne convient-il pas tant d’opposer la non-violence à la violence d’une minorité, que d’opposer la non-violence à la collaboration de la majorité.

La résignation est silencieuse et la première complicité avec le mensonge et l’injustice est de se taire ! Le premier pas dans la non-coopération demande de rompre ce silence, de prendre la parole ouvertement afin de faire valoir les requêtes de la vérité et les revendications de la justice. La première résistance contre l’injustice est de venir la dénoncer sur la place publique. Cette prise de parole est déjà une prise de pouvoir. Par elle, se trouve brisé le monopole de la parole revendiqué par les pouvoirs établis dont la force repose sur la résignation de la « majorité silencieuse ».

Cette non-coopération sera mise en œuvre d’abord dans le cadre même de la légalité. Il s’agit d’épuiser toutes les possibilités qu’offrent les moyens légaux dans le fonctionnement normal des institutions démocratiques de la société. Mais si celle-ci n’offre plus de moyens permettant de combattre efficacement l’injustice, alors la résistance non-violente doit s’engager dans des actions de désobéissance civile.



Gandhi, Tous les hommes sont frères, Gallimard, 1969, p. 247.

Gandhi, La jeune Inde, Stock, 1948, p. 195.

Martin Luther King, Autobiographie, Bayard, 2000, p. 296.

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