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Dossier : Quels pouvoirs ont les victimes ?

Justice réparatrice : reconnaître notre humanité au-delà du crime


Depuis quelques années, la justice restaurative est apparue en France, en s’inspirant notamment de ce qui se fait au Canada à travers la justice réparatrice. À quels besoins répond-elle ? Comment se déroulent les rencontres détenus-victimes ? Quelles conditions permettent aux uns et aux autres de se libérer ?

Au Canada, c’est à l’initiative de travailleurs sociaux et d’aumôniers que sont nées les premières expériences de justice réparatrice1. Mais les racines en sont beaucoup plus anciennes. Il suffit de regarder la manière traditionnelle de « faire » justice au sein des populations amérindiennes. La communauté, les liens qui unissent les personnes qui la composent y sont essentiels. Poser un geste criminel, c’est rompre un lien social. Ce qui importe, ce n’est pas tant le non-respect d’une loi que le fait d’avoir brisé le lien social… et cela a un impact sur tous. Les proverbes et la sagesse autochtones font souvent référence aux symboles du cercle et de la toile : « L’humanité n’a pas tissé la toile de la vie. Nous n’en constituons qu’un fil. Tout ce que nous faisons à la toile, c’est à nous que nous le faisons » (Chef Seattle).

Restaurer ensemble ce que le crime a brisé suppose d’oser constater ce qui a été brisé en étant à l’écoute des conséquences du crime. Cela suppose aussi de se sentir concerné par ce qui s’est passé. Sommes-nous prêts à entendre les personnes victimes dans ce qu’elles ont à crier, à pleurer ou dans ce qu’elles n’arrivent pas à exprimer ? Sommes-nous prêts à reconnaître nos propres responsabilités, à côté de l’offenseur, et à accueillir son aveu tout en le reconnaissant dans son humanité ? Sommes-nous prêts à plonger avec eux dans ce qui peut faire mal en nous, individuellement et collectivement, pour libérer à la racine ce qui conduit au crime ?

« Nous appartenons à la même humanité ». C’est ce que les participants d’une démarche de justice réparatrice ont le goût de célébrer en fin de processus. Nous nous reconnaissons comme frères et sœurs blessés, qui ont pu blesser. « Hurt people hurt people » disent les anglophones. Notre tête le sait… La justice réparatrice permet de le ressentir au plus profond de soi comme une vérité qui appelle à la guérison et à la libération, voire au pardon et à la réconciliation. Mais avant d’en arriver là, le chemin est long et escarpé.

Généralement, une personne qui accepte d’entrer dans cette démarche a déjà tout un parcours derrière elle (thérapie individuelle ou de groupe, démarche spirituelle, travail corporel, activités artistiques, procès…). Le désir de rencontrer « l’autre » naît une fois accepté, pour les personnes qui ont été victimes, de reconnaître leurs blessures, et pour les détenus leur responsabilité. Il est aussi important qu’un détenu ayant lui-même été victime par le passé accepte d’explorer auparavant l’« enfant blessé » qu’il porte en lui. Cette démarche est rarement proposée en établissement pénitentiaire (sauf pour les femmes détenues). Le Centre de services de justice réparatrice de Montréal, fondé en 2001, propose une démarche s’adressant aux détenus qui ont été victimes d’abus sexuels dans l’enfance. Quand ils ont pu être entendus dans ce qu’ils ont souffert, il leur est plus aisé d’entendre les souffrances de personnes victimes en face d’eux.

C’est une fois ces étapes franchies que certains manifestent le désir de vivre une démarche de justice réparatrice : une médiation pénale entre une victime et son agresseur, ou des rencontres détenus-victimes, en groupe ou en face-à-face, pour des crimes apparentés. Se confronter à la réalité (suis-je capable de me tenir en face de l’autre qui me fait si peur ?), se libérer de certaines émotions (comme la colère), vérifier que l’on peut vivre des sentiments (comme l’empathie pour des détenus), chercher à comprendre ce qui a pu se passer ou les conséquences d’un geste, tels sont les enjeux de la justice réparatrice.

En plus des victimes et des détenus, de simples citoyens  participent aux rencontres : ils représentent symboliquement tout ce qui dans la société a permis au crime d’être commis et tout ce qui en elle a été touché par le crime. Les rencontres détenus-victimes regroupent généralement quatre victimes, quatre détenus et deux membres de la communauté. Les animateurs (un homme et une femme bénévoles) disposent d’une expérience qui leur donne les outils nécessaires pour comprendre les participants et assurer un cadre sécuritaire et une dynamique de groupe libératrice (motivations libres et justes des participants, garantie de soutien, engagement à la confidentialité, disponibilité, capacité à exprimer ce qui a été vécu et ressenti, capacité d’écoute…). Après deux entrevues individuelles, puis une à deux rencontres en petits groupes (détenus d’un côté, victimes de l’autre), les participants se retrouvent durant cinq à neuf semaines à raison de trois heures hebdomadaires. Un temps de « bilan et héritage » est prévu trois mois plus tard.

La majorité des rencontres se déroulent en établissement pénitentiaire. Après une courte relaxation corporelle, chacun est invité à partager, s’il le souhaite, quelque chose de sa semaine. Il présente par la suite un dessin (ou un objet ou une lettre) correspondant à un exercice qui a été demandé. Le cœur des rencontres correspond aux témoignages personnels et aux échanges. Avant de se séparer, un temps en sous-groupes est prévu pour vérifier ce qui a été vécu par chacun.

Un cœur à cœur
Je portais ce cœur en douleurs
Avec ses égratignures et ses peurs
Au visage peiné, rapiécé.
Et je me suis retrouvée face à eux qui avaient blessé.
Au début j’avais encore peur mais peu à peu j’ai vu le leur, leur cœur.
Il y avait eux,
Il y avait moi,
Leur vie, la mienne.
Je n’y voyais plus qu’une « grosse peine ».
Dans ce grand brouillard, un jet de lumière s’est amené.
Un lien s’est créé,
Un mur est tombé,
Quelque chose s’est transformé.
Ma peur, ma révolte, ma peine s’est apaisée.
Une réconciliation tranquillement s’est installée.
Cette expérience m’a guérie de l’intérieur et m’a menée ailleurs.
Vers l’espérance d’une vie
Voire même d’un monde meilleur.
- O. ST-J (poème rédigé dans le cadre d’une démarche de justice réparatrice)

Le climat, souvent froid au départ, évolue au fur et à mesure des rencontres. Un pic émotionnel peut surgir après quelques séances : une explosion de colère libératrice, une prise de conscience souffrante… C’est le cas quand une personne victime d’inceste réalise que ce n’est pas elle la coupable, que son père est responsable du geste commis et qu’il y a un risque potentiel pour ses propres enfants s’ils côtoient leur grand-père. Mais à la fin des rencontres, une certaine communion se dégage malgré tout du groupe.

La justice réparatrice vient redonner du pouvoir aux personnes.

Au début des années 2000, les organismes d’aide aux victimes s’inquiétaient. Cette justice réparatrice ne risquait-elle pas de « revictimiser » les personnes ? Aujourd’hui, toutes les études réalisées et les témoignages reçus permettent de lever ces craintes. Quand elle est proposée avec sérieux, la justice réparatrice vient redonner du pouvoir aux personnes. Elle leur permet d’affronter leurs peurs, leur offre un espace d’expression et d’écoute qui ouvre à une meilleure estime de soi et à une plus grande affirmation personnelle. Les participants reconnaissent qu’ils en sortent avec un sentiment de sécurité plus grand, moins de honte et de culpabilité, une meilleure conscience de leur propre histoire, moins de préjugés. Des transformations dans leur corps (moins d’insomnies dues à des cauchemars, poids en moins sur les épaules, regard moins fuyant…) ou dans leur habillement sont parfois visibles. Certaines personnes se sentent fières de donner un sens à ce qu’elles ont vécu en témoignant auprès d’autres, en s’engageant socialement ou en découvrant leur propre créativité. Ainsi, une ancienne participante a décidé de suivre des études en création textile, après avoir, dit-elle, « retrouvé sa fibre personnelle ». Aujourd’hui, dans le cadre d’ateliers de feutrage ou de courtepointe (patchwork), elle permet à des personnes touchées par le crime de créer de beaux châles protecteurs ou une œuvre collective.

La justice réparatrice n’est peut-être pas un chemin pour tous, mais elle est un chemin d’espérance vers une société à visage humain. Accepter de faire tomber les masques et de se laisser regarder dans ce qui est le plus souffrant en soi, c’est s’ouvrir à ce lien plus profond qui nous unit au-delà de nous-mêmes et qui fonde notre vivre ensemble.

L’amour qui guérit

(…)
Mes blessures n’arrêtent pas de s’infecter
L’horloge indiscrète me regarde pleurer
Je suis prisonnier du temps
Prisonnier de mon jugement

Je vous jure que je donnerais mon âme et ma vie
Pour vous faire revivre, pour vous libérer de moi
(…)
C’est la souffrance qui nous a réunis
Dans ce cercle où l’infini, a transcendé le fini
Où l’amour est venu déposer ces fleurs
Comme une graine d’espoir dans nos cœurs
(…)
Vous qui m’avez accueilli dans vos bras
Qui m’avez aidé à faire pousser
Une fleur dans mes mains
Jadis remplies de chagrin

Je me sens tellement privilégié
D’avoir eu la chance d’être écouté
Avec ma pauvreté et ma faiblesse
Mon histoire et ma vérité

Je suis ressorti de cette justice réparatrice
Le cœur rempli de gratitude envers la vie
Envers Dieu qui m’a dirigé dans cette enceinte
Et envers vous tous compagnons et compagnes d’infortune
Avec qui j’ai partagé des instants inimaginables
- René Pétillon (ancien participant des rencontres détenus-victimes)



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1 L’on utilise le terme « réparatrice » au Québec, « restauratrice » en Belgique et « restaurative » en France.


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2 réactions pour « Justice réparatrice : reconnaître notre humanité au-delà du crime »

Estelle Drouvin
25 August 2014

Bonjour M. Escoffier,
Je vous conseille de prendre contact avec Robert Cario de l'Institut français de justice restaurative avec qui nous collaborons. Voici le site de l'organisme: http://www.justicerestaurative.org/
Bonne suite dans votre engagement.

michel escoffier
22 August 2014

bonjour, visiteur de prison à Perpignan, je suis très intéressé par cet article; pouvez vous m'indiquer des personnes compétentes sur l'organisation des travaux de groupe en prison?
merci

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